Vivre son identité n'est-il pas le plus précieux bienfait versé par l'Histoire et auquel aspire de toute sa conscience chaque génération d'Algériens?... ...Sinon le livre sert-il vraiment encore à quelque chose? Un Algérien qui se promène dans les allées du Salon du Livre de Paris (23-27 mars 2007) découvre, après l'«Espace Algérie», l'inestimable valeur de la personnalité culturelle de son pays du seul fait qu'elle côtoie celle des autres pays et, surtout, combien il est important, pour son âme et sa raison, d'éprouver, quand même avec un frémissement d'humilité obligée, la possible certitude que la culture plurielle de l'Algérie de toujours est, comparativement à d'autres cultures universelles, aussi un champ vaste dont l'univers est riche et diversifié. Ce sentiment légitime émerge de toute sa fougue et de toute son étendue lorsque l'Algérien comprend enfin que chaque vraie culture, chaque grande culture se nourrit aussi d'autres cultures du monde, et évolue avec son temps. Ce 27e Salon du Livre de Paris, avec l'Inde en invitée d'honneur (30 auteurs appelés, 20 éditeurs présents) et avec ses 186.000 visiteurs, démontre cette logique bien partagée par les intellectuels, acteurs vigilants ou vigiles engagés dans et par le couple «identité-universalisme»; c'est-à-dire «identité» puis «universalisme» et non «identité» et «universalisme». Ce serait comme un art de vivre, autrement dit comme une affirmation d'existence luttant pour une dignité sans cesse instaurée et restaurée dans un réseau interculturel où foisonnent des oeuvres littéraires nationales de qualité. Justement l'Inde, en hindi Bhârat, immense territoire et Etat de l'Asie méridionale, l'Inde grandiose et mystérieuse, l'Inde aux splendeurs culturelles multiples, l'Inde audacieuse face aux cultures les plus diverses, se veut clairement novatrice dans son unité linguistique et dans le développement de ses littératures des nombreuses langues vernaculaires -qui font dire que «l'Inde apparaît comme un gisement de vocables infini»-, tout en restant magnifiquement ancrée dans son histoire écrite par ses communautés. Cet élan constant, caractéristique de l'intelligence de sa littérature, consacre la conviction de son évolution inscrite librement dans les échanges d'idées mêlant «le local au mondial». Voilà donc au Salon du Livre de Paris «Les lettres indiennes» -tous genres confondus- animées par des auteurs, des artistes et des éditeurs débordant d'un enthousiasme cumulant confraternité, tolérance et joie de vivre et de produire dans leur pays et de le faire connaître à l'étranger sans se soumettre, sans rien concéder de sa personnalité. Là, les écrivains disent leur pays comme ils l'aiment et comme ils voudraient -non!- comme ils veulent qu'il soit, sans exotisme au vitriol, sans provocation réjouissante, sans vulgarités dans le propos, en toute conscience des blessures qu'ils entendent encore éviter à leurs compatriotes; leur art essentiel est de décrire au plus juste la réalité objective et de suggérer le refus absolu de la complaisance pour dépasser les contraintes, les clivages et les tabous. Ces Lettres indiennes, dites inscrites dans une «planète littéraire complexe» ont constitué une authentique Kitabkhana - littéralement: La bibliothèque. C'est que, sans doute, l'a-t-on déjà noté, en Inde, le livre est désigné par le vocable kitâb, héritage de la langue arabe, passé au persan puis à l'ourdou puis au hindi. Cette Kitabkhana est une représentation -mais toute partielle qu'elle ait été dans ce Salon, elle a paru éminemment riche et concrète- de l'Inde d'hier et d'aujourd'hui: 15 000 exemplaires y ont été vendus. Non loin de l'immense et magnifique stand des «Lettres indiennes», on trouve l'«Espace Algérie» toujours réduit et toujours à la même place. Sur une aire rectangulaire de 50 m2, proposée, avons-nous appris, à titre gracieux par l'Ambassade de France en Algérie mais vite devenue trop exiguë, se sont fixés, côte à côte, par manque peut-être de moyens financiers ou de temps pour se préparer à cet important événement où l'image de l'Algérie doit se valoriser aussi par sa belle toilette culturelle, 24 éditeurs algériens dont la Bibliothèque nationale (Amin Zaoui et Mériem Messaoud), l'OPU (Noureddine Lacheb et Achour Remati), le CREAD, le CRASC, APIC, Média-Plus, Dar el-Houda, Thala, Alpha-éditions, éd. Lazhari Labter, éd. du Tell,...Nos éditeurs sont juste en face d'un grand stand de prestige de deux pays du Maghreb: le Maroc et la Tunisie. Cependant, et c'est ce qui tire l'oeil, tout au long d'une allée adjacente, avoisinent dignement chacun dans un stand individuel de 9 m2, installés à leurs frais, les éditeurs algériens: Casbah éditions (Anissa Ameziane, Saïd Sebaoun et Abderrahmane Ali-Bey), ANEP (Ahmed Boucenna et Salah Chekirou), ENAG (Messaoudi Hamidou, Nouara Hocine, Yahiaoui Kamel et Mohamed Iguerb), et en colocation Chihab (Abdallah Benadouda) et Dalimen (Dalila Nadjem). Les éditeurs, sous la bannière «Espace Algérie» ont donné mission, sous l'égide du Syndicat national des éditeurs de livres (SNEL), à Mustapha Kallab (éd. Dar el Houda et libraire) d'assurer le regroupement des 24 éditeurs cités, l'acheminement de leurs ouvrages (376 titres, 95% en langue française) d'Alger vers le Salon du livre de Paris et l'organisation matérielle générale du stand en collaboration étroite avec les éditeurs particulièrement actifs: Hanachi Yassine (Média-Plus et libraire), chargé spécialement de la caisse et Karim Chikh (APIC) et Lazhari Labter (Alpha éditions/éd.Lazhari Labter) se consacrant à la librairie, aux relations publiques, à l'organisation de la rencontre, programmée par l'Ambassade de France en Algérie, des auteurs préalablement invités et pris en charge pour parler des «Ecritures d'Algérie» au stand de l'«Agora, espace international» et à la mise en place des ventes-dédicaces. La présence de certains auteurs a pu être remarquée: Yasmina Khadra, Djamal Smati, Hamid Grine, Fayçal Ouaret, Fatiha Nesrine, Kamel Abdellaoui,...L'absence d'autres auteurs, non invités, a été regrettée, par exemple, Abderrahmane Zakad, Amar Belkhodja d'Alpha éditions,... Les éditeurs algériens installés, chacun dans son stand individuel, se sont organisés de façon autonome, tout en créant entre eux une ambiance confraternelle de bon aloi, impeccablement professionnelle. Chacun, à l'aise, a reçu son auteur et lui a accordé un temps libre et plus long pour lui permettre de signer ses livres et de discuter avec ses lecteurs, par exemple, Casbah éditions avec Zoubir Souissi, Enag avec Wadi Bouzar, Dalimen avec Josiane Lahlou,... Les visiteurs, y compris ceux de notre communauté en France, seulement curieux ou réellement pris d'engouement pour les lettres algériennes, ont été assez nombreux à ces deux sites algériens et distincts. Au reste, beaucoup ont observé cette étrangeté et l'ont regrettée: ici, contacts plus apaisés, plus riches en communication utile, en livres intéressants sur les régions d'Algérie, sur les auteurs, sur les ouvrages récents, sur les projets; là, surchauffe des esprits induite par l'exiguïté du lieu, la compression des étals, la présentation aléatoire des ouvrages, plus généralement sur le manque d'organisation et d'information sur les publications algériennes. Le livre est toujours inerte, perdu sur la table ou sur l'étagère. Les éditeurs s'affairent pourtant à qui sait mieux attirer un lecteur-acheteur plutôt vers son lot de livres. On se rend compte soudain (et pourtant que d'expériences de ce genre a-t-on déjà connues, sans réel bénéfice!) que la force de vente se cultive; elle a ses règles, ses prérequis et son organisation, que ce soit dans le pays même ou à l'étranger à l'occasion des Salons internationaux comme celui de Paris, de Francfort ou de l'envergure du prochain à Abu Dhabi. Mais il faudrait d'abord que l'on soit d'accord pour ne plus tolérer d'être au-dessous des exigences de l'Histoire générale de notre pays qui vaut tout aussi bien celle du monde qui l'entoure, de refuser de continuer à sous-estimer les oeuvres de nos créateurs et, par un stupide complexe, à laisser insulter l'intelligence de ceux qui croient en leur pays et en leur peuple, -l'article «La patrie ou le sens du devoir» de N. Krim paru dans L'Expression daté 01.03.2007, mérite, à ce sujet, une bonne relecture. Aussi peut-on dire avec le grand écrivain portugais Michel Torga: «L'Universel, c'est le local moins les murs» et là, souvent, se rejoignent les opportunistes et les laudateurs professionnels, -leur menchar, leur scie fonctionne à fond jusqu'à devenir rouge, sans se briser. Alors, tant bien que mal, on sauve quand même le livre algérien et l'on persiste, à juste raison, à user de pédagogie: on répète qu'il faut s'entraîner chez soi à produire, à soigner sa production pour la faire aimer, à solliciter le soutien des spécialistes de la profession et des institutions nationales éducatives et culturelles, à s'assurer la participation financière des services compétents de l'Etat, à faciliter l'accès aux livres par l'initiation à la lecture publique et par le soutien du prix de vente. Il n'y a pas de fatalité: chaque écrivain, chaque éditeur mérite attention et encouragement, chaque lecteur, tout le peuple d'Algérie mérite le libre droit à la lecture et à la connaissance des littératures de son pays... Restons-en là et souhaitons qu'il y ait, sans aucun doute, parmi les rares responsables algériens qui ont visité nos stands à Paris, ceux qui ont beaucoup à dire encore!