Il s'agit, entre autres, selon Anne Giudicelli, d'une nouvelle forme d'adaptation aux dispositifs de contrôle/lutte antiterroriste, qui consiste à recourir à des individus qui ne sont pas intégrés dans les critères de surveillance. L'arrestation, récemment, de six ressortissants marocains, candidats au jihad sous le commandement du Gspc, dans l'Ouest algérien et leur remise aux autorités marocaines n'est pas passée inaperçue. L'«information» est que deux adolescents, des lycéens, étaient dans le lot. Et cette tendance n'a pas laissé les spécialistes indifférents. Nous nous avançons allègrement vers pratiquement «la 3e génération» du jihad transnational, dont la genèse remonte aux années 1980-90. La première était celle des Ben Laden et Zawahiri, celle de Abou Obayda al-Banchiri et Saïf al-Adl, celle de Attef et consorts au niveau mondial, et des Bouyali, Mansouri et Chebouti, et à un degré moindre Layada, Chikhi, Lahrani, Zitouni, Zouabri ou Hattab, au niveau algérien. Cette génération est âgée aujourd'hui d'entre 40 et 50 ans et ne peut que planifier ou organiser les unités de combat. Militairement, elle est hors-circuit. Cette génération s'est distinguée par son approche religieuse de l'insurrection armée, une idéologie rigoureuse qui appuie l'action et des objectifs limités aussi bien dans l'espace que dans le temps. La deuxième celle de Zarkaoui ou Abou Hamza al-Mouhadjer au niveau planétaire et celle des Abdelouadoud et consorts au niveau algérien. Cette catégorie de djihadistes s'est distinguée par son approche plus politique de la guerre. La guerre en Irak peut être considérée comme un tournant décisif dans la prise de conscience des enjeux politiques et militaires qui sous-tendent les actions politiques dans la région arabe. La troisième est celle, actuelle, des jeunes âgés aujourd'hui entre 17 et 25 ans et qui est tentée par la prise des armes. Au plan idéologique, elle est certes endoctrinée à outrance, mais sans que cette idéologie soit un choix. Ce genre de djihad est plutôt un contexte, une culture de la résistance et une tendance très nihiliste des frustrations et des injustices subies dans le vaste monde arabo-musulman. Questionnée sur ce sujet, Anne Giuducelli, responsable du cabinet de conseil Terrorisc, répond: Oui, c'est un sujet très intéressant. Si je me souviens bien, il y avait eu une affaire, il y a un peu plus de deux ans en Tunisie, avec des ados qui avaient été arrêtés et condamnés parce qu'ils surfaient et tchatchaient sur des forums islamistes très radicaux. La très grande jeunesse -dont des mineurs- de certains des nouveaux adeptes de la chose jihadiste est significative d'une évolution assez proche finalement des fonctionnements de la criminalité. Il s'agit, entre autres, à mon petit avis, d'une nouvelle forme d'adaptation aux dispositifs de contrôle/lutte anti-terroriste, qui consiste à recourir à des individus qui ne sont pas intégrés dans les critères de surveillance (on le voit par exemple dans les réseaux de drogue) et qui sont plus fragiles. Ici, ce sont des mineurs, mais c'est déjà le cas, également, des femmes, dont certaines affaires récentes, dans le Golfe, au Proche-Orient, mais aussi en Europe, ont révélé qu'elles étaient utilisées dans ces réseaux, y compris comme kamikazes...Il y a, effectivement, plusieurs «générations» désormais. Pas seulement au niveau des dirigeants, mais aussi de la «base» militante et active. Ce qui serait effectivement intéressant, ce serait de voir ce qui les différencie... et ce qui reste une permanente (dans l'idéologie, la stratégie, les cibles, les objectifs, etc.). A mon avis, le tournant générationnel est l'Irak. Le cauchemar des services de renseignements occidentaux se réalisait lors des attentats de Madrid, puis de Londres: les réseaux jihadistes recrutent, activement, parmi les jeunes radicalisés issus de la deuxième ou troisième génération d'immigration musulmane, indétectables dans des sociétés qu'ils rejettent. Le basculement vers Internet d'une partie des activités des camps d'entraînement terroristes détruits, facilite la radicalisation des jeunes des diasporas musulmanes, au point que certains spécialistes parlent désormais de «génération jihad 2.0». Sans voyage initiatique en Afghanistan ou ailleurs, sans entraînement au maniement de la Kalachnikov ou des explosifs, certains d'entre eux, endoctrinés via Internet, peuvent se transformer en quelques semaines en redoutables kamikazes, assurent experts et policiers. «Ces terroristes de l'intérieur peuvent se révéler aussi dangereux que des groupes comme Al Qaîda, si ce n'est plus», explique Anne Giudicelli, qui vient de rédiger un rapport pour le gouvernement français sur la menace terroriste islamiste en Europe. «C'est la relève d'Al Qaîda, et c'est un énorme atout d'avoir des recrues de la deuxième ou troisième génération, parce qu'ils ont la nationalité, ils sont sur place. Leur action peut être à la fois beaucoup plus efficace et plus frappante sur le plan idéologique, en montrant aux sociétés occidentales qu'elles peuvent générer des ennemis en leur sein». Jugeant que les services du renseignement pratiquent une «stigmatisation par assimilation à une minorité», elle prévient que cette stratégie est «dangereuse puisqu'à force de focaliser sur une communauté, on risque d'accélérer un processus de radicalisation vaguement engagé et de pousser à plus de clandestinité».