D'emblée, Achour Cheurfi annonce la couleur, et la justifie, de son gros ouvrage qui tire l'oeil d'autant qu'il porte sur un point essentiel de l'histoire de notre pays. Cet ouvrage a pour titre «La classe politique algérienne de 1900 à nos jours (*)», et il est publié à Casbah-Editions. Avec le soin que prend toujours le spécialiste de l'enquête biographique, et avec la délicatesse qu'exige toute conscience intellectuelle sobre, notre auteur ménage une juste «liminaire» à l'intention de son lecteur. S'inspirant d'une réflexion de Benamar Mediène (in Biographie et histoire sociale, cahier n°5, 1991 du L. I. A. S. C. de l'Université d'Oran), il écrit en effet: «En l'absence d'une histoire qui soit à la fois globale, cohérente et satisfaisante du mouvement national - des origines à nos jours - le présent travail, à travers l'approche biographique, se veut une modeste contribution à l'élaboration d'une histoire éclairée de l'intérieur et d'une mémoire collective débarrassée de l'apologie, de toute occultation ou exclusion et au sein de laquelle les individus retrouvent entièrement leur place et leur rôle dans la définition et dans l'accomplissement des grandes configurations que sont le nationalisme, l'identité culturelle, le réformisme religieux, le populisme, l'état et la conscience nationale.» On ne pouvait s'attendre à moins. Achour Cheurfi est connu surtout comme journaliste, comme poète et nouvelliste, ayant publié aussi, sans doute par vocation et par passion, deux autres dictionnaires biographiques (passés sous silence - et pour quel motif? - par les médias) l'un intitulé Mémoire algérienne, l'autre Dictionnaire des musiciens et interprètes algériens. Tout comme ces «deux dictionnaires», le présent travail constitue bel et bien, sans euphémisme, une oeuvre de longue haleine, faite de patience, de scrupule aigu, de sincérité et de gros labeur. Près de huit cents notices biographiques de personnalités «politiques», sur une étendue historique algérienne de plus de cent ans, ont été élaborées. Ainsi se côtoient, mais par ordre alphabétique, près de huit cents «principaux animateurs de l'ensemble des courants et mouvements politiques qui ont traversé la société algérienne durant le vingtième siècle.» Il y a quelque chose de vivant à relever les noms commençant par A, B, C, D, etc. Des noms connus, des noms moins connus, des noms méconnus : tous des Algériens de l'histoire de l'Algérie de 1900 à nos jours. C'est une oeuvre humaine en soi que nous propose Achour Cheurfi, - oui - où toute information, tout renseignement, toute «trouvaille», toute «découverte», développe chez le lecteur passionné de son pays, parfois un émerveillement inattendu, parfois une angoisse soudaine et pourtant toujours attendue. Car tout guette notre auteur: l'erreur, la confusion, la négligence, l'omission, l'oubli, l'inadvertance. La faute - la plus humaine - est vite décelée par certains comme un malheur intellectuel ou un dommage moral. On constate effectivement ici ou là quelques imprécisions sur l'itinéraire politique de tel ou tel personnage, sur sa formation, sur son rôle. Et l'on peut constater qu'il manque à cette longue et heureuse liste des noms tout aussi prestigieux que ceux que l'auteur a cités et présentés. Voilà une preuve que l'oeuvre est colossale et que notre auteur, très courageux, très perspicace, très honnête, a agi en intellectuel militant qui s'éloigne du jeu de la préférence ou du choix. Il n'a pas de balance personnelle. L'histoire, les événements, la marche de la société, le temps, en fin de compte, déterminera la vraie richesse d'informations contenue dans cet ouvrage. Que l'on sache, néanmoins, que Achour Cheurfi, dont le mérite, à tous égards, demeure entier, est tout à fait conscient qu'une prochaine réédition corrigera, comblera, complétera, grâce aux lecteurs, la déjà précieuse édition d'aujourd'hui. C'est que l'objet de cette immense collecte de biographies devrait constituer dès maintenant, fût-ce modestement, un indispensable instrument de travail pour tous ceux qui cherchent à se faire préciser la figure, la vie, l'action, la tendance d'un très grand nombre d'hommes et de femmes qui ont contribué, à des degrés divers et à des époques différentes, mais avec la plus grande détermination, à l'avènement d'une Algérie libre et indépendante. Achour Cheurfi a pris un grand risque avec son livre «La classe politique algérienne de 1900 à nos jours», mais quel beau risque! Car le danger n'est pas ici dans ce qu'il a dit d'untel ou dans ce qu'il n'a pas dit d'untel ; il est dans ce que le critique, sans conscience et sans science, met de dithyrambique ou de méchant quelque part dans son besoin de juger. Ainsi, l'auteur nous renvoie la balle, nous qui sommes ses humbles lecteurs. En effet, nous lui devons ce travail d'investigations historiques.