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De Sidi Mohamed Ben Abdeslam à De Foucauld
Béni Abbès installe ses cultures et ses beaux atours à Bouira
Publié dans L'Expression le 09 - 10 - 2023

Lorsque le Coalster s'arrêta, ce samedi, devant l'hôtel, il était vingt-deux heures. La nuit était un peu fraîche, mais ses occupants, presque tous des jeunes, tombaient littéralement de sommeil. Ils avaient l'excuse d'avoir dans les jambes mille km. Ils venaient de Béni Abbès, une jeune wilaya issue du dernier découpage administratif, et n'avaient qu'un seul souci, une seule hâte: faire connaître cette région sableuse un peu au sud-est du pays à travers l'exposition de leurs produits artisanaux et de leur art.
Ce que recevait le lendemain matin la Maison de la culture Ali Zaâmoum de Bouira. C'était, en effet, des artisans et des artistes. Ils étaient un peu en retard sur l'heure, mais ils avaient, nous l'avions dit, cette excuse: ils venaient de si loin, et les moyens mis à leur disposition pour ce long voyage étaient peu confortables. Il y avait des garçons. Mais il y avait aussi des filles et tous-ô admirable capacité de ces jeunes du sud de notre si beau pays: à peine débarqués, ils se sentaient chez eux.
Ils devaient tout de même être un peu déçus: la semaine culturelle organisée par la direction de la culture n'accueillait pas la wilaya de Jijel qui s'est décommandée au dernier moment pour une raison inexpliquée. Nos hôtes auraient bien voulu échanger avec les artistes et les artisans de cette wilaya de l'Est. Mais on se doute: ils ont trop de tact pour montrer leur déception. Ils sentaient qu'ils vexeraient beaucoup leurs nouveaux amis bouiris qui ont tenu à leur réserver un accueil des plus chaleureux.
Le long de la Saoura
Tout en déballant ses produits (des accessoires de métier à tisser, un vieux mortier en bois pour moudre le café, une jarre recouverte d'un vieux tissu gris, des assiettes et des pots en terre cuite, des corbeilles à fruits en alfa), Madani Belkri, du village d'Igli, où l'oued Zouzfana, devenu le confluent de Ghdir, un autre oued qui vient du Maroc et passe par Béchar, prend son élan et le nom de Saoura, Madani Bekri, tout en s'affairant ce matin, prétendait, cependant, bien connaître Béni Abbès, à 68 km.
Ce spectacle grandiose de la nature accompagne la Saoura dans sa course, depuis Igli-point de confluence des deux oueds, à 68 km à l'est de Béni Abbès-jusqu'à Bent Cherk, à quelque 240 km à l'est où il se perd, s'assèche dans le sable. Pour nous donner une idée de ces lieux fantastiques, notre «guide» (nous adoptons ce mot, car c'est à un véritable voyage auquel nous sommes conviés ici, de même le présent de l'indicatif pour la commodité du récit), s'empare soudain d'un stylo et d'un bout de papier et trace le parcours de Ghir, à 170km de Béchar qui vient se jeter à Igli dans l'oued Zouefana et se confondre avec lui. Puis un autre dessin né de la main armée des mêmes moyens nous donne une autre idée de la ville. C'est un carré ouvert par un côté. Les deux côtés sont matérialisés par les dunes. Celui du bas symbolise l'oued Saoura. C'est tout naturellement qu'un grand cercle vient se nicher au centre du carré non fermé par un côté. Ce cercle, c'est la ville.
Voilà en gros ce que cela représente: par le sud et l'est, les dunes. Par le nord, c'est la palmeraie et entre les dunes et la palmeraie, Béni Abbès.
«Quand on monte au sommet de l'une de ces dunes et que l'on regarde vers l'oued Saoura, on voit les palmeraies. Et chacune, vue de cette hauteur, a la forme d'un scorpion» assure Abdelatif. Et cela reste un mystère de la création. Mais suivons notre guide qui a d'autres surprises en réserve.
La source de Sidi Othmane
La main d'Abdelatif court de nouveau sur le papier, sans lâcher son gobelet jetable qu'il tient de l'autre main. Que va-t-il tracer encore? Dans le petit carré ouvert par un côté, il fait un petit cercle qui représente la ville. Un point et un plus petit encore vient se loger à l'intérieur de cet espace délimité des trois côtés, mais un peu plus bas en direction de la palmeraie. C'est un musée à ciel ouvert où les animaux de tous les pays sont représentés et naturalisés et où on a un florilège extraordinaire de plantes. De sorte qu'on a l'impression qu'ils vivent et qu'ils sont lâchés dans la nature. Adelhadi considère ces deux structures comme deux joyaux qui donnent plus de caractère à la ville, la rendent plus attrayante encore aux yeux des touristes. Les jeunes de Béni Abbès, quant à eux, voient dans les dunes, les palmeraies, la piscine et le musée une opportunité pour se faire de l'argent en offrant leurs services de guides aux touristes étrangers, charmés par ces paysages uniques au monde.
Le sourire d'Abdelhadi accueille notre interrogation avec bienveillance. L'eau est de la source de Sidi Othmane qui permet d'avoir de l'eau courante en toute saison. Elle parait si abondante et si intarissable qu'elle alimente la piscine de manière à pouvoir renouveler son contenu toutes les vingt quatre heures. Les eaux rejetées vont évidemment se déverser directement dans les palmeraies. C'est la sagesse même qui dicte cette mesure. Ici, dans cette immensité désertique, la moindre goutte d'eau a son importance. D'autant plus que cette source dont personne ici n'a pu situer avec précision l'endroit est bonne.
«Elle est si douce», affirme notre guide, qui pendant qu'il parle, sirote son café, «que nous la préférons à toutes les eaux minérales»
À cette autre question: est-ce que la source de Sidi Othmane qui fournit de l'eau potable pour toute la ville et ses jardins enchanteurs alimente aussi les autres communes et daïras de la nouvelle wilaya? Cette fois le sourire d'Abdelatif n'accompagne pas sa réponse. Il comprend. Nous pensons avec nos clichés de gens du Tell pour qui les villes et les villages se touchent presque. Est-ce que Bouira n'est pas en train de toucher M'Chedellah et Haïzer par l'est, Lakhdaria par le nord et Aïn Bessem par l'ouest? Il cite de mémoire, sans effort apparent, une dizaine de localités: Tabelbala, Igli, Laouata, Mazer, Zghamra, Lougarta, Tamtert, Karzaz, Ouled Khédir etc.
L'homme de l'Ouest
«Et maintenant écoutez bien», dit notre guide dans ce récit. Béni Abbès est une wilaya nouvelle. Son territoire s'étend sur 101 350 km et sa population dépasse à peine les 60 mille habitants. Cela faità peine un mois que son wali Djamel Eddine Has has est installé. Le ministre de '' I'intérieur, qui a procédé à son installation, est arrivé, comme lui, par hélicoptère. Et voyez les distances entre les villes et les villages dans ce vaste pays. Entre Béni Abbès et Béchar, au nord ouest, il y a 240 km. Entre nous et Timimoun, une autre nouvelle wilaya à l'est, il y a 366 km. La commune la plus proche de Béni Abbès, c'est Igli et elle est à 68 km. D'autres comme Ouled Khédir ou Leksabi sont respectivement à 170 km et 210 km. La plus éloignée est Bent Cherk qui est à plus de 400 km du chef -lieu de wilaya. Le nouveau wali Djamel Eddine Hashas est arrivé par hélicoptère pour reprendre ses fonctions et le ministre de l'intérieur, pour l'installer, a dû emprunter le même chemin. Comment voulez-vous, qu'avec de telles distances qui séparent communes et daïras, la source de Sidi Othmane puisse les franchir sans se perdre en cours de route?»
C'est la logique même.
«D'ailleurs, ajoute ce fils du désert, les autres communes et daïras de Béni Abbès ont chacune leurs propres sources.».
Cette longue tirade a été débitée d'un seul trait, comme une leçon apprise par coeur. On aurait alors pensé qu'autour de ce point d'eau toutes les tribus se soient rassemblées, et des liens puissants se soient créés entre elles. Il n'en est rien, comme on le verra.
Un autre point d'interrogation: qui tient rassemblés ces quatre tribus, puisqu'elles arrivaient à la mosquée chacune par un passage différent? Un homme qui s'appelait Sidi Mohamed Ben Abdeslam. Il venait de l'ouest et il était un mourabet. Il s'était établi à Béni Abbès, avait fondé un foyer et une famille. Homme de bien et de foi, son influence sur les autres tribus qu'il avait réussi a rassembler autour de lui était considérable. Cette influence s'était révélée plus bénéfique encore que la source de Sidi Othmane pour la ville où la paix régnait en permanence entre les quatre tribus.
L'ombre de De Foucauld
Son nom n'a pas été évoqué une seule fois pendant cet entretien. Ni par Madani, l'ingénieur en hydraulique, ni par Abdelhadi, le fonctionnaire de la direction de la culture qui déclare avoir visité toutes les communes et daïras qu'il a citées plus haut, à l'exception de Tabalbala, à la frontière marocaine, du côté de Tindouf, ni par Abdelhafedh, l'artiste-peintre. Il a fallu cette défaillance technique de notre ordinateur à l'origine de la suppression de notre premier article pour que la forte personnalité de cet homme d'Eglise s'impose dans ce nouveau récit.
Pourtant Abdelhadi connaît cette église ou plutôt cette chapelle, fondée par cet ermite qui a voué le restant de sa vie à la prière et au culte de Dieu. Il est entré dans la salle de prière et la bibliothèque et les moines qui y vivent l'ont en sympathie. Xavier est l'un d'eux. Sa mort dans un accident de la route a attristé les deux communautés musulmane et chrétienne, car le désert a réussi ce miracle: s'il permet de rapprocher la créature de Son Créateur à travers les prières, la contemplation et la méditation, il rapproche dans les mêmes proportions les hommes à travers les liens de solidarité et d'amitié qui se créent entre eux. «Ils venaient assister à nos fêtes et partager ainsi nos joies et nos peines», se souvient Abdelhadi. «Et nous faisions de même de notre côté» affirme-t-il. Toute la ville a assisté aux obsèques du moine mort dans un accident, lequel avant ce drame avait formé le voeu d'être enterré à Béni Abbès.
À propos de route justement. Selon Slimane Bouregaâ, le plus ancien exposant de cette semaine culturelle, et qui connait l'histoire et la géographie de Béni Abbès aussi bien que Abdelhadi, bien que ce dernier soit beaucoup plus jeune, la commune de Tabalbala, qui est à 450 km et oblige les usagers de la RN6 à un long détour par Béchar, ne serait plus qu'à 160 km, si le projet d'une route qui relierait directement Béni Abbès à cette commune verrait le jour.


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