Cet homme qui est né dans la région de M'sila, était imprégné des réalités de l'Algérie profonde. Mostefa Lacheraf nous a quittés, mais tout un chacun s'accordera à dire que l'oeuvre de ce penseur militant reste plus que jamais vivante, bien qu'elle ne soit pas facile d'accès et demande un effort intellectuel pour en saisir toutes les nuances. En revanche, s'il a souvent été dit que le colonialisme avait décimé les élites intellectuelles algériennes, celles que Rachid Mimouni appelle les fils des grandes tentes, il ne fait pas l'ombre d'un doute que les écrits et les analyses pertinentes de Mustapha Lacheraf sont la preuve que malgré la répression féroce qui s'est abattue sur elles, ces élites n'ont jamais cessé, comme le Phénix, de renaître de leurs cendres. En réponse au secrétaire général du PC français, Maurice Thorez, qui avait estimé que l'Algérie était une société en formation, le militant nationaliste Mustapha Lacheraf, a rédigé tout un livre intitulé «Algérie, nation et société» dans lequel il montrait tout le contraire. Cet homme, qui est né dans la région de M'sila était imprégné des réalités de l'Algérie profonde, adhérant très tôt, vers 1939, au Parti du peuple algérien (PPA) puis au Mtld. Continuant sa quête historique, il s'intéresse à la mémoire des lieux et des noms, en publiant ce livre magnifique intitulé Des Noms et des Lieux. Ayant participé de près à la rédaction du Programme de Tripoli, durant la guerre de Libération, puis à la Charte nationale en 1975, sans compter un nombre incalculable d'écrits publiés dans des revues spécialisées et qui traitent tout à la fois de l'histoire algérienne et du Mouvement national, Mostefa Lacheraf est surtout connu comme un penseur et un pédagogue, ayant lui-même été professeur de lycée avant de diriger le département de l'éducation nationale, où il s'est attaqué aux positions acquises de certains milieux qui voulaient donner une orientation à l‘enseignement dans notre pays. Mais ces groupes ont en effet, des positions dominantes et ils ont pu le déloger du gouvernement. Comment peut-on concevoir l'oeuvre de Mostefa Lacheraf par rapport à celles des écrivains algériens contemporains, comme Kateb Yacine, Mohamed Dib, Mouloud Feraoun ou Mouloud Mammeri? Il se classe certainement au même niveau, même si son oeuvre n'est pas romanesque. Partant de la réalité algérienne, ces écrivains ont composé des oeuvres de fiction dans lesquelles a brillé leur génie créateur, alors que Mostefa Lacheraf s'est plus inspiré d'archives et de preuves historiques avérées, tout en privilégiant ce monde de la paysannerie, qui représentait 80% de la population au temps de la colonisation. Cela ne l'a pas empêché de prêcher une méthode critique pour l'analyse de notre littérature populaire, ayant en horreur le populisme. Son oeuvre peut, très certainement, être du même niveau que celle de Frantz Fanon, qui avait, également, longuement réfléchi sur les réalités sociologiques et historiques algériennes. Pour l'universitaire Daho Djebal, dans El Watan, si un homme comme Mostefa Lacheraf, qui n'a jamais renié ses principes, y compris au sein des structures de l'Etat reste méconnu, c'est parce qu'il fait partie des gens qui dérangent, des gens qui ont des attitudes, des opinions, des idées, pas celles du consensus, de l'idéologie dominante, de l'idéologie officielle. «Ceux qui ne sont pas d'accord avec ses idées sont exclus du champ médiatique, ils sont mis au silence.» Lorsqu'il était à la tête du département de l'éducation nationale, (mais bien avant déjà dans les colonnes de Révolution africaine) il était devenu la cible désignée des milieux baathistes, qui ont fini par avoir sa tête, tout simplement- parce qu 'il voulait introduire de la rationalité dans la manière d'introduire l'arabisation en Algérie? Ce qui n'était pas rien de la part de quelqu'un qui avait une formation bilingue et qui maîtrisait parfaitement la langue arabe, donc de quelqu'un qu'on ne pouvait pas soupçonner de comploter contre le principe de l'arabisation, mais plutôt qui réfléchissait tout haut à la manière de la mettre en oeuvre, tout en sauvegardant le niveau de notre enseignement. Pour Omar Lardjane, si Mostefa Lacheraf est un homme qui a toujours été proche du pouvoir, en revanche ce n'était pas un homme du pouvoir, ayant toujours défendu ses idées et ses convictions avec fermeté.