Ayant trop longtemps passé son temps à faire du surplace, au lieu de prendre exemple sur d'autres organisations intergouvernementales hardies, celle fondée en mars 1945 par les Arabes n'a rien trouvé de mieux pour s'affirmer, jusqu'à ces deux sommets, que les intentions généreuses des dirigeants et les vertus du verbe. Mais cette fois, les rencontres d'Alger et de Djeddah ont montré des signes de crispation quant à la stérilité de la phraséologie et du sentimentalisme face à la réalité nouvelle où la politique de normalisation envers Israël a rendu caducs les motifs fondateurs d'une ligue des Etats. Le défi n'étant plus ce qu'il était à l'origine, il s'agit désormais de recourir à un raisonnement positif pour repenser l'édifice à la lumière des mutations intervenues dans la région et dans le monde. Mais réviser les modes d'action et les objectifs de l'union ne signifie pas pour autant altérer ses substances morale, politique et stratégique. Ayant précisément veillé à leur sauvegarde à travers son intérêt soutenu pour le dossier palestinien et pour la cohésion des rangs, l'Algérie a montré au Sommet d'Alger qu'elle demeure bel et bien la conscience vivante de la «nation» arabe et le gardien vigilant des principes dont cette entité se prévaut. Quant au Sommet de Djeddah, il a pour sa part fait bouger les lignes en mettant en bonne place de l'agenda la question cruciale du développement durable (points 7 et 8 de la déclaration finale). De ces deux sommets organisés à six mois d'intervalle, affleure ainsi une approche moins figée orientée vers un double objectif: 1- Un objectif classique de «conservation» articulé autour du principe du recouvrement de ses droits par le peuple palestinien, ainsi que de la cohésion des rangs arabes; 2- Un objectif inédit de mouvement articulé autour de la primauté de l'action sur la phraséologie, de la logique du faire sur celle du dire. Ce dernier objectif représente un bouleversement considérable. Pourquoi? Parce que, de fait, il correspond à un nouveau départ annoncé dans une déclaration audacieuse du prince héritier d'Arabie saoudite, M.B.S, passée inaperçue. Selon lui, tout sera mis en oeuvre afin qu'à moyen terme, son pays et ses voisins immédiats «deviennent une nouvelle Europe». De prime abord, cela signifie que l'implication du Maghreb dans ce projet ambitieux ne semble aucunement à l'ordre du jour. Empêtrés dans leurs difficultés et déambulant au gré de leurs incompatibilités, tensions et rivalités, les pays de l'UMA voient ainsi leurs «frères» du Machrek leur tourner effectivement le dos en envisageant l'avenir autrement. Autant dire qu'ils sont tout bonnement sommés de se mettre à niveau s'ils ne veulent pas être marginalisés. À ce propos, l'Algérie qui n'a jamais cessé d'être attentive au sort du Monde arabe, peut sans conteste montrer la voie comme en 1954, même si les circonstances ont beaucoup changé. Un rôle précurseur au Maghreb En se dotant d'un référentiel stratégique et en tendant toutes ses forces, comme autrefois, pour remonter la pente et grimper vers les sommets, notre pays est capable assurément de jouer de nouveau un rôle précurseur au Maghreb, voire même en Afrique. Cela implique d'ores et déjà un double préalable: 1- Un préalable cognitif qui consiste à mettre à contribution l'intelligence collective du pays pour concevoir un modèle de croissance qui fasse bon ménage avec le développement, c'est-à-dire un modèle où la richesse créée est équitablement utilisée à la transformation qualitative de la vie quotidienne des Algériens conformément aux principes fondateurs de 1954; 2- Un préalable stratégique qui consiste à anticiper l'avenir à partir du fait capital qu'au 1er juillet 2030, l'effectif de la population algérienne approchera les 55 millions d'habitants dont quelque 27 millions (environ 50%) auront moins de 30 ans (Source: ONS, Série S, N° 116). Un rôle de précurseur implique aussi pour l'Algérie de scruter ce qui se passe dans la sphère de l'économie mondiale, notamment au Proche-Orient et sur le continent africain. Il implique également de bien décrypter le message du Sommet de Djeddah, lequel renvoie à une thématique essentielle qui sera fatalement au rendez-vous de débats novateurs sur le choix annoncé dans les points 7 et 8 de sa résolution finale. Ladite thématique englobe toute une série de critères d'action et concerne principalement: 1- Le développement durable (endossé explicitement par le 32e Sommet); 2- Le développement inégal (relatif aux écarts,à la pauvreté et autres inégalités de nature socio-économique..); 3-Le développement humain (relatif à la qualité de vie selon les indications du Pnud); 4- Le développement territorial (dédié à la compétitivité locale et régionale); 5- L'aménagement du territoire (destiné à remédier aux déséquilibres en matière d'occupation et de modernisation de l'espace géographique). Ces concepts sont en tout cas susceptibles de structurer plus sûrement la nouvelle vision endossée par la Ligue arabe et que, pour ce qui les concerne, les pays du Conseil de Coopération du Golfe semblent déterminés à mettre en application. N'étant pas nouveaux, de tels concepts sont évoqués ici par souci pédagogique, et aussi pour élucider celui, plus global, de développement qui leur sert de matrice et qui a été lancé à l'ONU en 1949 par le président américain Truman (1884-1972). Dans ce cadre, la question se pose alors de savoir quels seraient, en Algérie, les secteurs à promouvoir en priorité pour la sortir de l'économie rentière et lui permettre de retrouver son statut antérieur aux crises ravageuses de la fin du siècle dernier, c'est-à-dire un statut de pays qui compte sur la scène arabe et de pays d'avant-garde dans les pays du Sud. Faut-il parier sur l'agriculture et le tourisme; ou bien l'industrie, les énergies renouvelables et l'intelligence artificielle? Faut-il au contraire considérer simultanément tous ces secteurs et opter pour une liaison évolutive qui soit réciproquement avantageuse? Ce sont des questions essentielles auxquelles l'espace imparti ici ne permet pas de répondre avec minutie parce qu'elles renvoient à un débat, des données, une évaluation, des idées, un argumentaire, des expériences, des comparaisons et une analyse que les institutions concernées ont eu déjà à aborder à maintes reprises depuis l'indépendance, bien que de manière disparate et discontinue. Des contraintes embarrassantes Aussi, se bornera-t-on à ce que révèle la réalité physique du pays à propos du potentiel des deux secteurs incontournables et stratégiques que sont l'agriculture et l'industrie. Concernant l'agriculture, on constate à la fois des contraintes embarrassantes et des potentialités certaines. La plus angoissante de ces contraintes est inhérente à un climat capricieux. Un conflit incessant existe en effet entre des pluies irrégulières mal réparties et une sécheresse fréquente: 1- Zones côtières: 400 à 800 mm; 2-Zone tellienne: 400 à 600 mm; 3- Hauts -Plateaux: 200 à 400 mm; 4- Sud: moins de 200 mm de pluie par an. Dans de telles conditions, une très grande partie du territoire est aride ou semi- aride. C'est dire que l'agriculture algérienne reste confrontée à un problème crucial: celui de l'eau. Son insuffisance chronique se répercute négativement sur les 81 barrages existants à ce jour, ainsi que sur les nappes phréatiques. Il existe certes dans le Grand Sud un potentiel d'irrigation constitué par un immense réservoir souterrain dont une estimation précise resterait néanmoins à faire. Il existe aussi la possibilité du dessalement et du transfert de l'eau de mer à des fins agricoles sous certaines conditions de coût et autres. À cette contrainte de l'eau qui pèse lourdement sur le secteur agricole et qui pourrait être levée graduellement par le travail, l'investissement et l'audace, se greffe celle des sols. La pauvreté en humus Ceux-ci sont affectés sérieusement par le ravinement dans de vastes régions déboisées, et donc par l'érosion qui est à l'origine de leur pauvreté en humus, ainsi que de l'envasement des barrages. Autant de contraintes naturelles dommageables qui mettent les pouvoirs publics devant une série d'impératifs urgents: 1- Procéder, si ce n'est déjà fait, à une étude détaillée des sols dans chaque wilaya; 2- Tirer de l'oubli le vaste programme de leur défense et restauration inclus dans un Plan national de reboisement et de réalisation de banquettes étalé dans le temps, avec comme objectif le contrôle du ruissellement des eaux, cause majeure de l'érosion; 3- Estimer avec précision les eaux souterraines au nord et au sud du pays; 4- Engager des actions d'envergure pour le désenvasement des barrages et procéder au reboisement des bassins versants; 5- Organiser le plus efficacement possible l'accompagnement des pionniers de l'agriculture saharienne en particulier, et plus globalement de l'ensemble des agriculteurs dont les efforts sont constamment entravés par les tracasseries bureaucratiques et des blocages paralysants entretenus par habitude, par incompétence ou par calcul au sein des organismes publics concernés; 6- Evaluer l'impact sur le secteur agricole de la croissance démographique à moyen terme (2030) et à long terme (2062, date symbolique du 1er siècle d'indépendance). En faisant de ces impératifs des axes structurants d'une politique cohérente de développement de ce secteur, l'Algérie le mettra en état de contribuer pleinement au développement national et, par ricochet, de lui faire tenir avec assurance sa place dans une compétition qui sera de plus en plus âpre au sein du Monde arabe. Concernant l'industrie, un regard tout aussi impartial sur la réalité révèle que notre pays a des aptitudes naturelles qui le prédisposent à occuper une place privilégiée, voire la première place dans l'espace arabe. Il dispose en effet d'un sous-sol riche en ressources, même si leur inventaire ne semble pas encore complet. En plus du pétrole et du gaz naturel, le sous-sol algérien recèle du fer et de la pyrite de fer, du plomb, du cuivre, de l'antimoine, du zinc, de l'or, de l'uranium... Ces percées politiques et diplomatiques Il contient également du phosphate et de nombreux produits de carrière tels la silice fossile, le sulfate de baryte, l'argile réfractaire, l'argile smectique, l'argile kaolinitique, le marbre... et, semble-t-il, des terres rares. (Source: documents ex-Sonarem). Avec de telles ressources et une agriculture prometteuse, une position géographique remarquable et des progrès considérables accomplis depuis l'indépendance dans les domaines de la formation, des infrastructures de base, ainsi qu'une expérience industrielle dont elle peut tirer fierté et enseignements, l'Algérie remplit les conditions pour renouer avec le rôle d'éclaireur qu'elle joua vaillamment entre 1954 et 1976 à travers ses percées politiques et diplomatiques, mais aussi son aventure industrielle et les tentatives de relance de son agriculture faites dans les années 2000. Son aventure industrielle a certes tourné court à partir des années 1980 pour des raisons multiples. Mais les incontestables possibilités d'une reprise du processus d'industrialisation font que notre pays ne doit pas se dérober à cette exigence stratégique. Pourquoi? Tout simplement parce que l'histoire économique du monde enseigne que les peuples qui ont accédé au développement et à la puissance, sont ceux qui ont focalisé leur génie sur l'industrie, la machine et la technologie. Au final, c'est en prenant du recul et en jetant un regard serein sur les mutations internes et externes que les Algériens d'aujourd'hui sauront se situer sur les scènes arabe, africaine et mondiale. Ils repéreront ainsi où ils en sont dans tous les domaines par rapport à la concurrence effrénée qui s'engage partout. Ils mesureront avec précision l'ampleur de la besogne à accomplir à la lumière des expériences tentées par les générations de la décolonisation et celles, endogènes et exogènes, de l'époque actuelle. Il ne leur restera alors d'autre résolution que celle de se remettre scrupuleusement à la tâche en suspendant leurs querelles ruineuses et en se tendant la main pour éviter à l'Algérie qui est revenue de très loin en 1962 d'être de nouveau congédiée brutalement de la scène de l'Histoire d'un monde dont le pas s'accélère aujourd'hui bien plus énergiquement qu'hier. Quoi qu'il en soit, le tournant amorcé à Djeddah montre que rien ne sera plus comme avant dans la région arabe. Persuadés de la pertinence de leurs choix géopolitiques et se prévalant de leurs percées économiques et financières, les pays du Golfe affichent carrément, à leur manière, leur volonté de tenter leur chance dans la cour des grands, laissant implicitement l'organisation panarabe à son exercice rituel de tourner en rond, aussi vain que stérile. Ce sont là des faits avérés gorgés de leçons qui n'échappent sûrement pas à la perspicacité de nos diplomates. Ils apportent à vrai dire une lueur nouvelle au processus volontariste de mise à niveau de l'économie nationale que les pouvoirs publics s'emploient de leur mieux à mettre en oeuvre.