Depuis quelques années déjà, de manière récurrente, la presse nationale se fait l'écho d'une grave affaire de spoliation d'investisseurs nationaux. Dépossédés depuis 1980 d'une entreprise (l'EPSR) qu'ils ont créée en 1975, ils n'ont pu, à ce jour, recouvrer la propriété de leur patrimoine, lequel est aujourd'hui détenu par une entreprise publique (l'ENPS), qui est, elle, proposée à la privatisation. La récurrence de la médiatisation de cette affaire de spoliation doublée, comme on le verra, d'un véritable déni de justice n'est pas de nature à améliorer le fameux «climat des affaires» si cher aux institutions financières internationales et aux investisseurs étrangers. Malgré d'indéniables efforts déployés par les plus hautes autorités du pays pour attirer ces investisseurs et améliorer notamment le cadre juridique de l'investissement, l'Algérie est classée, dans le «Doing Business 2006» rendu public le 13 septembre 2005, à la 128e place sur les 155 pays audités. Même si ce classement a été contesté par le ministère des Participations et de la Promotion des investissements, l'honnêteté commande de reconnaître qu'il est le reflet de la grande médiocrité qui caractérise «l'environnement de l'entreprise» en Algérie. Plus d'un quart de siècle Parmi les éléments constitutifs de cet «environnement de l'entreprise» ou de ce «climat des affaires» (ces deux formules étant, selon le professeur Abdemadjid Bouzidi, équivalentes), le système juridique, entendu au sens large de l'ensemble des normes et des modes de règlement des litiges dans un Etat, est, assurément, une pièce essentielle dans ce contexte mondial qui a élevé la notion d'Etat de droit au statut de nouveau culte. Sur ce dernier point, s'agissant de l'Algérie, à en croire Maître Farouk Ksentini, président de la très officielle commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme, «l'Algérie finira par être reconnue comme Etat de droit dans les dix ans à venir». Avec la subtilité qu'on lui connaît, l'éminent avocat affirme donc que, pour l'instant, l'Algérie n'est pas encore un Etat de droit! En la matière et, pour reprendre une autre formule qu'il affectionne particulièrement, l'Algérie serait, au mieux, un «Etat émergent». C'est dans ce contexte général qu'il faut replacer l'affaire dite de l'EPSR- CHERAGA, sans doute plus connue encore sous la dénomination «Affaire OULD EL HOCINE», du nom de cet investisseur et gérant de l'EPSR, dont la pugnacité est à la mesure de l'injustice qu'il subit depuis plus d'un quart de siècle. Formé à l'école de la glorieuse Armée de Libération Nationale , Mr Ould El Hocine, malgré toutes les affres qu'il a subies de la part d'un Etat qu'il a contribué à restaurer, donne aujourd'hui l'image d'un homme qui, transcendant son cas personnel, veut porter le combat au niveau des principes. Aussi «son» affaire a-t-elle été amenée à prendre une dimension importante dans ce contexte de consolidation-construction de l'Etat de droit et d'amélioration du fameux climat des affaires. C'est donc, désormais, une affaire emblématique au point où elle est étudiée dans les établissements de l'enseignement supérieur. Commentant les péripéties de cette affaire, Abderrahmane Mahmoudi faisait observer dans son quotidien «Le Jour d'Algérie», que l'affaire OULD EL HOCINE constitue, avec l'affaire MELLOUK (dite également des magistrats faussaires) l'une des deux plus grosses taches noires de l'histoire de la justice algérienne depuis 1962. Avant ce talentueux journaliste, le colonel Ahmed Bencherif, père fondateur de la Gendarmerie Nationale et ancien membre du Conseil de la Révolution n'avait pas hésité à comparer l'affaire OULD EL HOCINE à la célèbre affaire Dreyfus! A l'origine de cette scabreuse affaire, l'arrestation en décembre 1980 de Mr OULD EL HOCINE pour atteinte à la sûreté de l'Etat. Arguant de ce que l'entreprise privée qu'il gérait était livrée à elle-même, suite à l'absence forcée de son principal associé, le Ministre des travaux publics décida, par arrêté en date du 10 mars 1981 de placer cette société sous contrôle d'un commissaire du gouvernement. Au fondement de cet arrêté ministériel, le décret n°64-128 du 15 Avril 1964 fixant les conditions de désignation et les attributions des commissaires du gouvernement auprès des sociétés privées. Cette mesure exceptionnelle qui devait durer six (6) mois fut en vigueur jusqu'au 30 juin 1985 ; après quoi et par un véritable tour de passe-passe, l'entreprise privée EPSR fut confiée à un directeur et assimilée à une entreprise publique locale . Et le 21 Octobre 1987, un arrêté interministériel fut pris par trois ministres qui décidèrent de transférer cette société privée au secteur public. In fine, un ultime arrêté du ministre des Travaux publics en date du 7 décembre 1987, transféra ce patrimoine à l'Entreprise publique ENPS créée en mai 1987. Ayant bénéficié d'un non-lieu, réhabilité et lavé de tout soupçon, l'investisseur OULD EL HOCINE entreprit de récupérer son outil de production. C'est ainsi qu'il obtint gain de cause auprès de la plus haute juridiction administrative (la chambre administrative de la Cour Suprême) qui, par Arrêt en date du 16 février 1997 ordonna la restitution de tout le patrimoine de la société privée EPSR à ses propriétaires et ce, après avoir annulé purement et simplement l'arrêté interministériel du 21 Octobre 1987. Le drame, c'est que cette importante décision de justice n'a jamais pu être exécutée. Pis encore, après la suppression de la chambre administrative de la Cour Suprême qui avait, au demeurant, rejeté tous les pourvois introduits contre l'Arrêt du 16 février 1997, lui conférant ainsi un caractère définitif, le Conseil d'Etat remettra en cause la décision de restitution et ce, par Arrêt du 8 mai 2000. Pour aboutir à un arrêt aussi inique on utilisa un subterfuge: on suscita une tierce-opposition de la part de l'entreprise publique ENPS et on la déclara recevable et fondée. Faisant montre d'un juridisme non seulement outrancier mais également extrêmement vicieux, on permit à une entreprise publique dont les éventuels intérêts spécifiques étaient pourtant très largement et valablement représentés et défendus par (pardonnez du peu!) trois Ministres de la République, de remettre en cause le verdict de la Cour Suprême du 16 février 1997. Plus grave encore, par ce stratagème, on procéda à la dénaturation de l'affaire: alors qu'à l'origine le litige mettait aux prises la société privée EPSR et trois Ministres de la République, coauteurs de l'arrêté consacrant la spoliation, on en fit désormais un litige opposant une entreprise publique à une entreprise privée. A la dénaturation de l'affaire s'ajoutera au fil du temps une complexification croissante savamment alimentée et entretenue avec un objectif clair: ne pas restituer le patrimoine de la société privée à ses légitimes propriétaires! Devant une telle situation, force est de conclure, qu'avec la décision du Conseil d'Etat du 8 mai 2000 c'est la crédibilité de l'Etat algérien et de sa justice qui se trouve ainsi entamée. De quel crédit pourrait en effet se prévaloir cet Etat, notamment à l'égard des investisseurs étrangers, dès lors qu'il est incapable de faire exécuter une décision définitive rendue au profit d'un investisseur national par la plus haute juridiction administrative? Principe bafoué Plus grave encore, le défaut de crédibilité résulte en l'espèce de la partialité dont ont fait preuve les institutions publiques depuis le 8 mai 2000. A cet égard il est important de savoir qu'un haut magistrat du Conseil d'Etat est actuellement poursuivi et inculpé pour faux et parti pris au profit d'une des parties litigeantes. Par ailleurs, il convient pour mieux saisir les tenants et aboutissants de cette affaire de rappeler que depuis le début des années quatre-vingt-dix, le droit économique ou le droit des affaires en voie de formation en Algérie a fait du principe de non-discrimination entre le secteur public et le secteur privé (et même entre le national et l'étranger, lui préférant désormais la distinction entre résident et non-résident), une règle cardinale. Or, dans cette «affaire OULD EL HOCINE», il est manifeste que ce principe du nouveau droit économique algérien est bafoué, aussi bien par l'administration centrale que par la justice. Tout se passe en effet comme si, dans ce litige opposant une entreprise privée au secteur public dans ses deux segments, administratif et économique, c'est nécessairement ce dernier qui devrait triompher. Il est dès lors clairement établi que les personnels des administrations centrales et de l'institution du Conseil d'Etat n'ont pas encore fait leur mue malgré tous les discours autour des réformes en général et de la réforme de la justice en particulier. Ces personnels donnent l'image d'agents formatés à un moment de l'histoire de l'Algérie où il fallait défendre à tout prix le secteur d'Etat. Ils apparaissent donc aujourd'hui inaptes à répondre aux nouvelles exigences en contribuant notamment à donner consistance au fameux «climat des affaires». L'investisseur Ould El Hocine devra-t-il attendre encore une dizaine d'années, selon l'échéancier posé par Maître Farouk Ksentini, pour voir un heureux dénouement ponctuer la longue, trop longue histoire de son affaire, dans le cadre d'un Etat de Droit enfin institué? Poser cette question revient en réalité à se demander si les plus hautes autorités politiques du pays, les seules qui semblent se préoccuper de l'amélioration du climat des affaires en Algérie, devraient encore laisser faire. Assurément, non. Car l'affaire qui dure depuis 1980, s'est complexifiée et a été dénaturée. L'impasse dans laquelle elle a été sciemment mise est constitutive d'un véritable déni de justice. Aussi, dans l'intérêt bien compris du pays, dans le cadre de la construction d'un authentique et sain climat des affaires, nous pensons qu'il est grand temps que ces autorités interviennent pour faire cesser ce qui, en un mot comme en mille, est une situation de SPOLIATION d'un investisseur national. Car et c'est un truisme que de le rappeler ici, les investisseurs étrangers viendront en nombre et de manière durable, le jour où les investisseurs nationaux auront pleinement confiance dans des institutions nationales crédibles. Gageons que le règlement, sous le sceau de l'urgence, de cette scabreuse affaire ne manquera pas de contribuer à l'amélioration du climat des affaires en Algérie. Ce règlement vaudra à lui seul tous les discours et road shows réunis. Plutôt que de s'échiner à contester la méthodologie de classement de notre pays au «Doing Business», le ministère des Participations et de la Promotion des investissements serait sans doute plus utile et plus efficace en pesant de tout son poids pour résoudre définitivement cette grave affaire de spoliation et d'injustice que subissent des investisseurs nationaux depuis plus d'un quart de siècle.