«L'idée était de partir de ce fait divers, pour parler de la violence faite aux femmes en Algérie...» Après Thé d'Ania en 2004, le réalisateur Saïd Ould Khelifa nous revient avec un nouveau long métrage, réalisé dans le cadre de «Alger, capitale de la culture arabe». Il nous dévoile ici ses motivations et les raisons qui l'ont poussé à faire ce film, inspiré d'un fait divers très douloureux, et évoque le rôle de la fiction dans tout traitement cinématographique. L'Expression: Tout d'abord, pourquoi avoir choisi d'adapter à l'écran ce fait divers de «La Haïcha» qui a défrayé la chronique, il y a quelques années? Saïd Ould Khelifa: C'est un choix. Chacun va chercher l'inspiration où il peut. Etant un lecteur de journaux, j'y puise automatiquement les idées quand ce n'est pas une adaptation de roman. J'ai découvert d'autres journaux dans le monde entier qui en ont parlé puis j'ai appris qu'il y avait des documentaires qui se faisaient. Après Thé d'Ania, j'étais sur un projet bien avancé. Lors de mon voyage ici, j'ai eu une discussion avec une productrice, Nadia Cherabi notamment, on est tombé d'accord sur l'idée de travailler un jour sur cette histoire en lui proposant ce fait divers mais en s'en éloignant. Pour deux raisons: d'abord c'est un traitement documentaire qu'on peut faire et puis l'affaire n'a pas été jugée, elle est pendante. Je me suis dit: je vais prendre le fond de l'histoire, car la violence faite aux femmes est propre à toutes les sociétés et ce qui m'intéresse dans ce cas-là, c'est la société algérienne. L'idée était de partir de ce fait divers. Que les coupables soient condamnés, c'est important, tout en sachant que ce sera toujours aussi difficile pour les femmes de se reconstruire. Elles resteront toujours prisonnières de cette injustice car nous n'avons pas dans notre société des outils de prise en charge de ces femmes victimes de la violence. Dans les sociétés méditerranéennes, et arabes plus particulièrement, la femme victime devient plus facilement coupable. Ne craignez-vous pas que les gens qui ne connaissent justement pas vos intentions vous reprochent de traiter ce sujet de façon superficielle? Si je n'avais pas mis une base pétrolière dans le sud, j'aurais parlé de la même chose. Moi, je propose un film de fiction. La violence au Sud est au premier quart d'heure du film. Après c'est fini. On est dans le Nord avec l'histoire de ces femmes qui n'arrivent pas à déposer plainte. Il faut un documentaire pour parler d'El Haïcha, de toute façon, ou bien une fiction une fois que l'affaire sera jugée. Donc, je n'ai pas peur car à aucun moment, je dis que c'est un film sur l'affaire de Hassi Messaoud. Je profite donc de cet événement pour parler de la violence faite aux femmes en Algérie, tout comme Mohamed Chouikh a fait un très bon film en s'inspirant au tout début d'un fait divers: une femme, je crois qui a été brûlée vive du côté de Ouargla. De ce déclic, il en a fait La Citadelle. Maintenant, à part ceux qui se sont penchés sur le dossier, personne n'est au courant de ce qui s'est passé. Je défie quiconque de savoir combien il y a des filles actuellement et où sont ces filles. Vous êtes-vous tout de même documenté pour réaliser ce film? Je me suis documenté. Même quand on fait un western, on se documente. Clint Eastwood vient de faire un film sur la Seconde Guerre mondiale vue du côté japonais, or, il n'est pas japonais. Il s'est documenté. Après, c'est à la fiction de prendre le relais. Celle-ci n'est pas un documentaire. Pour Vivantes, ce qui m'intéressait était l'histoire de ces femmes. Quand les femmes sortant de la salle de cinéma en me disant: merci pour la scène de la douche, merci pour ces deux femmes qui crient en haut de la falaise, je me dis que je les ai entendues. Les femmes de Hassi Messaoud, l'ont-elles fait? Peut-être. Mais leur besoin de crier, je l'ai entendu moi et j'en ai fait une fiction. Truffaut dit qu'on réussit un film à 40%. Le chemin est encore loin. Si je veux faire un film sans reproches, il faut donc arrêter le cinéma. Le cinéma c'est comme un menu: à chacun de trouver son plat d'émotion. S'il ne trouve pas du tout d'émotion, là cela posera vraiment un problème au réalisateur. J'ai lu les critiques. Quand on dit que les actrices sont formidables, elles le sont où? C'est grâce à quoi? C'est parce qu'elles portent une histoire. Et ce n'est pas l'histoire d'El Haïcha. Il faut accepter la fiction. A partir de là, toutes les critiques sont les bienvenues. Quelle est la valeur de ces deux scènes de danse qui se ressemblent, qu'on voit au début et à la fin du film? Que voulez-vous transmettre? Je ne transmets rien du tout. je filme le début, dans la première séquence, dans le pré-générique avec une musique qui n'a rien à voir avec celle de la danse. Sur le générique, on voit ces filles. En principe, ce sont des femmes modestes. Le jour de repos, elles le passent entre elles en s'amusant. Mon souci était de ne pas faire de différence entre les actrices professionnelles et les figurantes. Même si le générique est long, cela permettait de s'habituer à tous ces visages et puis d'être dans une sorte d'impatience. Ce qui viendra après sera à l'antipode de ces moments d'insouciance...La scène de la fin est chronométrée, de transe. La transe ne s'improvise pas. Elle arrive. Elle monte. Ce n'est pas moi qui la dirige. Je prends mon chef opérateur par la ceinture et on suit. A ce moment-là, c'est l'actrice qui doit mettre fin à la scène. En l'occurrence Selma, alias Rym Takoucht. C'est son rythme à elle. Quand vous voyez quelqu'un se faire tirer une balle, dans un film, il ne meurt pas bien sûr, mais son agonie est bien réelle. Sinon, c'est du chiqué! Dans la scène de danse d'un groupe, je focalise sur la personne en transe. Et tout le monde joue un rôle et là je ne dirige pas Samia Meziane qui se révèle être une grande actrice, parce qu'elle vit le moment présent. Sans que je la dirige, elle prend une écharpe noire pour ceinturer son amie pour qu'elle ne tombe pas. Et ça, ce n'est pas le réalisateur qui l'a demandé. A ce moment, il sait que ses actrices sont dans le jeu. Il ne dit pas: non, ce n'est pas prévu! C'est prévu par la transe qui dirige la scène. Je n'interviens que si je sens que c'est faux. Quelle est l'avenir de ce film, maintenant qu'il a été projeté en avant-première dans le cadre de «Alger, capitale de la culture arabe»? Une seule projection ne suffit pas d'autant que l'événement s'adresse au grand public... C'est sa sortie commerciale...La télévision étant coproducteur de ce film, la direction générale a décidé de faire un cadeau aux Fennecs en montrant un long métrage inédit de façon à donner une idée sur le cinéma qui se fait actuellement. C'est maintenant que va commencer le travail de préparation avec un distributeur pour la sortie nationale du film. C'est Procom International, en l'occurrence Nadia Cherabi, qui s'en occupe. Un mot sur le déroulement du tournage? La veille de 2007, on a proposé le scénario et le dossier de production. On a commencé à tourner en avril 2006. Le film a été tourné en 28 jours, dans le Nord puis à El Oued et ses environs...Ce n'est pas pour battre un record. Quand on a vu le budget du film vraiment réduit, on ne s'est pas plaint. On a annoncé à l'équipe qu'au lieu de faire le film en six ou sept semaines, on ne pourra le faire qu'en 28 jours, vous serez payés pour 28 jours de travail, c'est sûr, mais les journées seront longues. La moitié de l'équipe a déjà travaillé avec moi. Beaucoup se sont formés. Il faut souligner que l'on n'a pas beaucoup de techniciens pour le cinéma. Une de mes grandes satisfactions est d'avoir pu former des techniciens. 10 millions de dinars est le montant alloué à tous les films par le Commissariat chargé de l'organisation de «Alger, capitale de la culture arabe». La télé est aussi coproducteur mais elle ne peut pas donner beaucoup d'argent, sinon cela devient un téléfilm. Après, on a dû chercher des sponsors. On en n'a pas trouvé beaucoup; les gens craignaient le sujet. Parler de femmes violentées ne donnent pas, selon eux, une bonne image de l'Algérie. mais est-ce à nous de traiter ce sujet ou devrions-nous le laisser aux étrangers? Avez-vous rencontré ces femmes violentées? Non, je n'ai pas voulu, je n'ai pas voulu abuser de leur confiance, j'ai lu des articles s'y rapportant, même en norvégien. Les rencontrer, c'était, leur donner l'illusion que le film parle d'elles. Ce n'est pas poli et ce n'est pas juste. Des projets? Je suis actuellement sur deux projets. Quand j'écrivais Vivantes! je finissais, en France, un projet sur la jeune fille qui a été brûlée vive dans une cité de banlieue sud de Paris. Le film s'appellera La traque.