Le témoignage du ministre des Finances, Mourad Medelci, a constitué la grande attraction. La venue du grand argentier a été accompagnée de mesures sécuritaires plus renforcées. La délégation ministérielle était elle-même composée de nombreux agents de la garde rapprochée. Il était très difficile de l'approcher aussi bien à l'entrée qu'à l'issue de son passage à la barre qui a duré environ une heure et demie. En dépit de la ruée et de la bousculade des journalistes, un événement rarissime chez nous, aucune déclaration ne lui avait été soutirée. En plus des hommes en robes noires venus en renfort, il y avait, en effet, une foule inhabituelle de journalistes et de photographes venus couvrir une séance pas comme les autres de par les déclarations attendues et les explications données. Finalement, les choses se sont déroulées normalement comme dans les précédents jeux de questions-réponses, toutefois, avec plus d'intensité, de curiosité et de suspense avec la présidente et le procureur général et la défense ensuite. D'emblée, la présidente plus entreprenante passa à l'offensive: «Etiez-vous au courant des dépôts des entreprises et organismes publics chez la Banque Khalifa». Le ministre répond par l'affirmative en disant qu'il avait été informé par son chef de cabinet. Elle enchaîna: «Saviez-vous que c'est interdit par la circulaire 81 qui sanctionne ce genre de dépôt en obligeant ces organismes publics à avoir un compte au Trésor public? Qu'aviez-vous fait alors?» Plein d'assurance et s'affichant à l'aise, il s'empressa de dire: «Constatant ces infractions, j'ai immédiatement adressé des lettres de rappel à la tutelle de ces organismes pour les rappeler à l'ordre et à se conformer à la loi en les mettant en garde contre cette manière d'agir et contre les risques à encourir». La présidente va directement au but: «Aviez-vous reçu Khalifa Abdelmoumen et quel a été l'objet de l'audience?» Le ministre reconnaît sans hésiter: «Oui. Je l'ai reçu à sa demande pendant 20 minutes». Très renseignée, la présidente demanda plus: «Que vous a-t-il demandé?». Il répond: «Khalifa est venu m'informer de son intention d'ouvrir une banque en Allemagne et de me demander de l'aider à obtenir l'autorisation.» La présidente: «Vous l'aviez aidé?» Le ministre: «Je l'ai orienté sur la Banque d'Algérie, seule habilitée à le faire.» La présidente: «Mais il vous a demandé plus, n'est-ce pas?». Le ministre livre tout: «Oui. Il m'a demandé d'intervenir pour lui auprès de la Banque d'Algérie». La présidente toute curieuse l'interrompit: «Vous l'aviez fait?» Le ministre: «Oui. J'ai parlé aux responsables de la banque, mais dans le respect de l'application de la loi, sans aucune faveur». Elle revint à la charge sur cette audience: «Etiez-vous au courant des irrégularités de la banque avant de le recevoir?» La réponse est «Non». Il continue: «Si je l'avais su, je ne l'aurais pas reçu évidemment.» La présidente ne cède pas en se voulant plus incisive: «Mais il y a cette affaire d'agrément et des dix rapports déposés concernant les premières enquêtes sur la gestion de la banque.» Le ministre, imperturbable, repoussa la question: «C'est une affaire propre à la Banque d'Algérie qui est chargée de suivre l'application des cahiers de charges de chaque banque agréée par elle, conformément à la loi.» C'est ce que voulait confirmer la présidente par la bouche d'un haut responsable, le plus indiqué pour le faire. C'est un autre argument à mettre au passif des ex-responsables de la Banque d'Algérie, dont le gouverneur général en premier lieu. Le reste des questions est un rabâchage sur des points déjà soulevés et qui reviennent comme un leitmotiv pour les besoins du procès, dans le but d'éclaircir des zones d'ombre. Ainsi, la présidente revint sur la question des transferts: «Pourquoi les transferts de fonds à l'étranger par la banque Khalifa ont-ils continué, même après la décision du gel?» Le ministre: «Pas, en tout cas, par le canal officiel.» La présidente maintient la pression au risque de se répéter: «Il y a eu cette fameuse lettre qui vous a été envoyée par le vice-gouverneur, M.Touati, à la place du gouverneur général, au sujet de la situation de Khalifa. Cette manière de se comporter était-elle normale et ne vous a-t-elle pas choqué?» Le ministre répondit: «Comme vous, madame, je me le suis demandé effectivement. Laissant ainsi planer le doute sur le comportement de l'ex-gouverneur». C'est à ce moment-là que le procureur général intervint: «Aviez-vous informé le ministre qui vous a remplacé?» Il dit: «Ecoutez. Il y a tellement de dossiers. Mais j'ai laissé les informations en place à consulter.» Le procureur général demanda plus de précision: «Est-ce que M.Terbèche a, par la suite, examiné ces dossiers.» Le ministre dit: «Oui et un rapport avait été présenté au gouvernement». Le procureur général revint à la charge: «Pourquoi n'aviez-vous pas fait cela vous-même en préférant attendre?» Le ministre plus entreprenant: «Pour la simple raison que le dossier n'était pas complet en manquant de cadre juridique». L'entrée en jeu du procureur anima les débats sans merci. Le procureur ne désarma pas ainsi et retourna autrement la question: «Pourquoi n'aviez-vous pas alors retourné le dossier à la Banque d'Algérie pour le compléter?» C'est la réponse tant attendue et qui a quelque peu secoué l'assurance du ministre, jusque-là imperturbable: «Oui je ne l'ai pas fait. Vous savez, on ne peut pas tout faire dans la vie d'un ministre, notamment dans une période assez éphémère et pour le traitement d'un dossier important qui demande plus de temps». C'est là où le ministre a saisi l'occasion pour expliquer que le phénomène Khalifa avait profité d'une conjoncture favorable aux nouveaux investisseurs nationaux. Khalifa est ce genre d'hommes qui avaient profité de beaucoup de facilités et de largesses en abusant du vide juridique. Mais toute chose a une fin et ceux qui ont entravé la loi paient, laissa entendre le ministre.