Le passage de «partis» en déclin à une structure proche du pouvoir, est monnaie courante dans un pays où le déficit de débats politiques sérieux est flagrant. Le FLN a, lors de ces dernières élections, perdu des sièges dans une APN désormais décrédibilisée par le taux élevé d'abstention. Chacun y va de ses chiffres de l'officiel à l'officieux. On glose sur la démission du chef du gouvernement et sur les noms des ministrables possibles, omettant la question essentielle de la posture réelle de cet appareil dans le territoire social et politique réel. Comme par le passé, le «parti» dominant voit les «militants» l'entourer et l'étreindre, comme ce fut le cas pour le RND qui s'était transformé en un trop court laps de temps en un «parti» de «masse», pourvoyeur de postes et de privilèges possibles. Le passage de «partis» en déclin à une structure proche du pouvoir, est monnaie courante dans un pays où le déficit de débats politiques sérieux est flagrant. Ce phénomène n'est pas propre à l'Algérie, mais caractérise tous les pays anciennement colonisés. Les journalistes relèvent régulièrement l'omniprésence de discours redondants et récurrents puisés dans un champ lexical trop limité. Déjà, les choix lexicaux déterminent inévitablement les options idéologiques se caractérisant par un flou et une ambiguïté dictés par les conditions de production politiques du discours et de provoquer une «sorte de renouvellement du parti» pour reprendre une expression en vogue dans les cercles de ce regroupement. Simple faire-valoir Les congrès du FLN semblent se répéter sans profonds changements, mettant parfois en scène des colères et des guéguerres provoquant des départs et des mises à l'écart, et dénuées fondamentalement de conflits idéologiques évidents. On retrouve les mêmes pratiques, le même discours et les mêmes mentalités. Le refus de Bouteflika de prendre la présidence s'expliquerait peut-être par la connaissance du président du poids réel d'un «parti» encore trop marqué par les jeux d'appareils et l'opportunisme. Qu'apporterait le FLN au président dans les conditions actuelles? Connaissant le poids réel de ce regroupement et des hommes le composant, il deviendrait beaucoup plus un poids à supporter, c'est-à-dire pouvant décrédibiliser toute action possible. D'ailleurs, les dernières élections législatives ont donné raison au président qui sait que les «partis» en place n'ont pas d'assise populaire. Ce désaveu pourrait pousser le président, à juste titre, à faire appel à de nombreuses compétences en dehors des structures partisanes officiellement minoritaires dans la société. Le FLN s'est toujours comporté comme un appareil du pouvoir, une sorte de simulacre d'un pouvoir le dépassant réellement, appelé à apporter une caution devenant parfois dérangeante et embarrassante. Le RND, par exemple, a plus gêné Zeroual dans la mesure où il lui manquait la cohérence et le fonctionnement d'un parti au sens plein du terme. Quand les responsables du FLN parlent de «moderniser le parti», ils se limitent au choix d'un nouvel organigramme (secrétariat exécutif, instance exécutive et conseil national) qui ne changera rien aux choses, ni à une mentalité de tribu en quête permanente d'un cheikh. Toute disgrâce mène à l'oubli et flirte avec l'ingratitude. On se souvient des départs forcés de certains «patrons» comme Kaïd Ahmed, Mohamed Salah Yahiaoui, Mohamed Chérif Messâadia ou Abdelhamid Mehri et Boualem Benhamouda et Ali Benflis qui vécurent seuls leur marginalisation, abandonnés par leurs anciens fidèles qui se précipitèrent dans les bras du nouveau chef tout auréolé d'une récente aura. Jamais, depuis l'indépendance, le FLN n'a pratiqué réellement le pouvoir parce qu'il était tout simplement considéré par les vrais décideurs comme un simple faire-valoir, une police spéciale. C'était un appareil aux pouvoirs trop limités. Ses différents chefs ont tous fini par se faire taper fortement sur les doigts. Chérif Belkacem et Kaïd Ahmed ont pris les chemins escarpés de l'exil, Yahiaoui, Messâadia, Mehri et Benflis ont fini par emprunter, chacun à son tour, la voie étroite de la porte de secours. Du temps de Ben Bella, le FLN occupait le strapontin dans un pays marqué par le diktat de la tradition orale. Déjà, en 1964, au moment où ce qu'on appelait à l'époque la gauche du FLN rédigeait le texte qui allait devenir, par la suite, la Charte d'Alger, les coulisses, espace des véritables décideurs, étaient sérieusement animées. Ni la Charte d'Alger ni les deux chartes nationales de 1976 et de 1986, même formellement parrainées pour la forme par le FLN, ne furent rédigées par des militants du FLN. Certes, ce mot prêt-à-porter de «modernité» jamais défini, encombre aujourd'hui le discours de nombreux responsables algériens. A-t-on entendu les responsables de cette structure évoquer les questions politiques et sociales et la mise en oeuvre d'assises idéologiques claires et cohérentes pouvant orienter le «parti»? Cette «modernisation» illusoire est l'expression d'un vide reflété par un langage au degré zéro du sens et révélant un déficit sérieux en matière de programme et de projet. Cette obsédante quête du Chef obéit essentiellement à des considérations sociologiques, mais elle est également sous-tendue par le désir d'avoir la caution du centre du pouvoir. Le FLN est un appareil servant surtout à apporter son soutien au Président qui a la possibilité de distribuer avantages et postes de responsabilité. Mais ce type de «partis» dépourvus d'une ligne idéologique claire pullulent dans des pays souffrant de sérieuses carences au niveau du jeu démocratique. Les cas de l'Egypte, de la Tunisie et de la Syrie (où le Baath fonctionne tout simplement comme un appareil policier, ayant rompu avec son discours originel), par exemple, sont patents. En Afrique noire également, les choses ne sont pas différentes. Le Rassemblement démocratique africain (RDA) ou d'autres regroupements partisans ont disparu avec la disparition des chefs sans grande incidence sur le parcours normal du pays. D'ailleurs, les dirigeants de ces formations, essentiellement fondées sur des bases claniques et ethniques, s'étaient recyclés et réadaptés avec les nouveaux dirigeants. On ne peut comprendre le fonctionnement et le discours ambigu et ambivalent de ce type de «partis» si on n'interrogeait pas les conditions ayant présidé à la découverte de la structure partisane et son adoption par les élites de l'époque, vivant une sorte de fascination-répulsion et un extraordinaire déchirement marqué par la nécessité d'emprunter à l'Autre (l'Européen) ses structures et par la volonté de s'en libérer en s'accrochant à ses propres racines. Ce qui engendre des comportements et des attitudes syncrétiques juxtaposant les formes et les structures de deux ensembles culturels tout à fait différents, obéissant à deux modes de pensée distincts, sinon antagoniques. La situation du FLN est plus complexe dans la mesure où il est né à la suite de cette profonde crise qui a secoué le mouvement national et cette organisation syncrétique arrivée à épuisement. Au lendemain de l'indépendance, cet appareil vidé de toute substance après la guéguerre opposant l'EMG (l'Etat-Major Général) et le GPRA consacrant l'échec du Congrès de Tripoli et la victoire des gens de l'extérieur, trop armés, allait favoriser la suprématie de l'armée et la marginalisation de l'appareil du FLN qui se voit déjà lors de son congrès de 1964 occuper tout simplement un simple strapontin. Certes, des rédacteurs ont rédigé une charte restée lettre morte. Ce qui n'est plus le cas aujourd'hui, ni durant la période de Boumediène qui n'a jamais pris au sérieux l'appareil du FLN qui n'est guère arrivé à définir une ligne cohérente, trop marquée par les espaces clientélistes et claniques et le caractère foncièrement opportuniste de son discours et de ses pratiques. Les luttes des uns et des autres depuis l'indépendance suivant le défilé de ses «patrons» (Chérif Belkacem, Kaïd Ahmed, Yahiaoui, Messâadia, Mehri, Benhamouda, Benflis et Belkhadem), ne mettaient nullement en avant les débats et les orientations idéologiques trop occultées dans le fonctionnement de cette structure partisane, prisonnière d'attitudes rurales et de comportements relevant le plus souvent de postures attentistes et archaïques. Le FLN d'aujourd'hui est renié par ses propres fondateurs encore en vie. Aït Ahmed et Ben Bella, comme d'ailleurs Bouteflika et le défunt Boudiaf, considéraient le FLN comme un «patrimoine commun à tout le peuple» et qu'il ne devrait pas être monopolisé par une partie trop restreinte d'Algériens. Cet appareil est voué à vivre des crises successives, pouvant mener à sa disparition pure et simple. Ainsi, cette structure syncrétique reste encore l'otage de schémas archaïques, malgré l'usage de quelques mots donnant l'impression d'une possibilité d'une transformation positive. Mais sa genèse, ses conditions de production et son processus de fonctionnement appuyant son caractère syncrétique, trait commun à tous les regroupements politiques algériens issus d'une sorte d' «hypothèque originelle», représentée par sa naissance, c'est-à-dire les années 20, ont permis l'adoption des formes partisanes de type européen. Déjà, L'Etoile Nord-Africaine, première organisation politique, née dans le sillage de l'adoption des formes de représentation européenne, au contact de la France et après la Loi Jules Ferry qui a permis à certains autochtones de fréquenter l'école primaire et les syndicats européens, recourait à des pratiques tirées de la structure confrérique. Ce fut donc le cas de Hadj Ali Abdelkader et de Messali El Hadj qui furent à l'origine de la mise en place de cette structure, constituée au départ d'éléments généralement recrutés dans l'ouest du pays. Certes, le parti qui allait prendre la même hiérarchisation que la SFIO (parti socialiste, section française de l'internationale ouvrière) semble correspondre aux mêmes schèmes que le parti français, mais était plutôt prisonnier des réalités algériennes en porte-à-faux avec le système partisan européen. Ainsi, le parti va emprunter, certes, l'enveloppe externe, mais, souvent de manière inconsciente, le fonctionnement va reproduire la structure groupale «traditionnelle» qui s'impose essentiellement au niveau décisionnel et hiérarchique. Tout reposait sur le chef de la tribu qui arbitrait les conflits et qui n'avait pas les attributs d'un responsable de parti, mais d'un chef de zaouïa; ses décisions sont sans appel, incontestables. Ce n'est pas pour rien que toute tentative de briser cette structure est vouée à l'échec d'autant plus que cette composition syncrétique marque la société entière. Dans ce type de structure, la «tradition» orale occupe une place importante. Ainsi, le fameux CNRA de Tripoli (juin 1962), jamais clôturé à cause des conflits de personnes qui l'ont émaillé, a montré les limites de la structure partisane en Algérie. Il ne reste que la plate-forme de Tripoli, texte en porte-à-faux avec la situation réelle du congrès et rédigé par Mostefa Lacheraf, Rédha Malek, Abdelmalek Temmam, Mohamed Seddik Benyahia et Mohamed Harbi. Le parti ou le hizb n'est jamais arrivé à s'imposer comme entité politique et idéologique. D'ailleurs, lors des travaux du CNRA de juin 1962 et ceux du congrès du FLN de 1964, même si on avait confectionné une Charte d'Alger que trop peu de congressistes ont pris la peine de feuilleter. Parti-Zaouia Le vrai pouvoir partisan n'est pas réellement issu de joutes électorales. D'ailleurs, souvent, le jeu électoral réel est absent des territoires partisans, trop allergiques à tout comportement excluant la désignation unilatérale et le droit d'allégeance, attribut, par excellence, de la zaouïa et des chefs de tribus. Le parti-zaouïa s'inscrit beaucoup plus dans une perspective utilitariste et immédiate évacuant toute dimension prospective. Son souci majeur, c'est de mettre en place une sorte d'équilibre consensuel, évitant de profondes secousses susceptibles de faire imploser un «parti» artificiellement soudé par les intérêts des uns et des autres et un minimum d'entente. Dans cette formation hétéroclite où plusieurs discours se rencontrent tout en s'excluant, l'expression orale reste le terrain privilégié de toutes les joutes. L'espace syncrétique mettant en situation deux instances culturelles, l'une acquise (la forme de représentation occidentale) et l'autre, originelle («populaire»), engendre ce type de comportements et met en branle une sorte de «viol» des attitudes dites «modernes». C'est finalement, le propre de tous les regroupements politiques algériens qui, comme le FLN, manquent d'une organisation, d'un discours et d'une culture de parti de type «moderne». Cette situation risque de perdurer dans un pays encore peu pressé à interroger sérieusement ses espaces institutionnels et à mettre en place une nouvelle structuration correspondant aux réalités nationales, c'est-à-dire épousant en même temps les contours des sociétés dites «modernes» et les lieux privilégiés de la culture autochtone. Le congrès du FLN devrait régler la question de la légitimité de son propre appareil risquant, à force d'être instrumenté par les uns et les autres en fonction d'intérêts apparemment différents, de s'éroder et de freiner toute possibilité de mutation et de changement démocratique. Certes, ce «parti» connaît de temps en temps des replâtrages et des situations ubuesques.