L'auteur, dans le prélude, reconnaît déjà qu'il ne tend qu'à éclairer une infime partie de la violence armée qui a frappé l'Algérie de plein fouet. Il faut le dire tout de go: le livre publié - et mis récemment à portée des lecteurs - par notre confrère d'El Khabar, Mohamed Mokadem, plus connu sous le pseudonyme d'Anis Rahmani a, de particulier, l'audace, la recherche et d'être à jour. Trois qualités qui font de son essai Les Afghans algériens: de la Djamaâ à Al-Qaîda, une oeuvre capitale dans l'état actuel des recherches et études islamistes. Trois qualités, mais qui n'excluent pas certaines incohérences qui font que l'auteur a péché - on le sent - plus par excès de précipitation que par méconnaissance d'un sujet aussi complexe. En brassant dans 300 pages le parcours des groupes armés algériens depuis la folle épopée de Bouiali et son MIA jusqu'à leur participation à Al-Qaîda de Ben Laden, c'est-à-dire, pratiquement de 1980 à 2001, l'auteur a placé la barre très haut et visé des buts très complexes. Si certaines étapes du GIA, du Gspc ou du Fida ont été à peine survolées, le livre vaut surtout par les entretiens qu'il a réalisés directement avec d'anciens chefs de la guérilla islamiste, tels Ali Benhadjar et Mustapha Kertali, par la longue et minutieuse enquête sur l'assassinat de Matoub Lounès, ou les Algériens impliqués dans les attentats contre des cibles américaines. Des pages intéressantes éclairent les atrocités des crimes collectifs du GIA, notamment la lettre adressée par Abou Abderrahmane Amine, qui n'est autre que Cherif Gousmi, émir du GIA, à Ayman Ezzawahiri, une des têtes pensantes d'Al-Qaîda et chef de la Djemaâ égyptienne. On lira aussi avec intérêt la lettre envoyée au GIA par Abou Qotada El-Falastini, exégète et référent doctrinal des groupes islamistes les plus radicaux dans le monde. Cette lettre, trouvée lors de la prise des caches de Ouled Allel par les forces de sécurité, fait état de la légitimité du djihad contre l'Etat impie et la légitimité de massacrer femmes et enfants pour restaurer la cité de Dieu. Dans le chapitre des critiques que nous devons à notre confrère d'El Khabar, on commencera par lui en vouloir de s'être laissé happer par le travail de compilation des documents qu'il a pu se procurer. Certains passages donnent l'impression d'une lecture de PV de police et de fichiers traités par les services de sécurité. Cette difformité donne au livre un squelette sans âme, sans saveur et sans odeur. Le livre, au fil des pages, en souffre atrocement. Il aurait gagné à être égayé par un travail de terrain, auprès des leaders islamistes encore en vie. Quelques petites incorrections se sont insidieusement glissées dans le travail entamé «en 4e vitesse» (seulement 3 pages pour le MIA et 40 pour l'affaire Matoub !). Dans ce chapitre, nous mentionnerons la mort de Abdelkader Chebouti, datée de mai 1992, alors qu'il est notoire que «le général parallèle» du GIA a été l'alter ego du général Khaled Nezzar jusqu'en 1994. Le périple des Algériens en Afghanistan, l'implication puissante du GIA dans le noyau d'Al-Qaîda, etc. ne sont pas si évidents, car invérifiables. C'est plutôt le Gspc qui semble dans les cordes de Ben Laden. Même stratégie, mêmes visées et même démarche. Le Fida, qui semble être une réplique locale d'Al-Qaîda, est passé sous silence. Aucune page n'est consacrée à cette organisation ésotérique, hermétique et d'une efficacité exceptionnelle. Quelles sont les relations du MIA de 1980 avec celui de 1992? Quels sont les liens du GIA originel avec celui de Zouabri? Pourquoi un courant chiite puissant a-t-il traversé les rangs du GIA, un temps, puis un deuxième courant takfiri, puis un troisième kharidjite? Ce sont des questions qui n'ont pas trouvé de réponse. Toutefois, à la décharge de l'auteur, nous retiendrons son jeune âge (il a trente ans) , sa précipitation et l'opacité des zones à explorer dans un contexte politico-médiatique où la manipulation est le maître-mot. Modeste, l'auteur, dans le prélude, reconnaît déjà qu'il ne tend qu'à éclairer une infime partie de la violence armée qui a frappé l'Algérie de plein fouet. Si tel est le but de l'auteur, il a été largement atteint. Avec ceci en prime: c'est un livre fait d'une seule et unique coulée et qui se lit d'un seul trait tant il s'enchaîne, s'entremêle et file dans le rapide et vertigineux parcours de la grande nébuleuse islamiste.