Elle incarne tout simplement une magie, une histoire, un amour. Comme dans les contes fabuleux des Mille et Une Nuits, Maja (Maya) devient le personnage «number one» de la légende sahraouie. Enveloppée dans un tissu sahraoui bleu-ciel. Décontractée. Elégante. Au pas très mesuré. Un jour de plus à vivre dans le Far West sahraoui. Elle est déjà là depuis juillet dernier. Il y a cinq mois presque. L'esprit est toujours au point culminant. C'est une Allemande, Maja Zwick a fui Berlin pour s'installer dans les camps des réfugiés sahraouis. Un rêve presque illogique, mais une réalité plutôt solide. Cinq mois après avoir atterri dans la tente de Fatmatou, sa belle-mère, Maja, la poupée des camps, incarne tout simplement une magie, une histoire, un amour. Comme dans les contes fabuleux des Mille et Une Nuits, elle devient le personnage «number one» de la légende sahraouie. Entourée de quelque 160.000 réfugiés qui survivent dans l'espoir de la paix et l'attente du retour au pays, seul le teint la différencie des «siens». Elle a quitté Berlin volontairement, prise en tenaille entre ce qu'elle appelle «le sacrifice de l'amour» et l'humanisme sans frontières et sans tabous. Insalubrité, chaleur, malnutrition...Malgré la famine qui les guettait, ses compagnons d'infortune ont tenu à lui témoigner une considération inégale. A l'entrée de sa mansarde, sa silhouette qui ressemble à une aquarelle, telle la «Diane au bain» de François Bouchet, menace de s'envoler sous la force du vent. Pour éviter de se faire remarquer, elle se love dans une étoffe made in Sahara et s'infiltre, comme un séraphin de la première hiérarchie des anges, dans le gourbi de sa belle-mère. Une seule impression nous taraudait l'esprit. Nous pensions que le beau fantôme ne devrait être qu'une étrangère, sympathisante, voyageuse et/ou enquêteuse qui s'est fait héberger chez Fatmatou. Elle s'incline légèrement pour enfiler ses savates et laisse échapper, instinctivement, une mèche rebelle dorée qu'elle a rapidement domptée. Etrange réflexe de la part d'une étrangère! Drôle de curiosité encore pour des habitués des lieux! Peut-être Fatmatou et Khadidja en savent quelque chose. Nous nous sommes vite introduits dans la tente de notre généreuse mère Fatmatou. «Que vivent les Algériens! Que vivent mes enfants chers!», lance Fatmatou à notre adresse, laissant tomber, sous l'effet de l'émotion, une écuelle de couscous en préparation. Le sourire large et la mâchoire décalée, elle arrive à peine à se satisfaire en nous serrant dans ses bras de Cléopâtre. Et l'émoi, jaillissant, s'insinuait dans son âme à chaque seconde qui passe. Elle ne peut pas s'abandonner. Ce serait trahir sa compagne qui roulait le couscous avec une régularité impressionnante. Il faut respecter le processus. Les muscles endoloris, elle n'hésitait pas de rappeler à l'ordre Fatmatou qui se resaisissait de temps à autre. «Il faut en finir. C'est pour le mariage de Khadidja!», nous explique-t-elle enfin, comme pour s'excuser. «Vous n'avez pas vu l'épouse de mon frère!», lance d'un coin de la tente Khadidja, l'émerveillement éclôt telle une belle aurore du fond de ses yeux. C'est une Allemande berlinoise. Elle aurait pu mener une vie si ordinaire, conforme aux rites et à la fierté allemande si elle n'avait pas rencontré Saïd, le jeune Sahraoui. A Berlin, Saïd se rendait au cabinet de sa mère pour des soins dentaires. «Elle se prénomme Maja», laisse entendre gaiement Khadidja, si enchantée et si fière de l'épouse de son frère Saïd. C'est évident. Saïd s'est marié déjà à une Irakienne de la famille de Saddam Hussein. Elle vivait, elle aussi, en Allemagne. Durant les sept ans de mariage, «cette femme, la cousine de Saddam, n'a jamais osé venir ici pour connaître ses beaux-parents». Une union infructueuse. Le beau fantôme ne s'y attarde pas et se sentait gênée. Elle échangeait, en arabe sahraoui, quelques propos avec Khadidja et s'excuse avant de ne laisser derrière elle que sa belle lueur. Nous sommes surpris par sa beauté rayonnante et sa modestie surprenante. «Elle a déjà appris notre dialecte et bientôt la prière, car elle est déjà musulmane». Elle fuit le grand luxe pour une discrète pauvreté au milieu des réfugiés sahraouis. L'amour fait des merveilles! A la peau très fine, au point de voir le sang circuler dans ses veines, Maja semble rassembler les fractions de son courage afin de pouvoir nous regarder en face. Les yeux superbement ensoleillés et ses lèvres minces laissent apparaître un sourire exagérément radieux et innocent. Quelle belle créature! Elle aimait Saïd depuis les premières consultations dans le cabinet de sa mère. «J'ai été amoureuse de sa sincérité émotionnelle, son attachement à ses origines et son pays natal». Clair, net et précis. Doucement, presque comme une séance d'hypnotisme, elle remue des souvenirs d'antan. Comme on feuillette un vieil album de photos. Façonnée par la ferveur et l'humanisme, Maja est profondément convaincue que sa vie ne sera jamais inscrite dans le grand cycle des aventures. «Je suis impressionnée par la simplicité des Sahraouis. Chez nous à Berlin, j'ai su transformer notre appartement en une khaïma. Le décor est fait presque comme celui de cette tente», nous confie cette femme qui nous laisse bouche-bée. Assise sur une paillasse aux cotés de sa belle-mère, le sourire ne quittait point sa figure. Avec un français mal soigné, elle nous fait part de son rêve. «Lorsque j'aurai des enfants, le garçon je le prénommerai Hadj et la fille Fatmatou». Ce sont en fait, les prénoms de son beau-père et de sa belle-mère. De l'autre coté du gourbi, Khadidja, la théière à la main, suspendue entre le ciel et la terre, s'évade de temps à autre. Sans cesse, elle revient au présent. Elle pense constamment au jour de son mariage. Oui, un mariage en plein désert. C'est magique! La simple imagination nous procure une sensation enivrante. Les ambiances et les rites sont aussi agréables. Elle baisse ses paupières. Lentement. Elle s'enveloppe soigneusement dans son étoffe et ne se laisse guère découvrir. Une lueur d'amitié dans le regard, Maja ne décide pas de nous quitter de sitôt. Elle apprécie les contes de sa belle-mère Fatmatou qui nous relate les folles nuits des fêtes sahraouies. C'est enthousiasmant, plutôt indispensable pour cette Allemande qui prépare une thèse de Master sur la société sahraouie. Chez les Sahraouis, le thé est sacré. Sa préparation peut durer jusqu'à quatre heures. La façon de le préparer obéit à un processus sans faille. Au bout de la seconde théière, case-départ de la phase dite production de la mousse, le thé doit passer d'un verre à l'autre avant qu'il soit remis dans la théière. La théière est l'accessoire indispensable pour créer la convivialité. Grâce à son bec long et recourbé, on peut verser le thé très haut au-dessus du verre pour obtenir la mousse parfumée et rafraîchissante. Cela étant la troisième phase du processus. A votre santé! A terre, les ustensiles ayant servi à la préparation du couscous sont abandonnés aux mouches qui envahissent aussitôt les lieux. Encore une légende! Le couscous sahraoui est fait à base de chicha (semoule) et de farine. Une séance d'apprentissage avec Fatmatou. Elle met la semoule dans un grand plat et l'arrose de deux verres à thé d'eau froide. Le regard de sa belle-fille Maja ne la quitte pas. Fatmatou commence à rouler la semoule mouillée avec la paume des mains avant d'ajouter de la farine. Lorsque la semoule devient sèche, elle incorpore quelques gouttes d'eau et roule à nouveau. A cette phase, sa compagne intervient et commence à tamiser la semoule «afin de bien séparer les grains». La phase suivante consiste à passer les grains de couscous au tamis à gros trous. Lorsque tout est passé, elle verse le couscous qui se trouve dans le «ghorbal». Les grains qui restent dans le tamis à petits trous constitueront le couscous. «Il est nécessaire de le laisser sécher à l'air», conclut Fatmatou d'un sourire gracieux. Jadis, les fêtes de mariages perdurent sept jours et sept nuits chez les Sahraouis. La fête du mariage se fait chez les parents de la mariée. Celle-ci ne doit quitter la maison des siens qu'à la naissance de son premier enfant. Le jour de son départ, un cortège composé, d'habitude, de plusieurs dromadaires, l'accompagne jusqu'à sa khaïma. Tous les biens de son époux doivent être inscrits à son nom. Mais, dès qu'un divorce surgit, celle-ci doit tout abandonner, si elle est à l'origine de la séparation. La réciproque est vraie. L'époux devra céder ses biens à sa désormais ex-femme s'il s'avère être à l'origine du divorce. «Il n'est jamais admissible chez les Sahraouis qu'un homme insulte ou batte sa femme. Si cela intervient, l'époux doit impérativement divorcer. C'est une manière de protéger la femme», précise Fatmatou, la fierté accompagnant le moindre propos articulé. Mais vite envahie par une mélancolie, brisée par une vie dramatique aux camps des réfugiés, elle croit que les belles traditions ont été bel et bien effacées, loin de son pays déchiqueté par l'occupant marocain. Néanmoins, l'espoir ne la quitte pas. Elle pleure. Elle prie. Peut-être que le mariage de sa Khadidja se fera à Layoune libérée...