Le chef du mouvement islamo-conservateur tunisien, Rached Ghannouchi, arrêté et placé sous mandat de dépôt le 17 avril dernier, a été condamné, selon des sources concordantes hier, à un an de prison ferme pour «apologie du terrorisme». Le leader islamiste, 81 ans, est devenu la bête noire du président Kaïs Saïed et menait depuis plus d'un an la contestation au sein d'une alliance de sept partis, le Front de salut national (FSN). À l'époque, il se voyait reprocher une déclaration dans laquelle il disait la Tunisie menacée d' «une guerre civile» si les partis de gauche ou ceux de la mouvance islamiste, comme al-Karama, étaient écartés de la vie politique du pays. La condamnation prononcée lundi concerne une autre affaire et résulte de sa convocation devant le pôle judiciaire antiterroriste en février dernier. Celle-ci était due à une plainte déposée par le syndicat sécuritaire tunisien qui lui reproche d'avoir traité les agents des forces de sécurité de «taghout» lors d'un éloge funèbre, début 2022, durant l'enterrement d'un membre dirigeant du parti Ennahdha, à Tataouine. Ghannouchi avait déclaré que le défunt «ne craignait ni les dirigeants ni les tyrans», dans ce qui fut perçue comme une attaque envers le chef de l'Etat. Le même syndicat l'accusait d'inciter les Tunisiens à la guerre civile. À la peine d'un an de prison ferme, s'ajoute une amende de 1000 DT, tandis qu'on observait jusqu'à hier l'absence d'une réaction d'Ennahdha. Le FSN, lui, a vivement dénoncé la sentence. Depuis que Kaïs Saïed avait annoncé, en juillet 2021, une série de mesures destinées à mettre fin à la crise politique en Tunisie, Ghannouchi est devenu son opposant le plus célèbre après avoir été depuis 2014 le président de l'Assemblée des Représentants du Peuple (ARP - Parlement), dissoute en 2022. En novembre de cette même année, il avait été convoqué pour la première fois par le pôle judiciaire antiterroriste dans le cadre d'une enquête sur l'envoi de jihadistes présumés en Syrie et en Irak. Les évènements se sont accélérés en avril dernier, avec son arrestation puis la fermeture des bureaux d'Ennahdha dans tout le pays. Dans la foulée, plus d'une vingtaine d'opposants, des hommes d'affaires et des personnalités parmi lesquelles d'ex-ministres ont été incarcérés sous le chef d'inculpation de «complot contre la sûreté de l'Etat». La condamnation prononcée lundi soir a fait réagir, hier, le président du Haut Conseil d'Etat libyen (HCE), Khaled al-Mechri, qui déplore, sur les réseaux sociaux, la détention «du président du Parlement élu par le peuple, le penseur Rached Ghannouchi, à cause d'une opinion qu'il a exprimée. Ce développement absurde témoigne du retour de la dictature, de l'injustice et du bâillonnement de la libre expression en Tunisie. Ghannouchi, vous n'êtes pas seul». Cette réaction va sans doute irriter le président tunisien, les deux pays voisins ayant à peine retrouvé des relations apaisées avec la visite à Tunis, fin novembre 2022, du Premier ministre libyen, Abdelhamid Dbeibah.