L'ancien président français Nicolas Sarkozy a-t-il reçu des mallettes bourrées d'argent, envoyées par le Guide libyen, Maamar El Gueddhafi, et remises par un émissaire franco-libanais, Ziad Takieddine? C'est à cette question qu'il va devoir répondre face au tribunal de Paris devant lequel il comparait depuis hier, aux côtés de trois de ses anciens ministres. Dans cette affaire retentissante, l'ancien chef d'Etat est clairement accusé d'avoir bénéficié, par l'intermédiaire de proches, d'un «pacte de corruption», au point que sa campagne électorale à la présidentielle de 2007, couronnée de succès, ne résulte que de cette généreuse contribution libyenne. Dans le pays de la Révolution de 1789 et de la Déclaration des droits de l'homme, la corruption a largement gangrené les arcanes des partis et de certaines institutions, sans pour autant empêcher les personnalités les plus en vue de se poser continuellement en donneurs de leçons auprès des dirigeants et des peuples du continent africain, en premier lieu, et dans d'autres parties du monde. Plus vertueux qu'eux, on meure et c'est précisément ce qu'ils ont signifié à Maamar El Gueddhafi, même si, depuis son exécution programmée et assortie d'une expédition punitive en 2011 par Otan interposé, Nicolas Sarkozy ne cesse de clamer qu'il serait victime d'une «fable»! Mais si fable il y a, quelle pourrait en être la morale, sinon le fait que «tous ceux qui prennent l'épée périront par l'épée»...El Gueddhafi était un dirigeant engagé dans le combat pour la dignité et la souveraineté des peuples arabes et africains et il ne cachait pas son effort pour affranchir le continent d'une néocolonisation rampante. Le calvaire de Sarkozy a commencé trois semaines plus tôt, lorsqu'il a été définitivement condamné pour corruption, dans une autre affaire, à un an de prison ferme sous bracelet électronique. Il comparait donc, cette fois, avec un casier judiciaire pour répondre, d'ici le 10 avril, des chefs de corruption, recel de détournement de fonds publics, financement illégal de campagne et association de malfaiteurs. S'il est reconnu coupable, il encourt 10 ans de prison ferme et 375 000 euros d'amende, ainsi qu'une privation des droits civiques allant jusqu'à 5 ans, ce qui l'écarterait définitivement de toute prétention à l'éligibilité. Il a, pour se consoler, le fait que d'autres hommes politiques, et pas des moindres, ont connu, comme lui, une mésaventure plus ou moins identique, preuve que, dans la maison de Marianne, la morale est une chose et se servir en est une autre. Il aura fallu dix ans d'investigations forcenées pour que les deux magistrats en charge du dossier Sarkozy considèrent, en août 2023, les charges «suffisantes» pour déférer devant le tribunal 12 grands commis de l'Etat, parmi lesquels les anciens ministres Claude Guéant, Brice Hortefeux et Eric Woerth. C'est dire combien il s'agit d'une affaire où il y a eu à boire et à manger, même si elle remonte à près de 40 ans. C'est fin 2005, en effet, que Sarkozy, ministre de l'Intérieur qui se prépare déjà à une candidature à la présidentielle de 2007, rencontre El Gueddhafi, officiellement pour parler d'» immigration irrégulière» (sic). C'est alors que les deux hommes ont convenu d'un «pacte», dit l'accusation, à partir des révélations de sept anciens dirigeants libyens proches du Guide au sujet des visites discrètes à Tripoli de Claude Guéant, directeur de la campagne présidentielle de Sarkozy, et Brice Hortefeux, un proche parmi les proches. Des propos appuyés par les carnets de l'ex-ministre libyen du Pétrole, Choukri Ghanem, retrouvé opportunément noyé dans les eaux du Danube, en 2012! À cela s'ajoute le fait que, dès son entrée à l'Elysée, Sarkozy a accueilli en grande pompe, en décembre 2007, El Gueddhafi qui a planté sa tente dans les jardins de la résidence officielle de l'Hôtel Marigny, pendant que tout le cheptel politique et économique français se frottait les mains devant la perspective de juteux contrats pour des milliards d'euros. Takieddine avait révélé aux juges ses remises de valises «pleines de grosses coupures d'argent» à Claude Guéant et, sur son compte, ils ont retrouvé trois virements pour un total de 6 millions d'euros. De plus, des espèces d'origine inconnue avaient circulé au QG de campagne de Nicolas Sarkozy que le trésorier Eric Woerth explique par des «dons anonymes». Sans doute, l'ancien président et sa défense vont-ils contester toutes les charges, Sarkozy qualifiant toutes ces accusations de «vengeance» du clan El Gueddhafi pour le «soutien» qu'il a apporté à la rébellion contre le Guide, avec comme homme lige le «philosophe» Bernard-Henry Lévy, connu pour ses campagnes de pompier pyromane. Il devra aussi répondre des manoeuvres avec lesquelles une douzaine de mis en cause ont voulu l'innocenter «par des moyens frauduleux», selon l'accusation. Celui que Bernadette Chirac appelait «le traître», depuis qu'il avait tourné le dos à son mentor Jacques Chirac, a beau «détester» François Bayrou et s'enorgueillir d'une «entente cordiale» avec Emmanuel Macron qu'il rencontre «régulièrement, même s'il ne l'écoute pas toujours» entendra résonner, durant tout le procès, la voix de Seïf El Islam, le fils aîné d'El Gueddhafi, qui, en mars 2011, lançait une bombe:» Il faut que Sarkozy rende l'argent qu'il a accepté de la Libye pour financer sa campagne électorale.»