Ambassadeur sortant de la Commission européenne, Lucio Guerrato est un fin érudit. Il nous l'a prouvé avec ses deux livres... Les naufrages de ma mémoire, Divagations philatéliques et Qu'est-ce que je vais écrire la semaine prochaine? (Mes fables préférées) sont respectueusement les titres de deux livres publiés, l'un en 2004 aux éditions Casbah et l'autre, cette année, aux éditions Dar El Gharb, après avoir paru dans le Quotidien d'Oran et obtenu un grand succès. Deux styles d'écriture différents. L'un portant des biographies de personnages célèbres ou tragiques, l'autre narrant les aventures truculentes, bizarres ou singulières extirpées de sa bibliothèque ou de la vie quotidienne. Enfin, tous deux dénoncent à force détail l'absurdité de la condition humaine et ses avatars. Deux livres intéressants à lire, l'ambassadeur de la Commission européenne a bien pris la peine de signer, lors d'une sympathique vente-dédicace organisée à la fin du mois de Ramadhan, où il s'est prêté volontiers à nos questions, à la librairie du Tiers-Monde. L'Expression: Qu'est-ce qui pousse l'ambassadeur à Alger de la Commission européenne à écrire et à se faire publier, et notamment dans un journal? Lucio Guerrato: Au départ, c'était juste une idée. Tout le monde a envie d'écrire quelque chose. J'ai commencé à écrire par plaisir personnel d'abord, ensuite poussé par un public, notamment du Quotidien d'Oran. Après, j'ai eu l'idée de mettre mon adresse mail et j'ai reçu énormément de réponses, dont beaucoup affectueuses. Que ce soit dans Les naufragés de ma mémoire ou dans Qu'est-ce que je vais écrire la semaine prochaine? On constate une certaine dénonciation de l'absurdité humaine. Vous dites vous inspirer du réel ou à partir d'un texte que vous dénichez dans votre bibliothèque et qui sera le matériau de base de vos fables? Pourriez-vous nous éclairer là-dessus? Disons que dans Les naufragés de ma mémoire, c'est plus compact. Il y a des histoires parfois tragiques, d'autres absurdes, effectivement, c'est ce qui m'a toujours attiré. C'est comment la vie peut vous faire des «blagues», pas spécialement agréables. J'évoque ainsi en couverture de livre, un colonel qui était un personnage tout à fait horrible, terreur des Afghans, qui a été gouverneur de Peshawar. Un homme sans pitié qui tuait sans vergogne. Eh bien, il sera tué à son tour par une fille dont il était tombé amoureux et qui l'empoisonnera. L'ironie du sort. Ceci est l'un des fils conducteurs de Les naufragés de ma mémoire. J'avais écrit ce livre en 2004. Au début, c'était une histoire par jour durant le mois de Ramadhan. En les écrivant, je me suis rendu compte qu'elles étaient un peu longues. Je l'ai passé à des amis pour connaître leur avis car de plus, je vous signale que le français, n'est pas ma langue. J'ai été sollicité par le directeur du Quotidien d'Oran et celui de Casbah Editions. Il ne fallait pas que cela soit les mêmes écrits. J'ai commencé à faire passer quelques-unes dans le Quotidien d'Oran, jusqu'à ce que cela se transforme à la fin en une petite obsession. Dans Les naufragés de ma mémoire, ce sont toutes des biographies de personnages bizarres et un peu uniques. Dans Qu'est-ce que je vais écrire la semaine prochaine?, il y a quelques biographies, mais les thématiques sont souvent différentes. Sans donner de recette, je parle de cuisine, d'usages alimentaires et de quelques curiosités. Ça part du concours, de manger des poivrons rouges jusqu'à la recette particulièrement compliquée de la soupe de tortue, comme on la faisait au XVIIe siècle. Toutes mes histoires sont, en fait, réelles et authentiques. Il n'y a pas de fantaisie. Ce sont des histoires dont je me rappelle aussi de mémoire... Justement, qu'est-ce que vous entendez par Les naufragés de ma mémoire? Quand vous parlez de naufragé, vous pouvez le représenter sous deux formes différentes. C'est d'abord celui qui tombe en mer quand le bateau coule à pic et disparaît, mais au fond, un naufragé c'est aussi celui dont le bateau a coulé à pic, mais réussi à s'en sortir, notamment en s'agrippant à un morceau de bois, etc. C'est un peu le processus avec ma mémoire. De temps en temps, surgit de ma mémoire quelque chose que je repêche, je l'habille, l'étudie, fais une recherche autour jusqu'à ce qu'elle prenne une apparence ou une forme présentable. Dans les deux livres, j'aborde aussi deux styles d'écriture. Dans Qu'est-ce que je vais écrire la semaine prochaine?, j'étais libre. Au cours d'une conversation, je regarde de jolies boucles d'oreille. Et puis, je me demande: au fond, quelle est l'histoire des boucles d'oreille, et j'oriente mes recherches là-dessus par rapport à l'histoire notamment, et je construis ainsi sur cette base mon article. J'essaie de donner des réponses à des questions singulières en leur apportant des détails amusants par des explications. La petite boucle d'or provient des compagnons des Tours de France qui sont maîtres-artisans. J'ai, en fait, une mémoire associative, je préfère sautiller d'un sujet à un autre, plutôt que de m'agripper à quelque chose et la disséquer. Je n'aime pas trop l'analyse approfondie parce qu'à la fin, on ne voit plus rien. J'aime bien le regard circulaire. On croit savoir que vous êtes en préparation d'un troisième livre... Oui, c'est un livre qui dérive d'un article que j'ai écrit, il y a 7 ou 8 ans, quand j'étais au Maroc. Je suis tombé sur quelque chose qui m'a frappé. Je suis tombé sur un texte étrange qui narre le voyage de Dante dans l'au-delà, c'est-à-dire dans son poème, en Enfer, le Purgatoire et le Paradis. D'après un arabisant espagnol, Dante se serait inspiré dans son poème du mirage, du voyage nocturne du Prophète. La polémique est née en 1919 et depuis, on continue à discuter autour de cette affaire. Je raconte aussi dans ce livre cette polémique qui a duré un siècle. Pour moi, l'essentiel est comment raconter cette histoire, c'est-à-dire comme je vous la raconte maintenant, non pas de façon érudite, mais en narrant les conditions dans lesquelles j'ai découvert cette histoire. C'est le combat interculturel que charrie cette histoire qui m'a intéressé. Tout le monde ignore, par exemple, qu'au moment où on se battait, en Espagne et en Palestine, au temps de la reconquista espagnole et des Croisades, il y avait, en Europe, une véritable arabomanie. Les gens étaient passionnés de tout ce qui était arabe. Le sujet du livre était aussi de montrer ce passage d'une culture à l'autre et ce que les gens en pensaient.