Le large espace saharo-saharien séduit et fait peur aux investisseurs étrangers, soucieux de mettre leurs capitaux dans des circuits porteurs et sécurisés à la fois. Un des derniers numéros de L'Economiste traite de la question de l'investissement dans les régions du sud du Maghreb. Le Maroc semble avoir déjà perdu plusieurs marchés, alors que l'Algérie, malgré des attraits certains, n'arrive pas à capter l'intérêt des investisseurs étrangers qui suivent l'évolution sécuritaire dans le sud de l'Algérie avec une certaine appréhension. Selon le professeur Aymeric Chauprade, qui parle de cette question sous le titre édifiant de «Sahara, le risque des zones grises». la région saharienne suscite dans le monde de nombreuses inquiétudes. La prolifération de mouvements terroristes, le développement des filières criminelles, l'explosion de l'immigration clandestine en provenance d'Afrique subsaharienne et en direction de l'Union européenne, sont autant de phénomènes qui font l'objet de nombreuses études aujourd'hui, et qui poussent les Etats à proposer des solutions sécuritaires de plus en plus fortes. Ces dernières années, les Etats-Unis ont développé, dans le but d'éliminer l'activité de mouvements comme le Groupement salafiste pour la prédication et le combat, une coopération sous-régionale avec une dizaine d'Etats de la frange subsaharienne, dont le Maroc et l'Algérie. Les Européens, eux, en plus du terrorisme, sont particulièrement inquiets, aujourd'hui, de l'accélération phénoménale des flux d'immigration clandestine, et vous savez que les Canaries connaissent une réelle déstabilisation à cause de cette accélération forte. La région saharienne dans son ensemble est analysée, aux Etats-Unis et en Europe, comme étant en voie de criminalisation. Or, nous savons que, sur un même théâtre géographique, les facteurs géopolitiques se combinent toujours entre eux dans la pire des alchimies. Toute l'attention de Washington se trouve -sincèrement ou par intérêt- braquée sur le sud de l'Algérie et sur la vaste bande frontalière. Les Etats-Unis avaient, en fait, commencé à s'intéresser à cette région au lendemain de la «guerre totale» engagée par les Etats-Unis et la dispersion des cadres d'Al Qaîda et de ses sympathisants un peu partout dans le monde. On avait vite fait de croire que les salafistes pouvaient avoir des incursions à partir de l'Algérie vers le Mali, le Niger, la Mauritanie (qui avait accusé, il y a un peu plus d'un an le Gspc d'être l'instigateur de l'attentat de Lemgheity, thèse qui sera perturbée quelques semaines plus tard), et toutes ces bribes d'idées avaient fini par conforter les experts militaires américains que cette bande du Sahel, longue de plusieurs milliers de kilomètres et qui va de la Mauritanie au Tchad et à la Somalie en passant par le Mali et le Niger, finira par constituer une «rampe de lancement» pour les futurs groupes armés. La capture des islamistes africains, menés par Amari Saïfi, dans la zone de guerre du Tibesti a fini par faire croire définitivement que la bande du Sahel, déjà infestée de groupes rebelles, d'opposants armés, de Touareg sécessionnistes et de contrebandiers constitués en bandes mafieuses, risque de se voir encore encombrée d'islamistes qui se retrouveraient aux portes de l'Europe dès qu'ils passeraient les frontières nord. Le plan américain Pan-Sahel Initiative (PSI), élaboré par Washington vers cette date, est un vaste programme dont l'objectif est d'endiguer toute menace terroriste venant du Sahel. D'où tout l'intérêt porté aujourd'hui à l'Algérie qui possède déjà sur place hommes et logistique militaire. D'aucuns affirment que les Etats-Unis avec leurs drones et leurs satellites ne sont jamais loin. Outre les satellites espions, les Etats-Unis utilisent des avions de reconnaissance Orion P3. Quant au problème de la contamination islamiste du Polisario, le président de la République sahraouie, Abdelaziz, qui, dans un entretien publié par L'Expression du 23 août 2005, avouait qu'«il se peut qu'il puisse se trouver de jeunes Sahraouis intéressés par l'islamisme radical». L'évolution géopolitique des régions sahariennes est donc de plus en plus inquiétante pour la sécurité de tous les Etats de la région, du Maghreb comme d'Afrique subsaharienne et, -nous l'avons vu aussi- les Etats occidentaux. Le recul du terrorisme et des flux illicites d'hommes et de marchandises passe forcément par la consolidation des souverainetés étatiques dans la zone. Il va falloir choisir entre zone de souveraineté forte ou zone grise. On peut en déduire aussi que cette zone, malgré tous ses attraits, continuera à souffrir de l'isolement, car ni les Américains ni les Européens n'accepteront de laisser sans traitement les causes de phénomènes qui les déstabilisent, qu'il s'agisse de terrorisme ou d'immigration clandestine.