Certains directeurs d'entreprise ont même refusé le retour des islamistes licenciés, malgré les directives claires dont ils furent destinataires. Les premiers résultats obtenus au bout six mois de contacts et d'application des mesures de la Charte ne sont pas -loin s'en faut- à la mesure des attentes suscitées auprès du peuple. Le président de la République, qui a observé une longue période de silence, est le premier à le savoir, lui qui comptait bien arriver à de meilleurs effets, et justifier de ce fait, les choix difficiles qu'il avait pris dans un environnement hostile. Ce n'est certainement pas les 250 repentis, chiffre annoncé par Zerhouni, qui vont pouvoir pallier le déficit manifeste qui laisse un goût d'inachevé à ces six mois de réconciliation, parce que tout le monde aura constaté qu'on pouvait arriver à mieux. Le ministre de l'Intérieur, Noureddine Zerhouni, a bien indiqué que des résultats positifs ont été réalisés grâce à la réconciliation nationale, permettant la reddition de 250 à 300 terroristes, mais même si le chiffre est admissible, quoique invérifiable, il semble constitué de subalternes, de sous-fifres et membres des réseaux de soutien. Donc, les effets de ces redditions sur les réalités du terrain ne sont que minimes. La preuve est que, depuis le début de l'été, nous avons assisté à une flambée des actes liés au terrorisme. On peut aussi suggérer qu'une légère accalmie caractérise les zones-crises depuis le début du mois d'août. Mais, si l'on se réfère à toutes les donnes disponibles, on peut alors supposer que les choses ne sont pas aussi nettes qu'on le dit. Et les indices ne manquent pas pour les partisans de cette seconde hypothèse, qui s'appuient sur la poussée de la violence pour remettre en cause l'importance des redditions et leur impact sur le quotidien des maquis. Comme souvent, ceux qui sont encore en armes, observent la situation de ceux qui sont «descendus» pour se convaincre des bienfaits de leurs actions, si l'on exclut de cette probabilité les irréductibles du Gspc qui ont transposé le terrorisme sur un terrain théologique -le djihad ne s'encombre pas de négociation politique- et sont, de ce fait, intraitables, il y a lieu de revoir ce qui n'a pas fonctionné dans un processus dont on attendait beaucoup plus. Des chefs islamistes résument les griefs portés non pas à la réconciliation, laquelle reste un plan de paix incontournable qui a eu l'adhésion de tous les islamistes, mais à ses applications, aux retards et autres obstacles dressés sur le chemin des repentis. Des femmes impliquées dans des affaires islamistes sont toujours en détention. Certains islamistes, qui sont venus de l'étranger pour bénéficier des mesures de grâce, ont été mis en prison jusqu'à assainissement des contentieux judiciaires. Des détenus à Serkadji et à El Harrach incriminés dans des affaires islamistes ont vu leurs affaires «transférées» au pénal, et ne peuvent, de ce fait, bénéficier des mesures de la réconciliation nationale. Des repentis ne trouvent ni travail décent ni possibilité de subvenir à leurs besoins. Le casier judiciaire de beaucoup de repentis reste encore «sale» malgré l'amnistie, d'autres sont interdits de travailler et de voyager, alors que pour certains, leurs biens ont été saisis. On continue, en outre, à lacérer ces islamistes, qui ont choisi de déposer les armes, en les qualifiant quotidiennement de «terroristes» , malgré les interdictions d'excès de langage contenues dans la Charte. Certaines victimes du drame national n'ont pas été prises en compte par la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, comme les femmes victimes de viol, celles qui ont pris époux dans les maquis et se retrouvent mères, les anciens prisonniers des camps du Sud, etc. Des licenciés, à qui la Charte donnait le droit de rejoindre leur poste de travail, n'ont toujours pas accès à leurs entreprises. Et bien que plusieurs centaines de cas ont trouvé solution sur ce plan-là, d'autres, non réglés, persistent. Plusieurs entreprises à Alger n'ont pas encore donné suite aux requêtes des travailleurs qui ont voulu regagner leurs postes, comme, par exemple, l'Enmtp -de l'Avenue de l'ALN. Les mesures de la Charte obligent les directeurs, soit à réintégrer le travailleur licencié, soit à le dédommager de manière satisfaisante. Quand on voit que de petits directeurs refusent encore d'appliquer ces mesures, on ne peut que rester perplexe devant la gravité de ces faits qui empoisonnent un plan de paix auquel tout le monde devait adhérer, après le plébiscite populaire du 29 septembre 2005. Le retour des leaders islamistes de l'étranger et auquel le président de la République tenait de manière très particulière, reste un des points les plus obscurs de cette réconciliation. Ni Rabah Kebir, ni Abdelkrim Ghemati, ni Ould Adda, ni Noui, encore moins Anouar Haddam ou Djaffar al-Houari, que le Président avait pu convaincre de rentrer, n'avaient regagné Alger au 28 août, date de la fin de la période de grâce donnée par les autorités aux islamistes pour assainir leurs cas litigieux. Leur retour, on le sait, aurait donné de la crédibilité et de la consistance à l'offre de paix du président Bouteflika. L'impression que donnent ces anciens dirigeants du Fis dissous est que des «entraves sont mises sciemment par des clans connus pour faire échouer la paix». La quasi-totalité de ses leaders ne tarit pas d'éloges sur le président de la République et les responsables des renseignements, qu'ils créditent d'une volonté sincère de réconciliation. Selon un des leaders de l'ex-Fis à l'étranger, «les membres de l'instance exécutive du parti dissous à l'étranger ont rempli les démarches de régularisation auprès des autorités consulaires depuis treize semaines, et il était prévu que les délais d'étude des dossiers ne dépasseraient pas les six semaines».On estime à un millier les dossiers des islamistes vivant dans quinze pays d'Europe et qui attendent d'être traités, et seulement une vingtaine ont pu recevoir une réponse les deux dernières semaines. Voilà où en étaient les choses au 26 août dernier, et on devine, dès lors, la colère du président Bouteflika, qui avait exigé en pleine période de vacances, le retour des magistrats afin d'instruire les dossiers en instance. La seule exception s'appelle Larbi Noui, qui vient de rentrer récemment en Algérie. Triste consolation!