Toutes les notions juridiques d'injure, d'offense, de calomnie, de racisme, d'incitation à la haine semblent passer à la trappe dès qu'il s'agit de l'Islam. Le tribunal correctionnel de Paris, comme présumé, a relaxé le directeur de publication de l'hebdomadaire satirique poursuivi pour avoir publié des caricatures du Prophète considérées comme injurieuses. La liberté d'expression, alors qu'elle n'était pas en cause, semble confortée, alors que c'est un recul du droit et une autre preuve de la politique des deux poids, deux mesures. Même si un point de l'arrêt de la cour peut paraître positif, celui qui fait allusion à l'amalgame inadmissible d'un des dessins entre la violence aveugle et les musulmans. Espérons que la sérénité l'emportera sur le triomphalisme des uns et le ressentiment des autres. Mais, prenant prétexte de ce relatif échec de la démarche des organisations qui ont porté plainte, des voix de certains milieux antireligieux et plus encore islamophobes, vont tenter d'enfoncer le clou et de faire croire que la cause est définitivement entendue. C'est aller vite en besogne. Significative de la haine ambiante, symbolique du degré de confusion entretenue et illustration de ce que peut être un climat faustien, la vague qui méprise le religieux et le droit à la différence risque de s'amplifier. Prendre prétexte de cette péripétie pour ne pas répondre aux exigences de l'avenir et détourner la question de fond, versera de l'huile sur le feu, alors que tant de défis communs appellent au dialogue et au respect mutuel. Les auteurs des diatribes, pamphlets et autres caricatures, pour les uns exaspérés, comme nous le sommes, par les attitudes obscures et irrationnelles de ceux qui ont une vision idéologique et fermée de la religion, et pour d'autres pris par des considérations subjectives et malsaines ou politiciennes étroites, occultent les causes profondes. La posture qui réclame le droit de se moquer, et grave de stigmatiser et de porter atteinte à tout, sans limites, comme acquis non négociable, ne peut refuser le débat de fond. Un aspect essentiel semble perdu de vue: le droit de protester pacifiquement, cri de détresse ou geste de dignité, mais acte civilisé qui dénonce les abus possibles de l'expression et les pratiques des deux poids, deux mesures. Que des intégristes instrumentalisent la situation, se mêlent à l'affaire et que le verdict soit en défaveur des sentiments des plaignants sur le fond n'y changera rien. Dans une étrange posture, l'approche «libertaire», antireligieuse, xénophobe, en cette occasion, dénigre par exemple, sans discernement, le Conseil français du culte musulman, une institution qui, malgré ses contradictions, ses difficultés et ses limites, doit, plus que jamais, exister. Une instance relative au culte pour harmoniser et répondre aux besoins multiples en la matière est incontournable. L'autre différent, en l'occurrence le musulman, par ses légitimes spécificités, et en même temps pourtant peu dissemblable des autres citoyens européens, est bafoué dans ses droits politiques et culturels fondamentaux. Les tenants du dénigrement ne répondent pas à la question de fond: le rapport intrinsèque entre la liberté et la loi, entre le dire et la responsabilité, entre le droit et le devoir. Toutes les notions juridiques d'injure, d'offense, de calomnie, de racisme, d'incitation à la haine semblent passer à la trappe dès qu'il s'agit de l'Islam. Ils oublient que certains, au moment de la crise des caricatures, avaient affirmé, à juste titre, que la violence comme langage de protestation est condamnable, et qu'il vaut mieux s'adresser aux tribunaux si on se sent offensé par tel ou tel acte d'expression. Mais une fois cela fait, paradoxalement, ces mêmes personnes crient au scandale. Même si, personnellement, je n'aurai pas porté plainte contre un media et partage naturellement, comme l'immense majorité des musulmans, l'attachement à la liberté. D'autant que, c'est souvent peine perdue de s'engager dans la polémique et la défense judiciaire de la religion si elle est méconnue et opposée injustement aux libertés, dans le contexte actuel de permissivité, l'air du temps raciste et notre sombre époque. Je préfère le dialogue patient de la pensée, la confrontation des idées, à distance des idéologies et des polémiques. Surtout que ce qui est si grand et si haut passe au-dessus et se moque des caricatures. Sous prétexte de réfuter les intégristes et autres obscurantistes, qui sont une infime minorité, la posture xénophobe, s'arc-boutant à tout prix à l'exercice de l'expression sans conditions et sans nuances, est marquée par l'amalgame, la stigmatisation. Le retour de la haine religieuse, qui vise les religions en général et l'Islam en particulier, est un des problèmes de l'heure pendant à l'intégrisme. Deux dérives tristes et déshumanisantes qui s'alimentent et font diversion. Apprendre à vivre ensemble démocratiquement est l'horizon qu'il faut garder ouvert, dans la vigilance, car rien n'est donné d'avance, encore moins dans les extrêmes.