Mustapha Chérif a mis l'accent sur les principes de la tolérance et du pardon qui caractérisent la pensée de Jacques Derrida. Le colloque international sur la vie et l'oeuvre du philosophe français, Jacques Derrida, s'est ouvert, hier, à la Bibliothèque nationale d'Algérie, à El Hamma, Alger. Intervenant à cet effet, le chef du gouvernement, Abdelaziz Belkhadem, a mis l'accent sur les «origines» algériennes de ce philosophe français le plus connu dans le monde. Né à El Biar le 15 juillet 1930, Jacques Derrida a été «victime» de ce que Benjamin Stora appelle «la triple déchirure». En effet, de par ses origines judaïques, Derrida a, tout d'abord, subi la blessure provoquée par le décret Crémieux de 1871 et qui traite les juifs d'Algérie sur un pied d'égalité que les Européens. Cela est considéré comme étant le premier «déracinement» des juifs ayant vécu, des siècles durant, en Algérie. Viendront ensuite les lois raciales et xénophobes mises en application par Vichy, pendant la Seconde Guerre mondiale. Jacques Derrida a subi directement les attaques dont étaient victimes l'ensemble des juifs. Et c'est à cause de ses origines même qu'il a été renvoyé, en 1942, du lycée. L'antisémitisme (anti-arabe et anti-juif) des colons fait rage. Viendra enfin la troisième déchirure, celle qui affecta le plus le philosophe, en l'occurrence l'indépendance de l'Algérie. Derrida avait, en effet, tenté de convaincre ses parents pour qu'ils ne quittent pas Alger. Néanmoins, à l'instar de tous les juifs, ils étaient dans l'obligation de partir. Justement, parlant de cette étape dure de la vie de Jacques Derrida, le philosophe français et professeur émérite à l'université Marc Bloch de Strasbourg, Jean-Luc Nancy a indiqué que l'année 1962 a constitué l'un des plus grands tournants de la vie de Derrida, aussi bien au plan intellectuel que personnel. «L'année pendant laquelle l'Algérie a arraché son indépendance, a aussi été celle où Derrida a pris son autonomie philosophique», a insisté le conférencier. Il convient de noter que c'est à partir de 1962 que Jacques Derrida a commencé à élaborer, et pour ainsi dire, à défendre sa théorie de la déconstruction, laquelle théorie est considérée, par ce philosophe, comme une dette due à Freud et à Heidegger. Il va, de ce fait, à contre-courant du structuralisme. Et c'est cette théorie de «la déconstruction» qu'il a défendue tout au long de son oeuvre prolifique, estimée à plus de 80 livres. Il est à rappeler, par ailleurs, que lors de la guerre d'Algérie, Jacques Derrida a adopté des positions anticolonialistes. Il avait même commencé à répandre l'idée selon laquelle l'Algérie peut arracher son indépendance de sorte que les «Français d'Algérie» ne perdent pas leur «algérianité». Intervenant au cours de ce colloque, l'islamologue et intellectuel Mustapha Chérif a mis l'accent sur les principes de la tolérance et du pardon qui caractérisent la pensée de Jacques Derrida. Justement, en parlant de ces deux principes, chers à Derrida, nous revient à l'esprit l'une de ses citations les plus marquantes et dans laquelle il dit: «Possible ou impossible, le pardon nous tourne vers le passé. Il y a aussi de l'à-venir dans le passé». Ceci nous en dit long sur la pensée de ce philosophe, décédé en 2004 à Paris. Soulignons, enfin, que, pour aujourd'hui, les 21 invités à ce colloque iront en «pèlerinage» vers les lieux de naissance de Jacques Derrida, El Biar, et l'école où il avait exercé en tant qu'instituteur entre 1957 et 1959, sise à Koléa.