Le Palais du gouvernement, cette imposante bâtisse héritée de l'ère coloniale, qui abrite les ministères-symboles, la chefferie du gouvernement et l'Intérieur, offrait un paysage d'apocalypse. Un double attentat suicide quasi-synchronisé à la voiture a secoué la capitale, hier, vers 10h45mn. Les deux objectifs ciblés étaient le Palais du gouvernement, quartier général abritant le Premier ministère et le ministère de l'Intérieur, et le commissariat de Bab Ezzouar. Les deux attentats ont fait 24 morts et 222 blessés, selon un nouveau bilan provisoire de la Protection civile, alors qu'un précédent bilan faisait état de 23 morts et 262 blessés. Selon la Protection civile, l'attentat visant le Palais du gouvernement a fait 12 morts et 135 blessés. Cependant, le bilan «risque de s'alourdir», car l'état de santé de certaines personnes blessées était jugé, hier, «inquiétant». L'attentat contre le Palais du gouvernement, qui a fait, selon un bilan non définitif, 12 morts et 118 blessés, dont une majorité de policiers, aura été le plus spectaculaire, de par l'audace de l'attaque et la symbolique des cibles. Le Palais du gouvernement, cette imposante bâtisse de plusieurs étages, héritée de l'ère coloniale, qui abrite les services du Premier ministère, ainsi que plusieurs ministères, dont celui de l'Intérieur, offrait, hier, un paysage d'apocalypse. Des policiers partout, qui courent dans tous les sens, la police scientifique appliquée à repérer toute trace intéressante, des morceaux de pneus charbonneux, des morceaux de ferraille calcinée, du sang çà et là sur la route et sur la chaussée, des regards hagards, des femmes en pleurs, sirènes et des enfants qui ne savaient que penser de ce spectacle qu'ils n'avaient pas encore vu, mais dont ils en ont entendu parler. Mais, c'est en levant les yeux sur les quatorze étages des deux bâtiments qui symbolisent le gouvernement et la sécurité intérieure, qu'on découvre toute l'horreur. Eventrés, endommagés, troués comme du gruyère par les fragments de l'explosif utilisé, les bâtiments menacent de tomber en ruine. Aucun étage n'a été épargné. Certains bureaux étaient visibles de l'extérieur après la chute des murs de façade. Les officiels et les ministres ont fait le déplacement et se sont succédé pour évaluer les dégâts occasionnés par ce double attentat. Ali Tounsi condamnait «ce lâche attentat», Zerhouni pointait un doigt accusateur sur «le terrorisme» et Belkhadem regrettait cet «acte ignoble et belliqueux au moment où le peuple choisissait la voie de la réconciliation nationale». L'air désolé, le ministre de l'Emploi et de la Solidarité nationale, Djamel Ould Abbès regarde longuement ce spectacle de désolation, les mains derrière le dos. Lui, qui affirmait, il y a quelques semaines, que la relation Gspc-Al Qaîda n'aura aucune répercussion sur la suite des événements en Algérie... Un «11» en rappelle un autre Selon des témoins, l'attentat du Palais s'est déroulé comme suit. Une voiture, une Clio verte, selon des témoignages recoupés, fait le rond point, puis accélère en fonçant sur l'entrée principale du Palais. Lorsque les policiers en faction réagissent en tirant sur le conducteur, c'est déjà trop tard. La voiture termine sa course en défonçant l'entrée de la bâtisse, là où les policiers de réception filtrent les visiteurs à l'aide du scanner. L'explosion, entendue jusqu'à Baraki, fait descendre les vitres en ruine, creuse un profond cratère, lézarde la façade des deux bâtiments et éjecte, sur plusieurs mètres, toutes les voitures en stationnement. Le jardin d'enfants qui jouxte l'Intérieur est soufflé, les premiers morts sont la brigade de policiers de service. Il s'agit bel et bien d'un kamikaze qui s'est fait sauter en fonçant sur les policiers. Il était 10h45 précises. Au même moment avait lieu l'autre attentat, celui de Bab Ezzouar. Plus important par le nombre des morts et des blessés; il est, cependant, éclipsé par l'attentat contre le Palais, le symbole du pouvoir et de la sécurité intérieure. Pendant plus de trois heures après l'attentat, un épais nuage de fumée noire se dégageait encore du lieu de l'explosion, qui a creusé un large cratère sur la chaussée et transformé le joli jardin qui fait le rond-point du Palais, en champ de ruine. Des ambulances, sirènes hurlantes, ont afflué sur place pour secourir les victimes, dont des blessés gravement atteints. De nombreux passants se sont agglutinés sur les marches de l'escalier monumental menant au Palais, tandis que des policiers en uniforme et en civil, reconnaissables à leur brassard, matraque en main ou le téléphone portable vissé à l'oreille, tentaient de contenir la foule inquiète. Des parents qui ont des enfants travaillant au Palais, exigeaient qu'on leur communique les noms des morts et des blessés. Les consignes de sécurité étaient strictes et aucune voiture, fut-elle celle de la presse et de la sécurité, n'était autorisée à stationner dans le «carré de sécurité». Pendant toute la matinée, on a assisté à un défilé des officiels: Belkhadem, Zerhouni, Boustila, Tounsi, al-Hbiri, Soltani, Tayeb Louh et pratiquement tous les chefs des corps de sécurité opérationnels dans la capitale. Cette présence en force de tous les ministres concernés, des responsables de la sécurité intérieure et d'officiels de haut rang, de la police scientifique, de la Garde républicaine, de la Protection civile, de la BRI, ainsi que des chefs de la Bmpj, renseigne sur l'importance et la gravité des attentats. Jamais, depuis au moins dix ans, un nombre aussi grand d'officiels de haut rang ne s'étaient retrouvés regroupés ensemble sur un même site. Car jamais pareil attentat n'a été imaginé. Même lorsque le Gia était au summum de sa force, il n'avait pu transpercer le maillage quasi-hermétique qui entoure le Palais du gouvernement. Six heures après ces attaques, un interlocuteur se présentant comme un «porte-parole de l'Organisation Al Qaîda au Maghreb islamique» revendique les deux attentats d'Alger, dans un appel téléphonique à la télévision Al-Jazeera, et confirme ce que tout le monde devinait. Ce dernier a revendiqué au nom d'Al Qaîda au Maghreb les deux attentats, et précise qu'ils ont été perpétrés à l'aide de voitures conduites par des kamikazes. Une autre heure plus tard, Al Qaîda Maghreb «L'Organisation Al Qaîda au Maghreb» revendique les attentats d'Alger et affirme qu'ils avaient été perpétrés par trois kamikazes, dont des photos sont publiées et mis en ligne. Dans ce communiqué publié sur un site internet islamiste, utilisé souvent par le réseau terroriste d'Oussama Ben Laden, «Al Qaîda au Maghreb» affirme que ce sont trois de ses combattants qui ont commis les attentats. Dans ce communiqué publié sur un site Internet islamiste, «Al Qaîda au Maghreb» affirme que trois de ses combattants ont commis les attentats à la voiture piégée. L'un commis par un kamikaze conduisant une voiture piégée visait le Palais du gouvernement, siège du pouvoir, en plein centre-ville de la capitale algérienne tandis que l'autre, perpétré à l'aide de deux voitures piégées, a eu lieu à Bab Ezzouar, en banlieue est de la ville, et a gravement endommagé un poste électrique et un commissariat de police. Tout convergeait pour nous mettre en garde contre pareilles attaques à grande échelle. Depuis son ascension, en juin 2004, «Abdelouadoud» adopte une nouvelle stratégie: les attentats à l'explosif. Cette stratégie permet d'opérer des attaques à moindres frais et de procéder à des actions meurtrières à moindre coût, épargnant plus de pertes au groupe. La première opération lancée par le nouvel émir, fraîchement élu, en juin 2004, renseignait sur sa stratégie, jamais démentie depuis, en ciblant la centrale électrique d'El Hamma. Il plongea ce jour-là, Alger, dans le noir pendant plusieurs heures et délivra aux forces de l'ordre deux messages. L'un est que l'attentat à l'explosif ciblant les services de sécurité et les édifices publics et étatiques sera privilégié. L'autre est que la capitale, dont la résonance médiatique, politique et sécuritaire reste un enjeu majeur, sera la priorité de la stratégie du Gspc. Ancien étudiant en fin de cycle en électronique, à l'université de Soumaâ, Abdelmalek Droukdel, mieux connu sous son nom de guerre «Abou Mossaâb Abdelouadoud», est un homme porté sur l'explosif et l'armement. A trente-deux ans, il traîne derrière lui cette réputation incontestée de «Demolition-man». Avant de remplacer Nabil Sahraoui à la tête du Gspc, il était le responsable du groupe chargé de l'armement et de la logistique «militaire». La bombe qui avait explosé à Beaulieu pendant le mois de Ramadhan avait déjà mis en état d'alerte les services de sécurité. En ciblant une caserne militaire dans la capitale même, les messages qui ont été décryptés par les responsables de la sécurité intérieure les ont poussés à donner des directives claires aux polices locales: plus de vigilance, renforcement des effectifs et investigations dans les zones d'influence des groupes armés. Par la suite, les attaques qui ont ciblé des commissariats de police à Réghaïa et Dergana ont été, à ce point, édifiantes pour annoncer celle de Bouchaoui, qui a eu une résonance médiatique internationale. Ces attentats à Alger interviennent au lendemain de la mort de quatre islamistes à Casablanca, la capitale économique du Maroc, où trois kamikazes ont fait exploser leurs charges, un quatrième a été abattu avant d'actionner ses explosifs et un policier a été tué. Ce qui augure d'une façon très, très inquiétante que «Al-Qaida au Maghreb» est entré dans sa phase active...