De 1996 à sa mort, Antar Zouabri, dit Abou-Talha, a fini par devenir un authentique mythe vivant. Le plus sanguinaire, le plus contesté et le plus controversé des dix émirs du GIA aura été un véritable cauchemar autant pour les citoyens que pour les services de sécurité. En fait, c'est par un heureux concours de circonstances qu'il se retrouve propulsé à la tête du GIA. Cet adolescent vigoureux et déterminé a été dans la proche garde de Djamel Zitouni, l'émir du GIA qui avait atteint le « pic de la gloire » avec le détournement de l'Airbus français, l'enlèvement, puis la décapitation des sept moines trappistes, l'extermination des éléments djazaâristes, etc. Le 17 juillet 1996, Djamel Zitouni est tué dans une embuscade tendue par les hommes de Ali Benhadjar, qui vient de créer sa propre organisation, la Lidd, Zouabri accède, par sa détermination et sa violence, plus que par son charisme ou son esprit, à la tête du GIA. Ce grand garçon de vingt-six ans - il est né un 15 octobre 1970 - qui chômait au domicile de ses parents, sis au domaine Souidani-Boudjemaâ, à Boufarik, va se trouver à la tête de plusieurs milliers d'hommes. Il devient l'émir national du GIA et occupe pratiquement tous les coins, tous les maquis du pays. En 1997, il commet une série de massacres collectifs qui donnent la chair de poule. A Had Chkala, Bentalha, Raïs et Beni Messous, c'est l'horreur poussée à ses dernières limites. Au crime, «par la lame et par le feu», il allie le viol, le vol des bijoux et de l'argent, le rapt et les tribunaux des maquis. La plupart de ses soutiens s'en démarquent. Benhadjar avait créé auparavant la Lidd, Kertali crée le Mipd, l'AIS prend ses distances, Abou Qotada, son muphti à Londres, le laisse tomber pour un autre émir, Hassan Hattab, qui crée le Gspc. C'est l'atomisation du GIA. Désormais, on parlera des GIA au pluriel. Des fractions issues du GIA originel, continuent à activer à l'Ouest à ce jour, tels Houmet ed-daâwa es-salafia (ex-El-Ahoual), etc. La désagrégation du GIA se fait doucement, lentement, mais irréversiblement. En juin 2001, il est à la tête de moins de 100 hommes, disséminés entre Blida, Médéa et Khemis Miliana. Antar Zouabri est désormais un émir déchu qui vit de brigandage, de bricolage et d'attentats épisodiques. La poussée des militaires grignote les rares fiefs du GIA. Zouabri, désormais, privilégie la guérilla urbaine, les réseaux dormants au pied de la Mitidja et les attentats à la bombe perpétrés à la périphérie d'Alger. C'est ainsi qu'il a continué à survivre jusqu'à avant-hier. Le corps squelettique et le visage émacié de cet émir déchu reflète la lente agonie de sa katibat el-khadra, garde prétorienne de quatorze hommes armés qu'il continuait à diriger, au gré des échecs et des traques. En 1996, quelques mois après son intronisation à la tête du GIA, il préfaçait l'opuscule Es-Saïf el-Battar («L'Epée tranchante, en réponse à ceux qui ont frappé dans le dos les pieux de la guerre sainte et se sont installés chez les impies») de son dhabît char'î, Abou Moundhir. Dans cette préface, il se posait en champion du salafisme, en continuateur de l'oeuvre de Djamel Zitouni et affirmait que l'Algérie était la «terre du djihad» par excellence et le GIA était le porte-drapeau de cette guerre. Hier, figé dans un rictus douloureux, il donnait enfin la juste mesure de ce qu'il était réellement. Un desperado des temps modernes, un petit voyou rendu fou par la volonté de devenir un grand caïd.