Le président Bouteflika, qui prône l'Etat de droit et l'application de la justice, serait volontairement désinformé concernant cette gravissime affaire. Moudjahid authentique jusqu'au bout des doigts, Mohamed-Chérif Ould El-Hocine a décidé, hier, à partir de ce qui lui reste du siège de son entreprise spoliée depuis un quart de siècle, de donner un bon coup de pied dans la fourmilière de la «mafia politico-financière» lors d'une mémorable conférence de presse. Depuis la parution, sur nos colonnes, de l'article faisant état en exclusivité de nouvelles et graves révélations, il semble que les pouvoirs publics aient décidé de se pencher sur cette «aberrante» affaire, pour reprendre l'expression de Me Mentalechta. Outre les réactions «outrées» du ministre des Travaux publics, nous apprenons que le conseil de gouvernement, sur instruction d'Ouyahia et, peut-être même du président Bouteflika, aurait décidé d'étudier cette affaire qui mine véritablement la crédibilité de la justice et des institutions de l'Etat, et qui remet également en cause les orientations économiques algériennes. Ainsi donc, Ould El-Hocine, documents fournis à l'appui, est revenu hier, face un très large parterre de journalistes, tous «aguichés» par notre article de ce lundi, par le menu détail sur la genèse de cette affaire. C'est en 1975, et sans bénéficier de l'aide financière automatiquement octroyée aux anciens moudjahidines, que l'Epsr (Entreprise des panneaux de signalisation routière) a été créée. L'ensemble des documents attestant de son existence légale existent, à commencer par le permis de construire accordé par le Comedor directement relié à la présidence de la République. Ce genre de produits, à l'époque, étaient importés. Non seulement il y a eu création de 250 emplois, parfaitement pris en charge sur tous les plans, mais en plus l'Etat a pu réaliser de substantielles économies puisque ce produit indispensable était désormais fabriqué en quantités suffisantes à partir de matières premières également produites en Algérie. Il semble que ce qui a dérangé le pouvoir de l'époque c'est que les anciens compagnons d'armes d'Ould El-Hocine, éminents officiers de la glorieuse wilaya IV historique, se réunissaient très souvent chez lui, commémorant les anniversaires de la mort de certains héros et projetant d'écrire l'histoire de la guerre de Libération nationale avec ses bons et ses mauvais côtés, au lieu de laisser seuls, sur ce terrain, les Français et les harkis réfugiés en Hexagone. Bref, un beau jour, en 1980, au plus fort de la «chasse aux sorcières», Ould El-Hocine est littéralement enlevé de chez lui et inculpé par le tribunal militaire de Blida pour «atteinte à la sûreté de l'Etat». Il devait être «blanchi» par cette même juridiction, via un jugement de réhabilitation quatre années plus tard, sans être relâché pour autant. Chemin faisant, beaucoup de mal a été commis. Cela est tellement vrai qu'il a carrément été décidé de ne pas le relâcher, mais de l'accuser, au contraire, de sordides affaires de détournements basées sur un grossier amalgame entre l'Epsr et l'entreprise Van Rossem, sur laquelle nous reviendrons plus loin dans cet article. Pour arriver à leurs fins, les auteurs de cette cabale étaient allés jusqu'à rejeter les témoignages d'éminents moudjahidine tels le colonel Ahmed Bencherif ou le général Chelloufi, qui avaient tous deux commandé la Gendarmerie nationale durant cette période. «Au niveau de la cour de la prison, durant les courts moments de promenade qui nous étaient accordés, raconte le conférencier, je pouvais voir les monts de Chréa où je me suis battu contre les forces coloniales, et me demander pourquoi l'Algérie indépendante m'a fait ce que la France n'a pas réussi à faire, supprimer ma liberté et me spolier de mes biens». Car, en effet, dès qu'Ould El-Hocine a été jeté en prison, un commissaire du gouvernement a été désigné pour gérer l'Epsr. Suivront des pérégrinations administratives tirées par les cheveux, que même les livres les plus fous de Kafka n'avaient pas su imaginer. Toujours est-il que l'Epsr, au sein de laquelle Ould El-Hocine est actionnaire au même titre que de nombreuses autres personnes, se transforme en entreprise publique, à travers un conseil interministériel jamais rendu public. Elle changera de nom deux fois, devenant tour à tour Sntp (Société nationale de travaux publics) puis Enps (Entreprise nationale des panneaux de signalisation). Cette dernière, pendant près d'une vingtaine d'années, est gérée par le même responsable. Celui-là même, s'indigne Ould El-Hocine, qui «casse les prix en effectuant des travaux bâclés, mettant en danger la vie des automobilistes». C'est également lui qui a pris possession des biens et documents de Ould El-Hocine, en trafiquant certains afin de faire accroire que l'Epsr aurait appartenu à la Gendarmerie nationale, ce qui constitue un très grave délit. Ce ne serait, au reste, pas le seul, puisque même si la Cour suprême a fini par ordonner la restitution de tous les biens illégalement pris à Ould El-Hocine, condamnant au passage l'ensemble des ministères concernés, la tierce-opposition de l'Enps n'en a pas moins été acceptée au Conseil d'Etat. Ici, de graves dérives ont été commises, ce qui a poussé le très courageux Ould El-Hocine à déposer une plainte contre le président de cette prestigieuse institution, M. Bellil. Celui-ci a fini par être relevé de ses fonctions sur la base des documents accablants fournis par Ould El-Hocine. Pour ce qui est de l'implication directe du ministère des Travaux publics dans le refus d'appliquer la décision de restitution de l'Epsr à ses propriétaires légitimes et historiques, Ould El-Hocine accuse nommément des personnes qui émargeraient au niveau de l'Enps alors que le secrétaire général de cette institution gouvernementale se trouvait dans le jury du Conseil d'Etat qui a accepté la fameuse tierce-opposition dont il était question plus haut dans le texte. Il convient de souligner que toute cette affaire, pour le moins «innommable» et «inacceptable», a été rendue possible à cause de faux et usages de faux commis dans le but d'établir un amalgame entre Van Rossem et l'Epsr. Or, les deux entreprises ne sont pas situées sur le même lieu. Van Rossem, venu en Algérie en 1966, n'étant donc même pas un pied-noir protégé par les accords d'Evian, a travaillé pendant quelques années à l'aide d'un matériel vétuste avant de s'enfuir, laissant à l'époque une énorme dette fiscale estimée à plus de 600 millions de centimes. Ould El-Hocine, qui déclare être «spolié au nom de l'Etat algérien par une puissante mafia politico-financière présente à tous les niveaux et dans toutes les institutions du pays», ne s'en montre pas moins prêt à se battre jusqu'au bout. A ce titre, il estime que le président Bouteflika, dont les directives générales sont on ne peut plus claires, «est sans doute mal informé intentionnellement». C'est pour cette raison qu'Ould El-Hocine, aidé en cela par d'éminents noms de la guerre de Libération nationale, a l'intention de le saisir de nouveau dans le proche avenir, comme il le dit lui-même en réponse à notre question. Quant à saisir les institutions internationales, cet authentique moudjahid s'y refuse en dépit des appels pressants que lui lancent bon nombre de ses proches et amis. Or, tout a une limite, même la patience d'un patriote vivant bel et bien depuis plus d'un quart de siècle dans l'univers inventé un jour par Franz Kafka.