Le voeu de Chirac n'est-il qu'un voeu pieux ou une volonté politique réelle? «Etant très proche du président de la République française, j'ai rappelé au président Bouteflika combien Jacques Chirac souhaite effectivement la reprise du traité d'amitié entre les deux pays.» Voilà, la chose est assez claire pour passer inaperçue. C'est un voeu profond et sincère qu'exprime là le chef d'Etat français. Comme on peut le constater, à trois mois de la fin de son deuxième mandat, le président français, Jacques Chirac, n'a plus qu'un seul souci: laisser son nom dans l'histoire. Au contraire de Mme Bernadette Chirac, première dame de France, qui émet des regrets sur les fenêtres de l'Elysée, un palais où elle a résidé pendant quelque douze ans. Alors que ses prédécesseurs, François Mitterrand et Georges Pompidou, ont gravé leur nom sur des monuments et des lieux de culture qui rayonnent aujourd'hui de mille feux, comme l'opéra de la Bastille pour le socialiste et le centre Beaubourg pour le gaulliste, le président en fin de mandat, Jacques Chirac, ne peut prétendre inscrire son nom au fronton d'un immeuble prestigieux, d'où son désir de se rattraper sur quelques lois ou traités importants. Déjà que le train de la construction européenne l'a laissé sur le quai, à cause d'un «non» franc et massif au référendum sur la constitution communautaire, il lui reste donc cet espace maghrébin de l'ancien empire colonial français. Son désir, et il l'avait exprimé lors de sa visite à Alger, est de promouvoir un partenariat d'exception entre les deux pays, mais décidément, les choses ne vont pas toujours dans le sens souhaité par Chirac. Son propre parti politique, autrement dit l'UMP, déjà squatté par Nicolas Sarkozy, qui en fait un QG de campagne électorale pour la présidentielle 2007, lui met des bâtons dans les roues en votant, à la hâte, cette loi honnie du 23 février 2005, dont l'article 4 fait l'éloge du rôle positif de la colonisation. Ces jours-ci, le même candidat Nicolas Sarkozy, qui avait eu le mauvais goût de tourner le dos à la magnifique baie d'Alger, estime que s'il y a un pardon à demander, c'est aux harkis qu'il faut le faire. A trois mois de la fin de son mandat, le président français distille des confidences qui dévoilent le fond de sa pensée. Ne vient-il pas de faire le procès du libéralisme, dont les excès le conduisent fatalement à sa mort, comme cela fut le cas pour le communisme. Et ne vient-il pas également, dans la biographie que lui consacre Pean, de reconnaître le côté négatif du colonialisme, notamment en Afrique, en affirmant que l'Occident a tout pris aux Africains: leur passé, leur culture, leur main-d'oeuvre, et maintenant son intelligence et sa créativité en offrant des bourses aux étudiants et aux intellectuels africains. Après un tel verdict, on peut se demander: «Qu'est-ce qui empêche la signature d'un traité d'amitié entre l'Algérie et la France?». C'est que la réalité n'est pas aussi simple. Un président en fin de mandat ne peut pas tout se permettre, et surtout pas engager ses successeurs par des traités de cette importance, qui peuvent à tout moment être remis en cause. Parmi les éventuels successeurs en effet, on voit bien que mise à part Ségolène Royal, qui s'est engagée par la voix de Jacques Lang à reconnaître les méfaits du colonialisme, les deux autres prétendants, bien classés dans les sondages (Sarkozy et Bayrou), ne sont pas de cet avis, se refusant à faire une petite place à la repentance dans leur programme électoral, plus préoccupés qu'ils sont par la cuisine électoraliste. Quelle marge de manoeuvre reste-t-il à Jacques Chirac, qui a multiplié ces dernières semaines les envois d'émissaires à Alger? Après Jean-Louis Debré, un proche parmi les proches de Chirac et président de l'Assemblée nationale française, -et qui fut chargé en son temps de trouver une parade à l'article 5 de la loi du 23 février 2005, voici venu le tour du président du Conseil constitutionnel, Pierre Mazeaud. Jean-Louis Debré serait venu en mission exploratoire, pour sonder en quelque sorte les sentiments de M.Bouteflika. A ce moment-là, les propos tenus par Amar Saâdani, président de l'Assemblée populaire nationale, estimant que le traité d'amitié pourra être signé si la partie française fait des efforts, prennent tout leur sens. Certains commentateurs avaient écrit à l'époque, que Amar Saâdani avait parlé trop vite et sans juger de l'effet de ses propos. De recoupement en recoupement, on voit maintenant que Amar Saâdani était bien inspiré, et c'est Pierre Mazeaud qui lui donne raison. On croit déceler, dans cette dernière initiative de Chirac, une volonté de terminer son mandat en beauté, sans se dédire sur ses projets initiaux. Ayant échoué en Europe, le néo-gaulliste qu'il est, est plus à l'aise dans son costume tiers-mondiste. Il est encore trop tôt pour parler de testament, s'agissant de Jacques Chirac, même si lui estime qu'il y a une vie après le pouvoir. S'il réussit, de concert avec son ami Abdelaziz Bouteflika, à faire signer le traité d'amitié, il aura certainement légué un bien précieux à la postérité, même si ses successeurs s'en lavent les mains.