L'Europe postcoloniale laisse derrière elle un continent divisé avec en son sein des entités non viables. L'Europe est décidée à prendre en charge sérieusement, et de façon collégiale, le dossier brûlant de l'immigration clandestine qui prend des proportions énormes avec le flot de vagues humaines qui se déversent sur les côtes de la rive nord de la Méditerranée. Le sujet devient central et prioritaire pour les responsables politiques du Vieux Continent. Face au phénomène grandissant de l'immigration clandestine, l'Espagne, l'Italie et la France vont demander que la solidarité européenne soit inscrite dans l'agenda des prochains sommets de l'UE, a indiqué, hier, à Helsinki, le chef du gouvernement italien, Romano Prodi. «Nous avons décidé de nous adresser à l'Union européenne pour que l'action commune face à l'immigration soit à l'ordre du jour du sommet informel en octobre (à Lahti en Finlande) et du sommet (de Bruxelles) en décembre», a annoncé M.Prodi, en marge de l'Asem, sommet des chefs d'Etat et de gouvernement de 38 pays d'Asie et d'Europe qui se tient dans la capitale finlandaise. Par action commune, il faut bien comprendre, comme a tenu à le préciser le président du Conseil italien qu'il s'agira d'adopter une politique de coopération basée sur une aide économique en direction des pays de l'autre rive pourvoyeurs de ces marées humaines. Cette initiative du triumvirat européen vient suppléer le processus déjà engagé par l'Espagne en collaboration avec le Maroc. Démarche qui a prouvé ses limites du fait qu'elle s'est appuyée sur un dispositif sécuritaire répressif, consistant à mettre sur pied des patrouilles tout au long des couloirs de transit empruntés par les réseaux de passeurs. C'est d'ailleurs la même démarche qui est aujourd'hui revendiquée par les Etats africains qui ont inscrit la question de l'immigration clandestine dans une perspective globale de développement du continent, tout en mettant en exergue la responsabilité historique des anciens colonisateurs dans le sous-développement des économies africaines. Lors de la conférence qu'il a animée à Alger en début de semaine, sous le thème de «la traite négrière et l'esclavage - les migrations actuelles», le directeur du bureau régional de l'Unesco pour l'éducation en Afrique, le professeur El Hadj Bakari Kamian, a mis le doigt sur la responsabilité de l'Europe dans cette tragédie en l'estimant «en partie responsable de la situation socio-économique prévalant dans les pays africains. L'immigration clandestine, a t-il rappelé, est un «vieux problème» qui a pour essence le transfert forcé de milliers d'Africains sur le continent européen pour participer d'abord à sa libération puis à sa reconstruction. Le conférencier donnera des chiffres effarants sur cette opération de déportation forcée, en estimant le nombre de sujets africains et asiatiques concernés à quelque 800.000. Et de rappeler que l'économie française a bénéficié de deux cent mille ouvriers sans qualification pour la relance de son économie agonisante en manque de main-d'oeuvre. Des effectifs essentiellement puisés dans ses colonies, à savoir, les trois pays maghrebins (Algérie-Maroc-Tunisie), le Mali et le Sénégal. Toutes les entrées ont été effectuées sans visas. Avec l'apparition du problème du chômage, il était plus facile pour les politiciens de jeter la pierre aux étrangers que de remettre en cause leurs politiques économiques de développement. Les Africains sont de suite devenus indésirables et par trop encombrants. Oubliant que les maux dont souffrent les pays africains trouvent leur source dans cette invasion massive du continent et son occupation pendant plusieurs siècles. C'est-à-dire de la période allant du XVe au XIXe siècle qui a débuté avec la traite négrière entreprise par les Portugais qui ont installé le premier comptoir commercial sur la côte africaine, sous la bénédiction de l'Eglise catholique représentée par le pape Nicolas V. Aujourd'hui même, les pays européens entretiennent de puissants intérêts économiques dans les anciennes colonies regorgeant de richesses naturelles. Et si l'Eglise catholique s'est repentie solennellement de ses péchés commis en Afrique depuis 1992 à travers le pardon demandé aux Africains par le pape Jean-Paul II, lors de sa visite à la Maison des esclaves de l'île de Gorée au Sénégal, une autre repentance est aujourd'hui attendue par les Africains. Elle concerne les politiques et les tenants des économies européennes qui ont prospéré sur le dos de la misère de tout un continent. L'UE, qui est un groupement économique, d'abord, est appelée à prendre sa responsabilité historique de restaurer l'ordre sur cette terre africaine laissée dans le désordre par le système colonial. Le professeur Bakari Kamian a bien su résumer la problématique du sous-développement de l'Afrique en rappelant que «l'Europe qui ferme aujourd'hui ses portes aux Africains a mis fin à la politique de colonisation en laissant derrière elle un continent divisé avec en son sein des entités non viables séparées par des frontières insensées». Tout comme elle n'a laissé comme arme et bagage aux nouveaux hommes libres que la culture européenne avec tout ce qu'elle charrie comme pratique de langue, de façon de vivre, de façon de réfléchir et de politique sociale et communautaire inadaptée. L'Europe se voile la face. Oubliant qu'il est pratiquement impossible d'occulter éternellement une campagne de cinq siècles de barbarie qui a permis à la «civilisation» européenne de broyer, telle une machine de terreur, les hommes, les femmes et les enfants d'Afrique. «La porte de voyage sans retour» de l'île de Gorée est là pour témoigner de «l'Holocauste méconnu» et inciter le monde civilisé à entreprendre un travail de mémoire pour exorciser les vieux démons qui habitent encore certains esprits. Les résidus de l'ancienne vision de la supériorité des Européens tendent à se régénérer dans le corps social du Vieux Continent et se manifestent par la propagation du racisme que les Etats africains ont vigoureusement dénoncé en alertant, lors du sommet de Durban (Afrique du Sud) en 2001, le monde entier sur les menaces qui pointent à l'horizon, s'il n'est pas mis un terme au racisme.