L'Expression: Quelle lecture faites-vous de la crise diplomatique algéro-française? Abdelaziz Ziari: Je crois que cela a du bon, dans la mesure où les parties en présence, aujourd'hui, c'est-à-dire le gouvernement français, l'extrême droite et le lobby sioniste sont derrière cette situation. surtout que la France vit une situation, politique particulière avec les changements de gouvernement et un président de la République affaibli en ce moment. Pour ainsi dire, c'est l'extrême droite et le groupe de pression sioniste qui mènent le jeu en France. Ce sont eux qui orientent aujourd'hui la politique à la fois intérieure et extérieure de la France. Vous savez très bien que l'extrême droite reste toujours nostalgique de l'Algérie française, mais en fait, il y a une grande partie de l'élite en France qui a ce mal du pays et qui rêve du temps jadis, alors qu'aujourd'hui, la France, comme vous le voyez, est devenue une puissance moyenne. D'ailleurs, c'est pour cela que j'ai toujours dit que «ce n'est pas l'Algérie qui a besoin de la France, mais la France qui a besoin de l'Algérie». Pourquoi je dis cela? Parce que avec l'Algérie, la France continuera à rayonner à travers le monde. Donc, effectivement, et en cela, je suis convaincu, nous n'avons besoin de rien de la France. Je réitère ce que j'ai toujours dit, à savoir que le seul lien réel qu'il y a entre la France et l'Algérie, est la communauté algérienne, qui fait l'objet de vexations et à qui on interdit quasiment de pratiquer sa religion en paix et de vivre pleinement à la fois sa citoyenneté, sa culture et ses particularités. En réalité, si ce lien qui nous tenait réellement depuis 60 ans, s'est détérioré à ce point, qu'avons-nous à faire de cette relation avec la France? Nos intérêts avec la France doivent être comme n'importe quel autre pays dans le monde. Pour nous les Algériens, c'est l'intérêt du pays qui prime d'abord, et vous savez très bien que nous avons des amis à travers le monde, ce sont de grands amis avec lesquels nous pouvons réorienter l'ensemble de nos échanges commerciaux, économiques, scientifiques, culturels, stratégiques et militaires. Il est nécessaire de faire un bilan point par point en matière de relations fondées sur des chantages infantiles et ridicules. Il faut réorienter nos relations vers d'autres secteurs, zones et d'autres pays amis avec lesquels nous n'avons aucun contentieux et où il n'y aura jamais ce genre de chantage.
Comment avez-vous appréhendé la réaction officielle de l'Algérie? Le pouvoir algérien, à travers le président de la République et l'Etat d'une manière générale, ont eu une attitude mesurée, une conduite de sagesse, de responsabilité. Ce n'était pas le cas de l'autre côté. C'est une leçon diplomatique, un comportement tout à fait différent. C'est la formule qu'il fallait adopter, c'est excellent. Je suis satisfait de ces décisions, elles restent en droite ligne de la tradition algérienne en matière de politique étrangère. Pour rappel, un courant français misait sur le départ des anciens responsables algériens du pouvoir. Hélas, pour eux, ils se sont trompés. Ils ont oublié qu'il s'agit d'une doctrine. Certes, on a tourné la page, mais on ne l'a pas déchirée. Il faut rester à ce niveau diplomatique exprimé par l'Algérie, à travers une attitude sage en étant ferme et exiger de ne pas laisser passer un coup de ce genre.
Il y a eu une «décision» du côté français qui s'apparentait à un chantage, à travers la question des visas et autre révision des accords de 1968 par le gouvernement français. 48 heures après, c'est le président français, Emmanuel Macron, qui s'est inscrit en porte-à-faux par rapport à son gouvernement. Comment expliquez-vous ce changement de ton? Effectivement, il y a un brouillard à l'intérieur du gouvernement français et de l'Etat en ce moment pour une raison politique et une crise économique importante mais surtout une crise politique qu'ils essaient plus ou moins de camoufler et de dépasser. Elle traduit effectivement ce que je vous ai dit tout à l'heure; il y a aujourd'hui au sein du gouvernement français une emprise de l'extrême droite, les «nostalgériques» et le lobby sioniste, qui ne pardonneront jamais à l'Algérie sa position sur le conflit du Proche-Orient. Ces deux courants associés, se retrouvent dans une ligne traditionnelle. Ce sont eux qui sont en train d'influer aujour- d'hui sur la politique française. À mon sens, la réaction du président de la République française est significative.
Peut-on dire alors que l'Etat français est sous l'emprise des lobbies qui lui imposent des desiderata le plongeant dans des crises inextricables? Eh ben oui... cela est une affaire ancienne. Nous l'avons vu s'exprimer à travers le conflit en Ukraine. La plupart des pays européens sont vassalisés, d'ailleurs, une partie de la classe politique française elle-même l'affirme et le reconnaît, mais au-delà de cela, il y a une présence des lobbies en France qui exercent une énorme pression sur les relations algéro-françaises actuellement. D'ailleurs, le ministre de l'Intérieur français exprime cette démarche d'une extrême droite très dure et mène à travers ces agissements à l'égard de l'Algérie, une campagne électorale et se prépare pour devenir président de la République de la France. Tout le monde a compris qu'il s'agit d'une campagne électorale qui se fait aux dépens de l'Algérie. En réalité, ils savent que c'est fini l'idée des colonies, mais avec l'Algérie, ce qui leur a fait mal, c'est qu'ils n'ont jamais pu récupérer d'une main ce qu'ils ont perdu de l'autre, surtout qu'avec l'Algérie, il n'y a jamais eu une France-Afrique, en aucun cas une soumission. Il y a toujours eu une vigilance de la part de l'Algérie quelles que soient les difficultés qu'elle a rencontrées par le passé. Mais l'Algérie n'a jamais cédé un gramme de sa souveraineté. Maintenant, il faut relativiser la position du président de la République française. Ce n'est pas le gouvernement français qui a franchi le pas pour reconnaître la présumée «marocanité» du Sahara occidental. C'est bien Emmanuel Macron qui a franchi ce pas. Il s'agit là d'une décision au plus haut niveau de l'Etat français et qui a été suivie par une visite de la ministre de la Culture et du président du Sénat. Cette décision, prise par l'Etat français est lourde de conséquences.