Les rapports entre la Russie et l'Occident se sont nettement altérés dans le prolongement de l'affaire du bouclier. Comme nous l'annoncions la semaine dernière, le projet de défense antimissile américain en Europe (sous couvert de l'Otan) ouvre une sérieuse crise politique et militaire entre la Russie et les alliés de l'Organisation transatlantique avec, à leur tête, le meneur de ce projet: les USA de George Bush. Le mardi 17 avril, la réunion à Bruxelles de l'Otan au niveau des ambassadeurs, élargie à la Russie avait annoncé le désaccord sur le projet. «Les Russes ne sont pas convaincus de l'utilité de ce projet, et ont marqué leur opposition», avait déclaré le secrétaire général de l'Otan, Jaap de Hoop Scheffer, lors d'un point de presse, avant d'ajouter: «Nous tenterons de rassurer nos amis russes lors de la réunion ministérielle, la semaine prochaine à Oslo.» Mais la rencontre d'Oslo, qui a réuni jeudi les ministres des Affaires étrangères des pays de l'Alliance avec la Russie, puis celle d'hier au niveau des ministres de la Défense, a accentué le désaccord entre la Russie et les pays de l'Otan. Le président russe, Vladimir Poutine, a carrément annoncé, mercredi (la veille de la réunion de l'Otan à Oslo), lors de son discours traditionnel à la nation, un moratoire de son pays sur le traité des forces conventionnelles en Europe (FCE), conclu en 1990 entre l'Otan et les anciens pays du pacte de Varsovie. Alors que le secrétaire à la Défense américain, Robert Gates, déclarait, confiant, à l'issue de sa visite à Moscou, lundi dernier: «Ce projet des USA devrait renforcer la sécurité en Europe, en particulier en Pologne (?)», le chef d'état-major russe, le général Iouri Balouïevski, lui répondait le lendemain: «Nous voyons clairement que le système de défense antimissile américain est mis en place contre la Russie.» Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov ajoutait: «Ce projet peut déstabiliser la situation en Europe.» Dans le vent de cette crise qui dépasse en réalité l'affrontement américano-russe par Otan interposée, le jeu des intérêts au sein de l'Alliance atlantique n'est pas en dessous de tout soupçon. Faut-il rappeler, encore une fois, que le projet de bouclier antimissile en Europe a été approuvé par les chefs d'Etat et de gouvernement, voilà 5 ans, lors du Sommet de Prague de l'Alliance? Il fût définitivement entériné par l'ensemble des membre de l'Alliance, après une étude de faisabilité précise, lors du Sommet de Riga de novembre 2006. Le projet d'une valeur initiale de 700 millions d'euros, implique la participation technologique et militaire de plusieurs Etats membres de l'Otan. Principalement, ce sont la France, l'Italie et l'Allemagne qui se sont engagées à réaliser concrètement le site de défense. C'est pourquoi, faut-il s'étonner des déclarations de la France et de l'Allemagne, quand elles disent exprimer des réserves sur le projet. Comble du ridicule, les officines politiques de ces deux pays mettent le refus russe sur les prochaines échéances électorales en Russie (les législatives en décembre 2007 et la présidentielle en mars 2008), alors que la France en est en plein dedans. La France de Chirac «mange avec le loup et pleure avec le berger» comme dit un vieil adage arabe. Cependant, l'installation de ce troisième site de défense stratégique américain en Europe, au-delà des manifestations politiques liées à des considérations de politique interne, remet gravement en cause l'équilibre sécuritaire mondial. C'est-à-dire la paix. Le moratoire russe sur le traité des forces conventionnelles risque de relancer la course aux armements nucléaires. Les USA de George Bush, obtiendront le résultat inverse de leur objectif: l'Iran trouvera là, une excellente occasion d'accélérer ses projets nucléaires. Lorsque l'on sait la position de la Russie et de la Chine sur la question iranienne, le doute d'une nouvelle course aux armements conventionnels n'est pas permis. De plus, la Russie veille sur l'issue de la crise balkanique, notamment le statut final du Kosovo dont, son allié la Serbie, s'en réclame. Et installer un site de défense antimissile aux portes de la Serbie, est vu par Vladimir Poutine comme une sorte d'agression.