Verónica González Laporte, anthropologue du Mexique, Victor Bouadjio du Cameroun, écrivain, éditeur et journaliste, Benaouda Lebdai universitaire algérien, Hassan Remaoun, historien algérien, Fatima Oussedik, sociologue algérienne, Songue Diouf philosophe sénégalais et Florent Couao-Zotti du Bénin ont animé mercredi après-midi, à l'Espace Afrique, une passionnante table ronde commémorant les dix ans de disparition de la grande figure de lutte contre l'Appartheid et ancien président de l'Afrique du Sud à savoir Nelson Madiba Mandela, rappelant toute l'importance que représente ce dernier à l'échelle du monde et sa relation avec l'Algérie. Une commémoration qui, rappelons-le, a eu lieu un premier novembre 2023. Une façon de sceller notre histoire commune dans la lutte contre le colonialisme et asservissement des peuples, que ce soit en Afrique ou dans le monde entier. Un signe fort de solidarité symbolique qui relia toutes les interventions qui rappelleront aussi l'amitié proche qu'entrenaît Nelson Mandela «l'inspirateur de plusieurs causes» auprès de «l'Algérie qui a été un soutien décisif dans son aventure politique» dira l'écrivain sénégalais et modérateur de la table ronde Souleymane El Gas. C'est ce qu'entreprendra à démontrer Hassan Amroun en retraçant le parcours historique de l'Afrique du Sud, conjointement lié à celui de l'Algérie. Mandela et son rapport indéfectible à l'Algérie Hassan Remaoun abordera la thématique sous trois aspects complémentaires, à savoir la préhistoire de cette relation, c'est- à-dire comment le contact va s'opérer entre l'Algérie et l'Afrique du SSud, ensuite des relations qui vont se nouer notamment autour du combat commun et enfin il expliquera comment ont évolué ces rapports. «Les Algériens qui vont s'intéresser à ce qui se passe dans la frontière du sud du Sahara, vont prendre contact avec les pays récemment indépendants à l'époque et se fixer des objectifs. Avec le déclenchement de la lutte pour l'indépendance en 1954-1955, les choses vont se précipiter. L'intérêt de l'Algérie pour la communauté subsaharienne va émerger en 1958, avec la construction de la communauté franco-africaine. Les Algériens vont s'intéresser à l'Afrique du Sud tout en essayant de comprendre l'Apartheid, mais aussi l'opposition entre les deux mouvements nationaux de Afrique du Sud, l'Africain national congres et le pan-Africain Congres, l'un plus libéral que l'autre. Du côté de l'ANC il y a un intérêt pour l'Algérie parce qu'on considère qu'il y a des situations relativement similaires. A partir de 1959-1960, une partie de l'Africain National Congres va décider de passer à la lutte armée, c'est à ce moment là, que Nelson Mandela est chargé de monter une organisation. Nelson Mandela va s'intéresser aux luttes d'indépendance, ce qui s'est passé en Ethiopie, au Cameroun en Algérie. Il va se lancer dans une tournée en Afrique. Il sort clandestinement de l'Afrique du Sud et fait fin 1961 une tournée à travers certains pays des Etats africains et découvre ce que s'est que les Etats africains Indépendants en 1962. Il va être impressionné par ce qui se fait en Algérie, il va aller au Maroc et visite la base du FLN à Oujda. Il assiste à un défilé en l'honneur de Ben Bella et ses compagnons qui ont été libérés en mars 1961. Il s'intéressera à l'expérience de l'Algérie en souhaitant que son armée ressemblera un jour à celle de l'Algérie. À cette époque, Mandela suivra une initiation à un certain nombre d'armes et d'explosifs et va continuer sa formation en Ethiopie. Il rentre en Afrique du Sud et il est arrêté. «L'organisation militaire est démantelée. Les relations avec l'Algérie vont se poursuivre entre l' Afrique du Sud et l'Algérie. Cette dernière entreprend, entre- temps, la formation des maquisards sud- africains. En 1974, un événement important se passe aux Nations unies, l'Assemblée générale décide d'expulser la délégation sud-africaine, malgré la défense des gouvernements occidentaux. Une personnalité importante va jouer un rôle fondamental en tranchant avec fermeté. C'est Abdelaziz Bouteflika qui était président de l'Assemblée géénérale. Depuis ce temps, là, les relations entre l'Afrique du Sud et l'Algérie se sont poursuivies jusqu'à nos jours, en étant toujours au diapason, que ce soit pour la question palestinienne, ou du Sahara occidental...» Wini et la notion de violence dans la guerre Pour Fatima Ouessedik, la jeunesse et la population algérienne connaissent bien sûr Nelson Mandela. «Ici c'est un personnage de référence forte, précisément dans ces temps obsucres où l'on observe en Palestine une espèce de nettoyage ethnique, une telle cruauté barbare...» Fatima Ouessedik choisira de parler de Wini Mandela «celle qui épousa Nelson qui vient d'une culture patriarcale où le père est une figure mise en valeur. Durant toute la période d'emprisonnement de Nelson, elle a maintenu vibrante cette figure de chef de tribu quasiment, que pouvait représenter Nelson Mandela qui, à la sortie de prison, a occupé ses habits d'ancien chef de groupe». Et de poursuivre: «Elle a travaillé à la légende de Nelson. On a dit qu'elle était violente. Il faut juste se rappeler que c'est Nelson Mandela avec Walter Suzuki et Oliver Tombo qui ont remis la violence dans l'ANC (Congrès national africain), ce vieux parti de 1912, qu'ils ont réhabilité en 1944 et à trois ont fait revenir la question de la violence au centre du combat et c'est pour cela que Mandela a été mis en prison parce qu'il était porteur de cette revendication consistant à dire que la décolonisation ne peut se faire que par la violence. Une fois sorti de prison, il fallait le faire débarrasser de cette violence et c'est Winni Mandela à qui on va faire porter ce lourd fardeau de la violence révolutionnaire. Elle a été traitée comme une part maudite, mais lui jamais. Un homme porté par une femme que la société a rejetée en l'investissant de sa part de violence..» Prenant la parole, Verónica González Laporte s'emploiera, pour sa part, à démontrer le rapport politique qui unifia l'Afrique du Sud au Mexique, en indiquant que la première fois où Nelson Mandela a visité le Mexique, une seule fois, fut le 29 juillet 1991, accompagné de son épouse Wini, il était âgé de 73 ans, dont 27 années passées en prison. Cette même année le prix Nobel de littérature a été donné à l'écrivaine sud-africaine Nadine Gordimère, qui était bien évidemment censurée pour ses critiques contre l'apartheid en assurant que les ségrégations politiques dans son pays n'ont pas commencé en 1948 mais plusieurs siècles auparavant. L'Algérie un modèle pour Mandela Et de souligner: «L'histoire de mon pays est celle d'un pays tout aussi colonisé, colonisé quelques siècles auparavant par les Espagnols. C'est un pays aux différentes cultures ethniques soumises à une hégémonie linguistique et religieuse qui a toujours été contre la colonisation et cela depuis la fondation de l'ONU et jusqu'à nos jours. Il va sans dire aussi que le Mexique a fermement soutenu aussi le FLN, la guerre de libération algérienne. L'Algérie est donc un allié très apprécié, un compagnon proche dans les forums internationaux, en faveur des causes justes des pays du tiers-monde, tels que les mouvements des G7 ou des pays non alignés. L'intervenante mexicaine rappellera, aussi, qu'aujourd'hui, l'Afrique du Sud est le premier partenaire commercial du Mexique du continent africain. L'Afrique et l'Amérique se rencontreront lors de la colonisation européenne. Ce fut le trafic d'esclaves qui démarrera au XVIeme siècle qui les rapprocha. Un héritage évident. Elle rappellera que le Mexique partage avec l'Afrique les mêmes préoccupations contre la ségrégation et le racisme. «Nelson Mandela reste encore cette figure emblématique de la résistance de la lutte pour la dignité humaine et de la réconciliation et du combat contre les inégalités». Victor Bouadjio indiquera quant à lui que, jeune, il se souvient que l'Algérie était un symbole de lutte de libération. Et de se demander: «Que serait-il passé dans le monde si Nelson Mandela n'avait pas existé» «Où en serait l'Apartheid aujourd'hui?». À propos de la Palestine, il se demandera si les écrivains juifs et palestiniens arrivent à se rencontrer et pourraient un jour écrire ensemble sur leur guerre sans fin. «Israël et leur alliés, aux EEats Unis ont une longueur d'avance sur comment contenir l'opinion publique. Peut- être qu'il manque un travail commun entre les penseurs palestiniens et israéliens pour pouvoir changer la mentalité et la conscience universelle..». Pour le philosophe Songue Diouf, ce que l'on retiendra fondamentalement de Nelson Mandela est sa puissance de fédération d'un point de vue symbolique car il a su illustrer ce que peut représenter enfin l'Afrique et l'Africain. Là, où tout le monde a échoué à être africain, Nelson Mandela a bâti une symbolique forte poussant l'Africain à se dire au moins j'existe, parce que, par-delà les frontières, quelqu'un a su incarner les valeurs de l'humain d'un point de vue universel.» Toutefois, le philosophie marquera un bémol, soulignant que «Nelson Mandela est notre plus grosse névrose, car c'est aussi une façon de nous enfermer dans une quête identitaire, par conséquent je suis pour la «démandélisation». Je n'aime pas cette façon de le momifier. C'est à partir de la destruction de nos momies que nous pourrons avoir une Afrique nouvelle et créative et contemporaine». Enfin, Benaouda Lebdai, dira, de son côté, que si la date du premier novembre a été choisie pour honorer Mandela ce n'est pas un hasard. Elle a été mûrement réfléchie dans la mesure où la révolution algérienne, la guerre de libération a beaucoup inspiré Nelson Mandela» Et d'ajouter: «Quand il est devenu président, il a décidé que son premier déplacement à l'étranger devait être l'Algérie. Le commémorer aujourd'hui n'ai que justice pour sa mémoire et sa vie de militant, son engagement sans relâche pour la défense des droits fondamentaux des subalternes noirs, métis et indiens sud-africains. Il avait aussi ce génie de provoquer une réconciliation entre les Blancs qui n'avaient pas de sang sur les mains et les Noirs. Sa vision du monde était basée sur la philosophie du vivre ensemble. L'image du couple historique sortant de prison est devenu un symbole fort pour les peuples opprimés de la planète, mais on voit aujourd'hui, par rapport à ce que nous vivons en Palestine que la leçon n'a pas été apprise».