Autrefois, à Tlemcen, au bord d'el-Ourit ou dans les jardins, on entendait le fameux haoufî. Dans son ouvrage El Haoufi, chants de femmes d'Algérie, le regretté poète, parolier et producteur d'émissions radiophoniques, Mohamed Elhabib Hachlaf nous propose une sorte de florilège de poésies populaires chantées par les femmes d'Algérie, -du moins celles de Tlemcen et de sa région et, selon l'auteur, d'autres villes du pays. On sait que le haoufî est un chant de femmes d'auteurs anonymes, à quelques rares exceptions; et ce ne serait alors que de pâles imitations de ce genre. Il faudrait peut-être se reporter à l'excellente étude Le Dialecte Arabe parlé à Tlemcen (Paris, 1902, pp. 205-240) de Georges Marçais pour bien comprendre que le haoufî est une composition populaire tlemcénienne remontant à l'époque glorieuse de la capitale politique et culturelle des Banou Ziyyân au xvie siècle et, sans doute, à un temps plus lointain au xiiie siècle. En effet, Ibn Khaldoun a établi déjà le rapport entre le haoufî alors en vogue à Tlemcen, le mououâl, mélodie d'Orient et surtout le mouwachchah, inventé par Mouqaddam B. Mou‘afa. Notamment, après la chute de Grenade (1492), les contingents d'exilés d'Andalousie ont favorisé la promotion, grâce à l'arabe andalou, d'un genre de chant populaire, le zadjal que les Maghrébins (citadins, originaires de l'Andalous) ont adopté avec ravissement, tout en l'adaptant à leur goût pour en faire un genre original et régional appelé le ard el balad. Ce genre va jusqu'à supplanter le zadjal, qui avait pourtant atteint une grande perfection poétique entre le xie siècle et le début du xiie siècle, et le mouwachchah. On peut dire que ce genre de poésie populaire chantée se répand à Fès puis à Tlemcen par Ali B. Al-Mouadhdhan, puis dans toute la région et les grandes villes voisines. Ainsi, à dire très brièvement, est né le haoufî que chantent les femmes lors de certains travaux domestiques et surtout les fillettes et les jeunes filles en jouant à l'escarpolette ou balançoire. (el-dja‘loûla). Selon Fodil Benabadji, et j'en suis d'accord, «Le haoufi est devenu un genre proprement tlemcénien. On raconte que le modèle aurait été improvisé par un jeune poète qui avait regardé, d'une façon amoureuse, les femmes du Sultan se baigner dans le bassin. Depuis les femmes de Tlemcen chantent l'amour, l'attente de l'élu, le charme de la cité et de ses belles filles (Tlemcen dans l'Histoire à travers les contes et légendes, Publisud, 2003, pp. 176-177).» Il faut maintenant préciser, sans laisser aucune ambiguïté, qu'il n'y a pas de rapport entre les pièces poétiques du haoufî et celles du fameux Jeu de la boûqâla, sauf si l'on considère quelque peu leurs thèmes, leur structure, leur rythme, leur métrique ou que ces pièces sont toujours très courtes, quelques vers seulement. Je pense que Hachlaf dans son présent recueil, comme Saadeddine Bencheneb dans une étude Du Moyen de Tirer des Présages de la Buqala (Université d'Alger, 1956) précédée par son autre étude Chansons de l'escarpolette (Rev. Afr., 1945), l'un et l'autre ont confondu la facture de certaines pièces du haoufî en les mentionnant comme pièces appartenant aux paroles de la boûqâla. Ne pouvant développer davantage ici ce qui différencie le texte haoufî du texte du jeu de la boûqâla, je me permets, en me faisant violence, de renvoyer le lecteur à mon ouvrage Le Jeu de la boûqâla, OPU, Alger. Mais je signale quand même qu'il y a au moins une observation importante: le texte-boûqâla a une origine historique incontestable, car il est intimement lié à la guerre de course en Méditerranée, spécialement aux xvie et xviie siècles. Toutefois, El Haoufi, chants de femmes d'Algérie de Mohamed Elhabib Hachlaf est à lire. C'est un recueil de poésies féminines qui témoignent de nos traditions populaires dans les domaines de la vie sociale: le chant, la civilité, l'éducation, les relations humaines,...