Quand, comment? C'est le dilemme qui se pose au pouvoir qui ne semble pas avoir mesuré tous les effets induits par une telle initiative. Faut-il s'appesantir sur le report du référendum sur la Constitution? Faut-il, d'autre part, focaliser et/ou spéculer sur les intentions de Bouteflika dans la perspective d'assurer sa «postérité» comme l'affirment d'aucuns? D'abord, pourquoi maintenant, comment envisage-t-on cette révision et par qui va-t-elle être diligentée? Beaucoup de questions en fait, dont les réponses ne sont pas évidentes. Ces interrogations sont d'autant plus pertinentes -qu'il semble- que le premier magistrat du pays ait renoncé en dernière minute à convoquer le corps électoral pour faire approuver les amendements qui devaient être apportés à la Constitution. De fait, la révision de la Constitution est un sujet par trop sérieux pour le devenir de la Nation pour faire les choses dans la précipitation ou la limiter aux seules décisions d'un homme, aussi charismatique soit-il. En effet, une Constitution, ou loi fondamentale, engage pour une période plus ou moins longue, l'ensemble de la nation en vue de la construction de l'Etat, et dès lors, doit faire l'objet de toute l'attention que mérite cet événement et du temps, tout le temps qu'il faut, pour le mener à son terme. Aussi, une Constitution ne peut dépendre -comme semblent le suggérer nombre de commentateurs qui ont écrit ces derniers jours sur le sujet- de la seule humeur ou desiderata d'un homme, fût-il le premier magistrat du pays qui a, toutefois, les prérogatives d'ordonner une telle révision de la loi fondamentale, comme le précise l'article 174 de l'actuelle Constitution. Cela certes, dans l'optique d'un fonctionnement normal des lois de la République dont la Constitution en reste la toute première. Le Larousse encyclopédique indique que la Constitution est un «Ensemble des lois fondamentales qui établissent la forme d'un gouvernement, règlent les rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif et déterminent l'organisation des pouvoirs publics.» La Constitution a donc pour objectif de formaliser un équilibre entre les pouvoirs du président et des organes de contrôle de l'équilibre des pouvoirs. C'est dire l'importance d'un tel texte dans la vie d'une nation et dans un Etat qui se veut de droit. La Constitution dépasse en effet, de loin, les désirs d'une personne aussi marquante soit-elle, dans les affaires publiques de la nation, ceci, bien entendu, dans un pays où les lois sont applicables, appliquées et au-dessus des personnes. Or, toutes les «discussions» autour de l'éventuelle révision de la Constitution (version de 1996) tournent autour de la personne du chef de l'Etat et de ce qu'il compte faire de la loi fondamentale qui régit la République. Cette approche ambivalente du débat sur ce que pourraient, ou peuvent, être les prochains amendements à la loi fondamentale, conforte en fait la pensée unique et le concept «de l'homme fort» qui est le propre des pouvoirs despotiques. L'Algérie semblait avoir dépassé cette vision ambiguë du pouvoir et s'orienter vers la mise en place d'un véritable Etat de droit où les libertés citoyennes et publiques sont préservées et protégées. En effet, s'il s'agit uniquement d'abroger l'article 74 de la Constitution de 1996 qui stipule que «la durée du mandat présidentiel est de cinq (5) ans, que le Président de la République est rééligible une seule fois», il suffit pour cela de convoquer le Parlement en Congrès qui aura vite fait de faire sauter cet obstacle qui empêche M.Bouteflika de se représenter pour un troisième mandat.(Nonobstant les problèmes de santé du président qui relèvent d'autres paramètres). Aussi, convoquer le peuple pour voter, cela suppose que la révision est sinon totale, à tout le moins concerne une grande partie de la loi fondamentale, justifiant dès lors l'organisation d'un référendum. En effet, l'article 174 de la Constitution de 1996 stipule: «La révision constitutionnelle est décidée à l'initiative du Président de la République. Elle est votée en termes identiques par l'Assemblée Populaire Nationale et le Conseil de la Nation dans les mêmes conditions qu'un texte législatif. Elle est soumise par référendum à l'approbation du peuple dans les cinquante (50) jours qui suivent son adoption. La révision constitutionnelle, approuvée par le peuple, est promulguée par le Président de la République.» Ce qui veut dire qu'avant d'être soumise à référendum, la révision constitutionnelle doit d'abord être approuvée par le Parlement réuni en Congrès. Le référendum est en gros, faire voter un texte de loi dans les mêmes termes par les députés et les sénateurs, et le faire ratifier par le peuple. Suivant l'article 174 de l'actuelle loi fondamentale, il est quasiment impossible d'organiser dans les temps impartis, compte tenu des échéances électorales de 2007, un référendum pour une révision constitutionnelle. Mais, il apparaît qu'il ne s'agit ni de la première hypothèse, (amendement de l'article 74) ni celle d'une réorganisation en profondeur de l'actuelle Constitution. Alors de quoi s'agit-il? C'est là où l'on retombe dans l'opacité qui est le propre des régimes autoritaires et singulièrement des hommes «providentiels» qui estiment être au-dessus des lois de leur pays et promis à un destin exceptionnel. L'Algérie en est-elle toujours à ce stade de pensée alors qu'on pouvait estimer que les épreuves qu'elle a vécues durant les années 90 lui ont donné d'élargir sa vision de la réalité des chosesqui la mettent en position de mieux appréhender son avenir pour construire un Etat qui rompt avec des concepts rétrogrades, qui ont eu les retombées négatives que l'ont sait pour le pays tout au long de plus de quatre décennies d'indépendance? Une Constitution est généralement un choix de régime, choix qui doit être en adéquation avec ce que veut le peuple et plus largement s'inscrire dans l'environnement géostratégique dans lequel s'insère le pays. Quel régime est aujourd'hui le mieux approprié dans le cas d'un pays comme l'Algérie? Une question difficile à laquelle aucun homme ne peut, seul, y apporter les réponses qui soient en phase avec l'expérience qui est celle de l'Algérie. En réalité, dans le contexte qui est celui de notre pays, la mise en place d'une Assemblée constituante aurait été la réponse la plus juste et la plus à même de donner les réponses attendues par les Algériennes et les Algériens. En effet, pour conforter le pluralisme et la démocratie dans notre pays, une Assemblée constituante reste incontournable. Mais c'est là, un débat en suspens depuis l'échec de la première Assemblée constituante de septembre 1963. Dans son ouvrage De l'esprit des lois, Montesquieu a envisagé trois formes possibles de pouvoirs ou types de gouvernement: la république, la monarchie et le despotisme. Où se situe le régime le plus adapté dans le cas de l'Algérie? C'est dire que le choix du régime d'un pays ne peut dépendre d'une vision unique ou être laissé au seul jugement d'un homme. En revanche, ce dernier peut, justement dans la perspective de laisser son nom à la postérité, aider à mettre en place des textes de loi qui survivent aux hommes et qui ne soient pas faites sur mesure afin de satisfaire l'ego d'un homme. C'est encore Montesquieu, un aristocrate B.c.b.g. du XVIIIe siècle -on aurait dit de lui aujourd'hui qu'il est branché- qui affirmait déjà: «Pour faire de grandes choses, il ne faut pas être un si grand génie: il ne faut pas être au-dessus des hommes, il faut être avec eux.» Axiome qui a été celui d'hommes considérés comme les pères fondateurs de nations, comme les indépendantistes américains. En effet, les pères fondateurs d'une Nation - les constitutionnalistes américains qui ont donné en 1787 une loi fondamentale exemplaire toujours en vigueur en 2006, ou encore les constituants de l'Assemblée nationale française de 1791, issue des Etats généraux de 1789 qui ont donné au monde le texte sur les droits de l'Homme sont ceux qui laissent derrière eux des lois immuables qui traversent les péripéties de la vie, des guerres et de la politique. Aussi, la loi fondamentale qui concerne au premier chef l'ensemble de la population ne peut faire l'économie d'un débat public ouvert et sérieux autour du devenir de la nation algérienne. Dès lors, en ce début de troisième millénaire, la postérité pour un homme politique c'est encore de laisser derrière lui un texte constitutionnel capable de survivre au temps et servir de modèle aux générations futures.