Les nouvelles sont aussi bonnes que rassurantes, leurs porteurs s'appellent Marco Bellochio, Wim Wenders pour ne citer que les derniers cinéastes programmés dans cette 76e édition, qui, malgré quelques couacs (retards répétés dans les horaires, notamment) reste, réflexion faite, une bonne cuvée. «Rapito» (Marco Bellochio): de la grâce en barres...Pie IX a été un des plus tourmentés des papes et celui qui a laissé une trace indélébile sur le frontispice de l'oeuvre écrite de la papauté. Cet homme aux deux visages, s'était illustré par une gouvernance assez éclairée et moderniste (il lança le premier chemin de fer) s'allia aux républicains, mais dans sa tentation monopolistique son long règne (inégalé depuis) lui fit croire en la puissance suprême de son pouvoir et ce sera le début de sa période la plus noire tant pour ses ouailles que pour le reste des Italiens. Le cas Aldo Moro C'est à ce pape que Marco Bellochio s'intéressa, après avoir abordé au cinéma et dans une série télé, d'une impressionnante façon le cas d'Aldo Moro, le chef de gouvernement italien enlevé, en mars 1978 par les Brigades Rouges et assassiné au bout d'une longue détention (55 jours) qui tint toute l'Italie en haleine, puis en peine. Cette fois c'est l'enlèvement, en 1858, d'un jeune enfant juif, Edgardo Mortara qui sera filmiquement décortiqué et à travers son cas, Bellochio lèvera le voile sur le rapt «papalement» légalisé de jeunes enfants que l'Eglise d'alors voulait voir grossir les rangs d'une chrétienté irrédentiste. Edgardo sera conduit à` Rome dans la ´´Maison des cate´chume`nes et des ne´ophytes´´ (´´Domus Catecumenorum´´, comme on peut le lire sur la porte d'entrée du collège). Il s'agit d'un séminaire cre´e´ pour la conversion, entre autres, des juifs et des musulmans. Dans un style baroque, une flamboyance qui rappelle les peintures de Caravage, Bellochio déroule sur l'écran, les péripéties vécues par le petit Edgardo et ses jeunes camarades, dans ce catéchumène, mais aussi la folie despotique dans laquelle est en train de plonger Pie IX et sa garde rapprochée. Du fanatisme à l'état pur et son mode d'emploi adopté depuis (jusqu'à ce jour) par les sectes totalitaires (fasciites, intégristes) qui ont essayé d'asseoir leur toute-puissance à coups de lavage de cerveau et d'embrigadement. «Comme je l'ai dit, l'autre énigme de cette histoire est bel et bien la conversion d'Edgardo. L'enfant se convertit et restera toute sa vie fidèle a` son deuxième père, le pape Pie IX. Pourquoi? La thèse qui prévaut est qu'il était alors trop jeune et influençable pour pouvoir résister. C'était la conversion ou la mort. Ce que l'on appellerait aujourd'hui le syndrome de Stockholm...». Sans user d'une écriture rhétorique, le cinéaste italien parvient à garder une équidistance, entre son thème et sa thématique laissant à libre cours à la seule capacité d'indignation historique plus qu'épidermique. Cela s'appelle de l'Art... «(...) Mettre en scène un enfant victime d'une violence morale puis un homme qui, demeure´ fide`le a` la foi de ses bourreaux (qu'il prend pour ses sauveurs), finit par devenir un personnage qui se passe de toute explication rationnelle», confie Bellochio à ce sujet. Et l'interminable standing ovation qui suivit la projection du film confirmera la réussite de cette démarche. «Perfect Days» (Wim Wenders): De la zenitude... L'inoubliable auteur de «Paris-Texas» était à Cannes, avec deux productions; «Anselm», un beau documentaire en 3D sur l'artiste Anselm Kieffer, mais aussi une fiction, «Perfect Days», qui laissera son public aux prises avec des vagues d'émotion qui prirent leur temps avant l'apaisement. «L'idée est née à Tokyo et n'aurait pas pu être réalisée ailleurs. J'aime qu'une histoire et le lieu où elle se déroule soient nécessairement liés. Nous avons tourné «Perfect Days» 60 ans après qu'Ozu a réalisé son dernier film, «Autumn Afternoon», à Tokyo. Et ce n'est pas un hasard si notre héros s'appelle Hirayama...» glisse Wenders entre deux silences. Hirayama, c'est cet employé qui sillonne la ville pour nettoyer ses toilettes publiques, dernière génération qui essaiment dans la capitale nippone. Wenders ou le cinéma du bas bruit Le personnage est mutique. Son rituel quotidien semble immuable: son travail, sa pause déjeuner dans un parc; son bain public, son estaminet où il va boire son verre et parfois un crochet au labo photo artisanal pour faire développer sa pellicule photo et à la librairie des livres d'occasion. La lecture occupe l'essentiel de ses nuits. Et toujours de la musique en cassettes qu'il écoute dans sa petite camionnette. Des tubes de seventies, avec Lou Reed en tête et bien évidemment sa mythique chanson; «Perfect Day»: Oh it's such a perfect day (C'est une si belle journée) I'm glad I spend it with you (Je suis si heureux de la passer avec toi). Dans «Perfect Days», Wim Wenders renoue avec ce cinéma de bas bruit, celui qu'on avait déjà décelé dans ses premiers courts-métrages, lorsque, grand échalas, timide dans son costume en velours il avait débarqué à Alger, à la Cinémathèque algérienne présenter ses (six) petits films, dont «Summer in the City» (1970), son film diplôme qui deviendra son premier succès. Le réussite semble être au au rendez-vous, cette année aussi, grâce à son unique interprète, Koji Yakusho, (Hirayama) dont la tendresse des traits atténue les signes de la profonde solitude dans laquelle il vit quotidiennement. «Travailler avec Koji Yakusho dans le rôle de Hirayama a été une expérience unique. Nous ne pouvions parler que par l'intermédiaire d'un interprète, mais entre Hirayama, mon directeur de la photographie, Franz, et moi-même, nous avons rapidement trouvé un langage corporel silencieux, qui ne nécessitait parfois que de moindres indications d'ajustement. C'était vraiment un rêve de travailler avec quelqu'un d'aussi totalement engagé dans son personnage et aussi totalement ouvert pour tourner aussi rapidement que nous l'avons fait, parfois sans beaucoup de répétitions», confie Wenders visiblement heureux du résultat et de ce voyage à Tokyo, à la manière de Ozu...