Les nouvelles idées véhiculées par l'Instance exécutive font avancer peu à peu le débat à l'intérieur de la mouvance islamiste. Le leader islamiste, Rabah Kebir, président de l'instance exécutive du parti dissous à l'étranger, rencontrera aujourd'hui Louisa Hanoune, poursuivant ainsi, par le biais de ces contacts, un agenda des plus chargés depuis son retour d'Allemagne. En moins d'un mois, donc, Kebir, en compagnie de ses collaborateurs, notamment Abdelkrim Ghemati et Abdelkrim Ould Adda, a rencontré, tour à tour, Abedlhamid Mehri, Abderrahmane Chibane, Boujerra Soltani et Abdelaziz Belkhadem. Le groupe Kebir, après un long passage dans les démocraties occidentales, est en train de fournir de nouvelles idées qui peuvent faire avancer les choses au sein de la mouvance islamiste, vers plus de légalisme et de modération, en même temps que l'on sent qu'il pousse la réflexion politico-religieuse vers ce que Madani Mezrag appelle la grande famille «islamo-nationaliste». Le retour de Kebir, les nouvelles idées qu'il avait émises et le large débat qu'il a suscité au sein de la classe politique et au sein de la mouvance islamiste, ont réactivé le climat léthargique qui marquait le quotidien de la classe politique et de l'opposition. Partagés entre observation et hostilité, les partis ont tout de suite réagi au retour des chefs du parti dissous, chacun selon ce que lui dictait son idéologie ou son positionnement du moment. Mais tous avaient pu, à loisir, constater que les membres de l'Instance exécutive à l'étranger sont revenus avec des idées nouvelles et novatrices à la fois, et qui tendent, à la fois, vers une autocritique objective et sans complaisance de la mouvance islamiste elle-meme, et s'articulent autour de la citoyenneté, le retour à la légalité institutionnelle par une juste évaluation du contexte politique passé et présent et une équitable réconciliation nationale. Les idées émises par cette Instance, et qui ont fait jaser autant Ali Benhadj, Abassi Madani ou Abdelkader Boukhamkham, ont eu l'effet de faire avancer la réflexion politique du courant islamiste vers plus de légalisme. Même si certains estiment qu'il faut discuter dans le cadre des «historiques» du parti dissous, ces mêmes chefs changent d'avis peu à peu, sous l'influence d'une réalité qui dépasse tout le monde, et Abassi Madani lui-même a reconnu, il y a quelques jours, qu'effectivement, il y avait d'autres moyens que le FIS, pour s'exprimer. Dans une déclaration qu'il nous avait faite, Kebir disait: J'ai toujours dit, et là je m'engage personnellement, que le FIS était un moyen, non une fin en soi. Ce moyen qui était le FIS a fait son chemin, a eu son temps et a pris fin. Sur la base des révisions dont nous avions discuté, tout à l'heure, il y a lieu de procéder à l'élaboration de nouvelles thèses sur la base de nouvelles règles. Je pourrais concevoir de continuer à travailler avec certaines démarches qui avaient prouvé leur efficacité et leur justesse, mais il faut rejeter ce qui a mal fonctionné. Maintenant, s'il se trouve encore des hommes qui estiment que tout notre passif était bien ou qu'il est sacré, à commencer par le sigle du parti, qu'ils assument ce point de vue en portant ses responsabilités. C'est pourquoi la forme de formulation politique islamiste, qui s'était appuyée principalement sur la confrontation (moughâlaba) doit, désormais, céder la place à une autre forme de formulation pacifique (moutâlaba). Le nouveau discours de Kebir s'articulera désormais sur une approche «conventionnelle» de la politique: «Ce sera donc moutâlaba, moutâlaba, moutâlaba, et s'il y a moughâlaba, qu'elle soit alors pacifique, légale et dans le cadre des règles établies. Voilà donc, en grosses lignes, en quoi consistera notre démarche (...) Oui, je vous dis que les donnes ont changé et notre discours et notre action ont évolué de manière positive.» Abdelkrim Ould Adda lui aussi avait émis des opinions nouvelles: «Après des années passées dans les démocraties occidentales, nous avons élaboré de nouvelles idées, avec de nouveaux moyens, et ce sera désormais la confrontation politique, pacifique et légale. Nous refuserons de jouer en dehors de ce cadre-là. Je tiens à rassurer autant notre base et nos partenaires politiques que les autorités elles-mêmes, que notre action, dans le futur, s'inscrira dans ce cadre précis, conformément aux normes et aux règles politiques du pays. Il y a un seuil auquel nous devons aspirer tous et qui s'appelle la citoyenneté. Tant que nous n'avons pas encore atteint ce seuil, avec tout ce qu'il véhicule en droits et en devoirs, nous ne serons pas assez prêts pour faire de la politique.» Le débat politique proposé par l'Instance exécutive, pour peu qu'il soit appuyé, peut faire évoluer les choses vers plus de sérénité dans les rapports souvent houleux, voire explosifs entre les autorités et les islamistes. Les rencontres qui se sont succédé et les contacts établis au plus haut point sont, pour les observateurs, un signe qui ne trompe pas: les autorités cherchent, elles aussi, à pousser l'islamisme vers cette voie de légalité et de négociation.