Elle a du coffre, de la prestance et une remarquable présence sur scène. Elle s'appelle Norah Krief et elle sait chanter du Shakespeare. Cette fille, dans le vent, a du pep et de l'énergie à revendre. Sur initiative du CCF d'Alger, elle sera parmi nous mardi et mercredi prochains, au théâtre Mahieddine-Bachtarzi pour un concert exceptionnel, construit à partir de sonnets de Shakespeare, qui seront mis en musique et qu'elle chantera. C'est une véritable prouesse artistique d'une comédienne qu'elle est. L'initiative de ce concert, original à plus d'un titre, est née d'un spectacle, Henri IV, mis en scène par Yann Joël Collin. Une des actrices, le traducteur et le compositeur, ont voulu développer ce qui existait dans la représentation - trois sonnets y étaient chantés - mais encore à l'état embryonnaire : faire entendre Shakespeare par le chant. Les sonnets, au coeur de l'oeuvre, semblent, en effet, dévoiler leur intimité comme si en la concentrant, ils révélaient un drame essentiel et enfoui: celui d'une parole d'amour alternant enthousiasme et désespoir, offerte par le poète à un autre homme dont l'identité est restée un mystère... Mais, surtout, au-delà d'un nom, c'est le drame d'une parole à la recherche éperdue, constamment déçue et constamment recommencée, de son destinataire, d'où cette forte charge émotionnelle qui se dégage de ce spectacle car, croyons-nous, ces sonnets s'adressent constamment à nous. Avec Frédéric Fresson au piano, Daniel Largent à la guitare et Philippe Floris à la batterie, ensemble porteront musicalement ces durs poèmes et Norah, avec au firmament du plaisir extatique, celui mêlé dans la fusion à l'énergie du groupe, qui sera ressenti tout entier par le public. Débarrassés de leur aspect ampoulé et leur rigoureuse rhétorique, ces sonnets laisseront apparaître toute la sensibilité érotique de cette voix déchirée qui émane du tréfonds de l'âme pour tendre à communiquer avec l'autre, sans fioriture ni artifice et nous inciter à ressentir enfin son émoi, sa souffrance. De cette communion du corps avec l'esprit découleront ces vers ciselés, «rockement» habillés, toute la tragédie humaine. La tragédie bien chère à Shakespeare !