Bouhdid est une ville au coeur de la ville d'Annaba. Ce bidonville est une communauté à part. En ce mois de piété et de miséricorde, nous avons jugé utile de rendre visite aux habitants du bidonville de Bouhdid, l'un des plus grands «ghetto», si l'on ose dire, de la wilaya d'Annaba, où nous avons tenté de connaître le quotidien d'une soirée ramadhanesque. Le coeur n'y est pas ou n'y est plus à Sidi Bouhdid où plus de 700 familles y vivent encore. Elles sont là à croupir sous les plaques de tôle. Elles attendent l'heure de la délivrance, celle de voir un jour le miracle à travers l'attribution d'un toit décent. Un logement, le moins qu'on puisse dire, convenable. L'espoir demeure toujours pour les uns, surtout depuis l'arrivée de l'actuel wali. Mais ce même espoir s'évapore pour les autres qui jugent que depuis son installation à la tête de la wilaya d'Annaba, depuis un an et demi, et depuis sa première et unique visite sur les lieux, il n'a rien fait pour eux. Les familles du bidonville de Bouhdid vivent le même calvaire à partager un robinet, un WC et un espoir commun. Ces familles nous font part sans cesse de leur détresse les jours d'intempérie, de canicule, de maladies chroniques qui affectent leurs enfants depuis leur naissance, de la déperdition scolaire qui avoisine les 90%; même complainte, même douleur pour tous les habitants. A l'entrée et tout autour de cette «décharge humaine», les amas d'ordures nauséabondes s'offrent comme décor à la vue du visiteur. Selon toute vraisemblance, le service de nettoiement de la commune oublie, volontairement, de faire une tournée, obligeant ainsi les habitants au nettoiement, par eux-mêmes, en brûlant leurs détritus qui dégagent une odeur insupportable qu'ils respirent bon gré, mal gré. «Aucun responsable parmi les élus n'est venu s'enquérir de notre situation», rétorque un groupe d'hommes. «Mais ils seront là lors des prochaines élections pour nous promettre logements et travail, c'est une certitude», dira un jeune, pendant qu'un autre ajoutera: «C'est pour bientôt les élections, ils ont commencé leur défilé de guignol et campagne de mensonges», avec un soupir qui en dit long. La rupture du jeûne annoncée, les membres d'une famille se mettent autour d'une meïda pour les plus âgés, et à même le sol pour les petits dans l'unique pièce qui constitue «l'appartement» de toute la famille, composée de huit membres. Le f'tour du Ramadhan n'a pas le même goût, bien que la maîtresse de maison s'est dévouée à le préparer avec les mêmes ingrédients utilisés par toutes les ménagères. En apparence, les habitants du bidonville ont perdu le goût à toute chose, même le goût des légumes frais et la saveur de la viande fraîche. Une fois le maigre menu consommé, tous les membres de la famille, sauf la maîtresse du taudis et les petites filles, se dispersent dans les artères de leur petite ville. Les jeunes se donnent à leurs jeux favoris, dominos, cartes; les plus âgés renforcent leur foi dans le rituel des tarawihs afin de trouver la force de supporter le poids d'un tel mode de vie. Quant aux femmes, elles échappent à leurs baraques et rendent visite à des amis ou proches habitant quelque part dans un petit confort qui les ferait rêver le temps d'une veillée ramadhanesque, pour rentrer un peu plus tôt que les «maîtres de baraques», affronter la rude réalité d'une vie dans un bidonville, ressemblant à des lépreux que l'on condamne à mourir seuls. Le dernier mot revient à l'un des plus anciens habitants du bidonville de Sidi Bouhdid, rencontré à la sortie. Celui-ci n'arrive pas à comprendre, nous dit-il, «pourquoi les élus locaux refusent de prendre part à nos repas et refusent de se baigner avec nous dans ce lac de misère, sauf pour le wali qui, depuis son installation, nous a rendu visite une seule fois et c'est tant mieux pour nous, l'espoir nous fait vivre».