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Béchar. Les sels qui tuent les palmiers d' Igli
Publié dans El Watan le 20 - 01 - 2012

Igli, à 130 km de Béchar, sur la RN6 B, entre Taghit et Beni Abbès, est l'endroit où naît la Saoura, l'oued qui donne son nom à cette région. En se rencontrant, Zouzfana et Guir, deux écoulements importants du Sud-Ouest algérien, forment la Saoura. L'oued court sur 600 km vers le sud pour se perdre dans la sebkha, les terres salées, de Reggane, dans la région d'Adrar, le Touat. Et pourtant, Igli, jadis point de passage des caravanes chargées de victuailles, souffre d'un manque d'eau ! L'époque des abricots charnus est déjà un lointain souvenir. Les dattes sont toujours aussi délicieuses, mais jusqu'à quand ?
Larbi Otmane, appuyé par des hydrauliciens, des agronomes, des économistes et géomètres, mène depuis des années un combat pour la construction d'un barrage à 15 km au nord d'Igli. Ibrahimi Kouider, président de l'APC d'Igli, appuie ces initiatives. «Si nous voulons rester dans cette région, il faut tout faire pour avoir de l'eau. Nous perdons chaque année des millions de mètres cubes de ce liquide précieux. Il faut construire un barrage. Une fois le projet achevé, la palmeraie retrouvera vie. Cela permettra aussi le retour de ceux qui sont partis», nous a-t-il expliqué. Selon Larbi Otmane, la salinité des sols, phénomène apparu au début des années 1970, augmente de jour en jour et se propage à une allure inquiétante depuis l'axe des lits de l'oued jusqu'à la rive de l'Erg occidental.
Tsunami
«La concentration des sels est née du manque d'eau et de la surexploitation de la première nappe. Nous avons constaté une décimation accélérée de la palmeraie et des oasis. La disparition de la palmeraie est certaine, un jour ou l'autre. La situation est aggravée par la baisse de plus en plus inquiétante de la pluviométrie. Pour maintenir la population à Igli, il est important d'assurer l'approvisionnement en eau. Chaque année, l'eau des oueds se perd. Aussi est-il vital de la retenir. Nous lançons un appel à Abdelmalek Sellal, ministre des Ressources en eau, pour qu'il nous aide. Le barrage permettra de stocker et de conserver l'eau», a déclaré Larbi Otmane. D'après Mohamed Khemliche, chef de daïra d'Igli, le barrage doit être construit au confluent des oueds Zousfana et Guir. «Le dossier existe. Il a été remis dernièrement au wali. Je crois que c'est la seule solution pour l'agriculture, l'irrigation et l'eau potable. Mais il faut adopter des règles pour économiser l'eau», a-t-il plaidé. L'idéal, pour Larbi Otmane, est de construire un barrage à Lakhnague, à l'image de celui de Djorf Torba. L'enjeu est important, en ce sens qu'il faut prévenir un exode massif des populations et éviter que le bassin de la Saoura devienne une zone aride et désertique.
Les sels dans la terre provoquent, selon lui, la réduction de la productivité agricole, la baisse de la qualité des eaux potables et la déstabilisation des écosystèmes terrestre et aquatique. La capacité des racines à absorber à la fois l'eau et les éléments nutritifs diminue avec la concentration des sels. A titre d'exemple, dans les oasis d'Abouhou, de Touzdit, de Tassa et de Nourya, où la salinité des sols est très élevée, la perte des palmiers dattiers a dépassé le taux dramatique de 70%. Touzdit ressemble à une île après le passage d'un tsunami ! Même le petit paradis de Mazzer, au sud d'Igli, est sérieusement en danger. Oued Guir, qui prend naissance dans l'Atlas marocain, est irrégulier. Durant la saison des pluies, les crues de Guir dépassent parfois 10 000 m3/seconde. Ce qui cause beaucoup de dégâts.
Ancêtres
Les gens d'Igli se rappellent des inondations de 1967, 1979, 1990, 2004 et 2008. C'est simple : les crues fortes signifient pour la région un isolement du monde : routes, eau et électricité coupées. Larbi Otmane a confectionné un document d'une quarantaine de pages dans lequel des photos des grandes inondations sont publiées. En 2004, une grande partie de la palmeraie a été déracinée par les eaux en furie. Mostefa Benotmane, militant associatif et grand connaisseur de la faune et le la flore de la région de la Saoura, souligne que depuis la nuit des temps, le souci des habitants d'Igli est de retenir l'eau pour mieux l'utiliser dans l'agriculture. Des digues en terre avaient été construites par le passé, mais n'avaient pas résisté au réveil brutal des oueds. «Nos ancêtres ont décidé de s'installer ici parce qu'ils ont trouvé toutes les conditions de la vie. Nous commençons à perdre ces conditions», s'inquiète Ibrahimi Kouider.
Existe-t-il des potentialités agricoles à Igli ? «No comment», a répondu le chef de daïra. «La relance de l'agriculture dépend de l'eau. C'est évident. Il faut lutter en urgence contre les pertes aquatiques annuelles. Nous avons plus de 500 ha de terre destinés à l'agriculture, mais les moyens sont toujours aussi faibles. Le soutien de l'Etat est insuffisant. Par le passé, dans les années 1980, Igli produisait des fruits et des légumes. Aujourd'hui, on est loin de cette époque», a répondu le président de l'APC d'Igli. Malgré toutes ces difficultés, la région produit toujours du citron, des figues fraîches et des oranges… Son potentiel dattier est évalué à 48 000 palmiers.
Une seule boulangerie
Le même responsable est également préoccupé par l'absence de gaz de ville à Igli, une localité de 7000 habitants. Inconcevable en 2012 ! Sonatrach et Sonelgaz étudient la possibilité de réaliser ce projet. Et comme d'habitude, les deux compagnies prendront tout leur temps avant de décider de «la nécessité» ou non de connecter Igli à la conduite qui relie Beni Abbès à Abadla. Gaz butane et feu de bois en attendant ! Qui a dit que les gens du Sud étaient prioritaires dans les programmes «astronomiques» de développement chiffrés en milliards de dollars évoqués à chaque bout de salon par les «décideurs» des quartiers hauts d'Alger ? Chaque matin, dans la froideur de l'aube, les habitants d'Igli organisent une file indienne devant un dépôt de pain. Il existe une seule boulangerie qui fonctionne au ralenti. «Il y a un manque ‘‘d'activation''», nous dit le jeune serveur du café dans son langage propre. «On s'ennuie à mourir, pas de postes d'emploi, pas de lieu de détente, pas moyen de vivre comme les gens d'ailleurs», enchaîne-t-il.
«Pour moi, le chômage n'existe pas. Des entrepreneurs sont venus ici chercher de la main-d'œuvre, mais ne l'ont pas trouvée. Les gens ne veulent pas travailler. Cela est valable ailleurs. Il faut que les gens du bled investissent ici pour ouvrir des cafés, des restaurants, des boulangeries. C'est une question de mentalité à changer», croit savoir Mohamed Khemliche. Des déclarations que les jeunes d'Igli (60% de la population) peuvent ne pas aimer. Un débat ? Possible. Selon Ibrahimi Kouider, les jeunes refusent, pour des considérations religieuses, de s'engager dans les projets Ansej en raison de l'existence d'intérêts bancaires. «Les jeunes se font inscrire à l'ANEM de Taghit. Des ateliers sont mis en place pour six mois. Et après ? Le chômeur revient réclamer des solutions au président de l'APC, alors que celui n'a pas grand-chose à offrir. Nous restons désarmés parfois devant des chômeurs de plus de 42 ans qui ne perçoivent que 3000 DA du filet social ! Il y a nécessité de prendre en charge cette catégorie des sans-emploi», a-t-il plaidé.
Lait de chamelle
Othmane El Hachemi, directeur général de l'usine Sud Lait appartenant au groupe public Giplait, ne peut pas recruter tant que de nouveaux investissements ne sont pas engagés. Située à une vingtaine de kilomètres au nord d'Igli, cette usine, qui produit du lait depuis mai 1986 et emploie 87 salariés, est la seule unité laitière de la région du sud-ouest. «Nous produisons 45 000 l par jour dont
10 000 l de lait acidifié, le petit-lait. Nous desservons les régions de Béchar, Adrar et Tindouf. Nous n'avons jamais connu d'arrêt. Nous sommes approvisionnés par l'ONIL pour le lait pasteurisé. Nous utilisons l'eau de source locale.
La quantité est suffisante. L'eau utilisée par l'usine est épurée pour être récupérée pour l'irrigation des terres agricoles», nous a précisé Othmane El Hachemi. A moyen terme, des investissements sont prévus pour produire du lait instantané et l'UHT (ultra-haute température). «Nous souhaitons récupérer le lait de chamelle. Nous avons un projet de collecte que nous étudions avec l'université de Béchar. L'élevage de la chamelle est plus difficile que celui des bovins. Nous avons besoin d'assistance scientifique. Nous avons déjà une idée sur les capacités de la région», a-t-il précisé.
Venus sans réfléchir
«Les citoyens sont obligés de se déplacer chaque jour à Béchar ou à Beni Abbès pour se faire rembourser les médicaments auprès de la CNAS. Nous souhaitons que la CNAS ouvre une agence ici à Igli. Une localité qui compte plus de 1200 retraités», a regretté le président de l'APC. Les jeunes médecins, venus de Tlemcen, Sidi Bel Abbès et Tiaret, sont inquiets par le grand manque de médicaments. «Nous manquons de Spasfon, Primperan, d'hydrocortisone et de sérum salé glucosé. Cela pose des problèmes pour la prise en charge des malades. Parfois, nous ne savons pas quoi dire aux patients», nous a confié Ahmed. Ahmed est venu avec son ami Sid Ahmed de Tlemcen pour travailler à Igli. «Ce n'était pas difficile de venir à Igli. Nous sommes venus pour une semaine, voir comment cela se passe. Il nous fallait étudier le terrain pour décider de nous installer ou pas.
Nous voulions être sûrs du logement de fonction. Il y a trois médecins par logement de fonction. La localité nous a plu. Il n'y pas de problème de transport. Deux heures pour aller à Béchar puis à Tlemcen», a expliqué Ahmed. «Nous avons d'autres amis qui sont partis à Tindouf, à Timimoun, à Adrar et à Bordj Badji Mokhtar. Un ami nous a conseillé de venir ici en disant que la région est calme. Nous sommes venus directement sans réfléchir», a enchaîné Sid Ahmed. Les cinq jeunes praticiens présents à Igli ont suivi avec étonnement la manière avec laquelle des médecins cubains ont été installés dans la région, pris en charge soigneusement par les autorités. «Notre micro-ordinateur a été donné à une sage-femme cubaine. L'Algérie manque-t-elle de sages-femmes ?», s'est interrogé l'un d'eux.


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