La France, si elle ne recule pas, n'avance pas suffisamment dans les zones qui lui étaient traditionnellement proches. Les questions sécuritaires ont pris une bonne part de notre entretien avec l'ambassadeur de France en poste à Alger, Bernard Bajolet, car il est évident que Paris traverse une période de crise avec les groupes islamistes radicaux, et se retrouve, de ce fait, malgré elle, et malgré les actions mesurées qu'elle a prises au plan de la politique internationale envers les pays arabes, désignée comme «seconde cible» dans l'agenda terroriste, après les Etats-Unis d'Amérique. Diplomate consommé, qui sait aller aux extrêmes limites que lui permet son poste, il s'agit avant tout d'un homme qui a été longtemps au contact du monde arabe et musulman, donc rompu aux violences qui secouent aussi bien le Machreq que le Maghreb. Sous Boumediène, il était déjà secrétaire de l'ambassade de France à Alger. Puis, il est nommé ambassadeur à Amman, Sarajevo et Baghdad, avant de revenir à Alger. Il était évident de lui poser la question sur l'importance de la présence des djihadistes dans les rangs de la résistance irakienne. «Oui, bien sûr, j'ai entendu parler de la présence de ressortissants algériens dans les rangs de la guérilla en Irak. Il s'agit plutôt d'individus qui venaient combattre en Irak, et n'étaient pas affiliés, à ce que je sache, à un groupe défini. Leur nombre constituait un pourcentage non négligeable. Mais pour donner un chiffre exact, ce serait un peu osé. Les gens viennent en Irak, de n'importe où, et il n'y a pas de statistiques exactes à ce sujet.» La France a été citée huit fois sur les douze derniers enregistrements d'Al Qaîda, et pratiquement dans tous les derniers communiqués du Gspc. Ce constat sous-tend deux questions. La première est de savoir comment la France appréhende cette menace et réagit à cette brusque poussée d'hostilité envers elle. La seconde est que la France, par le biais de cette hostilité affichée de la part des groupes islamistes radicaux, est en train de perdre beaucoup de terrain dans les pays arabes et musulmans. «Pour ce qui est des menaces du Gspc, nous les prenons pour ce qu'elles sont, répond l'ambassadeur. C'est-à-dire avec sérénité et lucidité. Vous savez, plus personne n'est invulnérable, et sur cette question-là, nous faisons confiance à l'Algérie. Bien sûr, nous souhaitons que l'Algérie puisse vivre de manière prospère, que tous les citoyens puissent bénéficier de la croissance économique actuelle, et que les gens soient plus stables au plan social, donc moins intéressés par les actions terroristes.» M.Bernard Bajolet ne pense pas, en revanche, que son ambassade amplifie la menace plus que de mesure: «Nous donnons des consignes de voyage aux ressortissants français désireux de se rendre en Algérie. Ce sont des consignes de sécurité que vous pouvez consulter librement sur nos sites gouvernementaux officiels. Nous avons le devoir d'être honnête avec nos concitoyens, mais nous n'avons jamais donné de consigne alarmiste. Nous leur disons de prendre certaines précautions pour voyager en Algérie, de ne pas prendre telle route parce qu'elle n'est pas très sûre, etc.» Revenant à la question de la perte de terrain dans le monde arabe et musulman, l'ambassadeur de France estime qu'il n'en est rien: «Je ne pense pas que la France est en train de perdre du terrain dans les pays arabes. Au contraire, je sens que la présence française est forte et dense dans ces pays.» «La France a eu des positions très fortes et courageuses sur des questions sensibles de politique internationale et qui ont eu un impact bénéfique non pas uniquement sur les gouvernements de ces pays, mais aussi sur la rue et l'opinion arabes, en général. Et ces positions ont été dures à supporter: la France a été l'objet d'une campagne de dénigrement aux Etats-Unis et en a payé le prix fort.» «Je vous rappelle que la France avait tout fait pour empêcher l'invasion contre l'Irak, aujourd'hui un pays sous tutelle. Sur le dossier de la Palestine, la France a aussi eu une position courageuse et appelé l'ensemble de la communauté internationale à soutenir l'accord de La Mecque et à travailler avec le gouvernement d'union nationale. Nous agissons en ce sens au sein de l'Union européenne. Le dossier nucléaire iranien a généré une tension, et la France a joué encore dans ce dossier-là un rôle important. Nous avons été pour le dialogue avec l'Iran, un dialogue ferme mais continu.» L'arrestation, le 23 mars, de quinze marins de la Royal Navy par les autorités iraniennes. Nous leur avons demandé de libérer dans les plus brefs délais les marins détenus. Les points chauds ainsi tournés et retournés, restait toutefois cette sensation forte que la France, si elle ne reculait pas, n'avançait pas suffisamment dans des zones qui lui étaient traditionnellement proches.