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Bouteflika devant des choix difficiles
LES SIX MOIS «ACTIFS» DE LA RECONCILIATION PRENNENT FIN
Publié dans L'Expression le 23 - 08 - 2006

Ce serait un dilemme pour le président de la République, qui a maintenu le cap sur la paix depuis sa première investiture, de rompre ce fragile équilibre politico-sécuritaire.
Dans cinq jours, les autorités vont être obligées de clore le chapitre des six mois de période de grâce donnée aux terroristes encore actifs dans les maquis islamistes et de faire un premier bilan sur les résultats de la réconciliation nationale. Verre à moitié plein ou à moitié vide, selon que l'on se pose en optimiste ou en circonspect face aux effets de l'offre de paix, le bilan se prête à toutes les interprétations politiques, bien que sur un plan strictement sécuritaire et social, les observateurs savent à quoi s'en tenir. Entre le «marketing politique» et les réalités du terrain, il n'y a pas qu'un empan, et c'est ce que semblent suggérer les principaux collaborateurs du président en matière de réconciliation nationale, notamment Abdelaziz Belkhadem et Boudjerra Soltani, qui avancent l'idée d'une possible prolongation du délai accordé aux repentis, et qui arrive à terme le 28 septembre.
Le ministre de l´Intérieur a indiqué, il y a deux jours que des résultats positifs ont été réalisés grâce à la réconciliation nationale, qui a permis la reddition, jusqu´ à présent, de 250 à 300 terroristes pour bénéficier des dispositions de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. On ne connaît pas encore tous ces repentis, mais il est certain que pour la plupart, il s'agit de sous-fifres et d'hommes de seconde, voire de troisième main, les membres de la direction de l'organisation demeurant très hostiles à l'offre de paix.
Les Commissions de suivi de la réconciliation nationale avaient, au début de l'été, annoncé que 40.000 dossiers ont été réceptionnés par leurs différents services comme une adhésion totale des familles éprouvées par la tragédie nationale au projet de réconciliation.
Circonspection islamiste
Parallèlement à cette offre de paix, la lutte antiterroriste s'est poursuivie avec autant de détermination, et à chaque occasion les responsables de la sécurité intérieure affirmaient que celle-ci était menée comme si la paix n'existait pas. «La lutte contre le terrorisme islamiste se poursuivra en Algérie après l´expiration fin août du délai accordé aux terroristes se trouvant encore dans les maquis», avait indiqué le ministre de l´Intérieur, Yazid Zerhouni, il y a un mois. Zerhouni a lancé un appel «à ceux qui ne se sont pas encore rendus afin de saisir l´opportunité qui leur est offerte par les dispositions de la charte (...)Les personnes qui ont compris le sens de la politique de la réconciliation et de ses textes, doivent en profiter et ils sont les bienvenus, sinon nous les combattrons par tous les moyens», a-t-il ajouté, menaçant.
Evoquant la flambée des attentats terroristes perpétrés dans le centre du pays, il a estimé que ce sont des «tentatives dont l´objectif est d´attirer l´attention», ajoutant que «le nombre d´actes terroristes a nettement baissé par rapport aux années précédentes».
Plus alarmiste que de mesure, L'Humanité estime que la «réconciliation nationale» voulue par le président Bouteflika a du plomb dans l'aile. «Attentats à la bombe artisanale ciblant gardes communaux, policiers, patrouilles de gendarmerie ou élus, reprise des ´´faux barrages´´, racket, sabotage de conduite d'alimentation en gaz...Ces derniers jours, les actes terroristes imputés au Groupe salafiste pour la prédication et le combat (Gspc) se sont multipliés, principalement dans les wilayas de Boumerdès, Bouira et Tizi Ouzou. La wilaya d'Alger n'a pas été épargnée, des bombes artisanales ayant blessé des policiers en début de semaine à Reghaïa, Aïn Taya et dans d'autres localités situées à l'est de la capitale» soutient le correspondant du quotidien, bien qu'en réalité le mois d'août à été relativement plus calme que la période allant d'avril à juin, et qui a laissé entrevoir le pire.
Mouloud Hamrouche, qui ne tarit plus de critiques, et qui se place en présidentiable pour l´échéance de 2009, s´est montré, il y a une semaine, très sceptique quant à la portée de la Charte pour la réconciliation nationale pour marquer un renouveau de la vie politique du pays. Hamrouche estime que les propositions du texte ne remettent pas en cause l´impasse dans laquelle se débat l´Algérie. Quant à la révision constitutionnelle, instamment recommandée par le Front de libération nationale dans le but notamment de renforcer l´organe exécutif à l´image des régimes présidentiels, et qui devra être soumise à référendum avant la fin de l´année en cours, l´ancien chef de gouvernement a estimé qu´elle «peut être intéressante si elle apporte quelque chose qui puisse nous faire sortir de l´impasse». Il y a deux jours, on disait que le retour des leaders islamistes établis à l'étranger et auquel le président de la République semblait tenir au plus haut point, ne s'est pas fait. Ni Rabah Kebir, ni Abdelkrim Ghemati, ni Ould Adda, ni Noui, ni encore moins Anouar Haddam et le «groupe de Londres», un des plus importants, n'ont regagné Alger. Leur retour aurait donné de la crédibilité et de la consistance à l'offre de paix du président Bouteflika, comme il aurait pu convaincre les islamistes dans les maquis de l'inanité de leur action au moment où les leaders politiques se dirigent vers un compromis.
L'impression que donnent ces anciens dirigeants du Fis-dissous est que des «entraves sont mises sciemment par des clans connus pour faire échouer la paix». Ces entraves consistent dans les interdits et restrictions politiques et civiques dont ces leaders font l'objet. C'est ce qui ressort des propos de la plupart des chefs islamistes, même ceux qui ont soutenu le président et porté la réconciliation à bras-le-corps comme Madani Mezrag et Rabah Kebir.
La paix à tout prix
Abdelaziz Belkhadem, proche de la mouvance islamiste, et sur lequel comptait le président pour donner du souffle à l'offre de paix, peut encore compter sur des ralliements de dernière minute tant il est vrai, qu'en politique, les meilleures cartes sont abattues à la dernière seconde. On parle notamment de la «carte Hattab» qu'on peut faire sortir en dernier recours comme une des plus belles réussites de la réconciliation. Mais, là encore, il faut rester mesuré, car si l'homme, fondateur et figure emblématique du Gspc, donne du poids à la réconciliation, son «statut» actuel n'est pas très important: démissionnaire du poste d'émir, il a été mis en minorité, avant qu'un édit le condamnant ne soit prononcé contre lui. Si bien qu'aujourd'hui, il ne représente que lui-même, et même pas ses plus proches lieutenants et fidèles. Si ce ralliement, en fait inespéré de Hassan Hattab avait eu lieu pendant qu'il était encore émir du Groupe salafite pour la prédication et le combat, la réussite aurait été éclatante...
Principaux destinataires de l'offre de paix proposée par le président de la République, les groupes armés encore actifs sont en pleine mutation. Selon des sources sécuritaires sûres, la direction du Gspc, après avoir quitté ses fiefs kabyles, s‘est dirigée à l'extrême Est, vraisemblablement vers les maquis de Tébessa pour y tenir une «réunion des chefs». Un agent de liaison de l'organisation, capturé récemment dans la région de Boumerdès, a confirmé cette information, précisant encore que le but de la réunion était de débattre de l'émirat, car beaucoup de chefs, notamment ceux de l'Est et du Sud avaient contesté l'actuel émir, Abdelmalek Déroukdel, dit «Abou Mossaab Abdelouadoud».
Il est évident, de ce fait, que si la réunion aboutit sur quelque chose, cela ne sera pas sur une adhésion collective à la réconciliation nationale, le Gspc ayant manifesté le jour même du plébiscite de la Charte pour la paix son refus de tout compromis avec les autorités et menaçant de mort tout élément qui entrerait en contact avec elles. En réalité, cela fait bien longtemps que le Gspc a déplacé la confrontation avec les autorités algériennes du politique vers le religieux, si bien qu'aujourd'hui c'est en termes de djihad que l'organisation s'exprime, coupant court à toute négociation politique.
Face à de telles contradictions, Bouteflika se trouve face à des choix difficiles. Continuer à séduire ou commencer à frapper? Ce serait un dilemme pour le président de la République, qui a maintenu le cap sur la paix depuis sa première investiture, de rompre ce fragile équilibre politico-sécuritaire, d'autant plus que la guerre totale contre la subversion islamiste a montré ses limites et son incapacité à gérer un phénomène récurrent depuis un quart de siècle en Algérie ( l'inssurection de Bouyali date de 1981-82).
Dans sa lettre envoyée aux congressistes réunis à Ifri en commémoration du cinquantenaire du 20 Août 1956, Bouteflika a utilisé pour la première fois le concept de «consensus national»: «Cette réconciliation nationale n'a d'autres buts que celui d'organiser le consensus national sans lequel aucun régime, fut-il sorti des armes, n'est durablement légitime». On pourra interpréter cette formule de différentes manières, mais on prendra la plus simple qui consiste à laisser entendre qu'il faut faire des concessions pour convaincre tous les Algériens, «y compris ceux que vous voulez me voir exclure».
Le président Bouteflika avait précisé, dans la même lettre, que la «réconciliation nationale concerne toutes celles et tous ceux qui se sont marginalisés ou qui ont été marginalisés du fait des vicissitudes de la vie politique, des maladresses et de l´entêtement de certains. Seuls ceux qui ont trahi la nation ou commis des crimes atroces, voire imprescriptibles, en sont naturellement exclus». Autant de messages codés à lire avec précaution...


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