Les enjeux liés à la réconciliation nationale soulèvent, on le sait, des luttes sourdes au plus haut degré, et semblent remettre en cause acquis et intérêts colossaux. Dans un communiqué parvenu à la rédaction de L'Expression, un communiqué signé par l'ancien chef du Gspc «Abou Hamza», Hassan Hattab, a tenu à apporter un démenti formel à l'information donnée il y a quatre jours, par le même quotidien et qui en faisait «une des plus belles réussites de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale». Le communiqué mérite qu'on s'y attarde et qu'on se penche sérieusement sur son authenticité, du reste, très vérifiable par les connaisseurs. Le communiqué du démenti émane réellement de la région de la Kabylie (fax portant n°indicatif 026-21-..), porte le cachet du Gspc et signature de Hassan Hattab. S'il avait uniquement ces indices, j'aurais passé outre, mais le communiqué était assorti d'un coup de téléphone, à la rédaction, d'un de ses émissaires confirmant et l'envoi du communiqué et la protestation du chef, puis de l'envoi d'un CD où il est question d'actes de terrorisme perpétrés par le Gspc. Autant de points d'appui dont les manoeuvres suspectes n'échappent à personne. Donc, soit on ajoute foi au communiqué, soit on en fait des confettis. Dans ce second cas, on pouvait s‘appuyer sur le fait, bizarre, que Hattab ait signé en sa qualité de chef du Gspc, alors qu'il en est démissionnaire, et sa démission a été confirmée et consignée par un communiqué datant de juin 2004 et signé par tous les chefs régionaux du Gspc. A la suite de quoi, il a été remplacé par Nabil Sahraoui. On peut aussi s'attarder sur une terminologie très approximative, avec une sémantique éloignée de celle qu'emploie généralement le Gspc, qui comporte certaines formes fautives, et qui, de surcroît ressemble à la rédaction douteuse des bulletins écrits à la hâte. Sur ce plan-là, il n'y a pas de doute, il s'agit d'un faux. Et les meilleurs spécialistes, à qui on a montré le communiqué, ont relevé une quinzaine de fautes impardonnables dans un texte qui se voulait résolument salafiste et volontiers hiératique. On peut citer la formule très «politique langue de bois» de l'introduction du communiqué, l'usurpation de fonction d'un émir qui n'en est plus un, la riposte «en temps réel», c'est-à-dire le jour d'après la parution de l'article incriminé, la forme fautive utilisée pour transcrire mon nom en arabe, faute «non envisageable» chez un connaisseur des rudiments de la langue arabe, le terme «fakhamatou er'raîs» hors d'usage dans le lexique islamiste, l'utilisation d'adages populaires de niveau médiocre, et hors d'usage chez les islamistes, la chute style «Frères musulmans» du texte avec un très ghazalien «wallahou waliyyout' tawfik», sans oublier un cachet (qu'on peut copier à partir des communiqués disponibles sur Internet) presque illisible pour un communiqué récent et une signature au stylo dans un mode administratif jamais vu dans un communiqué du Gspc. Tout cela fait trop de fautes pour un seul homme, d'autant plus que Hattab, dont les écrits depuis 1997 sont connus et disponibles, possède un niveau d'expression écrite et verbale appréciable. Cependant, la correction veut qu'on n'obstrue pas toutes les possibilités qui ont pu se présenter et le contexte particulier qui a entouré la rédaction de ce démenti. Le communiqué dément, d'un côté que Hattab ait quitté ses maquis et affirme qu'il s'y trouve encore, et de l'autre, il confirme qu'il ne déposera les armes «que lorsque sera concrétisée une véritable réconciliation nationale». Donc, il ne rejette pas le principe de la paix, mais, proteste contre les formes actuelles de la réconciliation et exige des autorités davantage de flexibilité et concessions envers les islamistes. Voilà en fait, où voulait en venir Hattab pour sortir de l'impasse dans laquelle il se trouve. Et là, le débat se situe hors du vrai-faux communiqué dont nous avions été destinataires. Les ultras du Gspc l'ont définitivement condamné après les contacts qu'il avait établis avec les autorités en vue d'une reddition en bonne et due forme. Loin des maquis, Hattab avait des contacts avec des chefs politiques de l'ex-mouvance du FIS, comme Ali Benhadj, et là aussi, les choses ont plutôt mal tourné, ces derniers lui ayant fait entendre qu'il avait seul établi les contacts, seul négocié, et qu'il devait, de ce fait, en assumer seul les effets. En termes clairs, ils lui reprochaient ouvertement d'avoir tout concédé «au dinar symbolique» et d'avoir mal négocié sa trêve, et aussi que, au vu des yeux doux que le président lui faisait dès sa première investiture, en avril 1999, il a raté une occasion en or d'aider ses anciens chefs politiques, tous soumis à des restrictions politiques draconiennes. Cette impasse a débouché sur une première de la part de Hattab, qui avait menacé de rejeter en bloc l'offre de paix si les autorités ne faisaient pas preuve de plus de réalisme dans leurs négociations avec les groupes armés et les chefs politiques de la mouvance islamiste. Hattab a «joué à l'aise» avec les autorités depuis le fameux «Monsieur Hattab» lancé par Bouteflika, à l'endroit du chef du Gspc, et qui avait fait jaser le clan des éradicateurs, lesquels, par journaux interposés, avaient taillé en pièces le président, l'accusant de faire le jeu des terroristes. Mais aujourd'hui, on peut dire que Hassan Hattab, un des plus anciens chefs islamistes qui avaient pris les armes dès le début 1992, ne fait plus partie des groupes terroristes. Les enjeux liés à la réconciliation nationale soulèvent, on le sait, des luttes sourdes au plus haut degré, et semblent remettre en cause acquis et intérêts colossaux. D'où les risques réels de manip et d'intox. A la seule condition que les manipulateurs des faux communiqués savent à quoi s'en tenir en matière d'écriture...