Dans cet entretien, l'ancienne combattante revient 45 ans en arrière, pour s'exprimer sur l'événement symbolique du 5 Juillet 1962. L'Expression: 45 années sont passées depuis l'indépendance, quels sont vos sentiments aujourd'hui? Louiza Ighil Ahriz: C'est un rêve qui s'est exaucé. C'est le plus beau rêve de ma vie. Je ne m'attendais pas que nous puissions être à la hauteur de cette force militaire. Aujourd'hui, j'éprouve un sentiment de joie et de peine pour mes compagnons martyrs. 45 ans après je suis toujours en vie, je me le demande comment? Dieu merci, car j'ai pu côtoyer une jeunesse dynamique qui veut arriver à l'indépendance. Ce qui me fait mal aujourd'hui, c'est la dépendance économique. 45 ans après, nous n'avons pas encore atteint cet objectif. Pourtant, nous avons des richesses et une jeunesse extraordinaire. Or, hier, avec peu de moyens, nous avons pu mettre la France à genoux. Je pense que le manque de confiance et de conviction sont à l'origine de cette situation caractérisée par une cascade de corruptions. Pourquoi avons-nous laissé des Algériens escroquer leurs frères? Est-ce que nous avons accompli les recommandations de la déclaration du 1er-Novembre 1954? Avons-nous accompli l'indépendance économique qui était l'engagement des chouhada après la libération du pays? Je ne pense pas. Personnellement, je me culpabilise. Le slogan, «n'oubliez pas le serment des chouhada», retentit toujours dans mes oreilles. Après tout ce temps- là, on se retrouve à la traîne. Je n'aurais jamais cru qu'on atteindrait cette situation scabreuse. Franchement, j'éprouve de la peine pour notre jeunesse qui est sans repères. A quelques jours avant l'arrivée du président Sarkozy à Alger, la France écarte l'idée de repentance. qu'en pensez-vous justement? Qu'attendez-vous de cette visite? J'attends qu'il arrive pour savoir l'objet de sa visite. Je suis un peu perplexe là- dessus. Pas de repentance, les visas seront plus difficiles, je suis curieuse de connaître le secret de sa venue. Quoi qu'il en soit, je continuerais à revendiquer la repentance. Je tiens à préciser une chose: lorsqu'on est président de la République, on prend le passif et l'actif. L'Allemagne a demandé des excuses à la France, le président Jacques Chirac l'avait même fait avec les Malgaches, alors pourquoi pas avec nous? Cette ségrégation, je l'accepte très mal. Mes blessures ne se sont pas encore cicatrisées. Le pire, c'est que j'ai transmis ce mal à mes enfants. J'espère profondément que notre président va exiger de son invité de présenter ses excuses. Je ne vois pas d'autres solutions pour le développement des relations entre les deux pays. Qu'il fasse d'abord acte de repentance et là, on peut facilement tourner la page. Croyez-moi, je parle sans haine et sans rancune. S'il n'y avait pas un vide juridique chez nous, il n'y aurait jamais la loi du 23 février. Hélas, notre Assemblée n'a jamais voté une loi sur les actes barbares. La problématique de l'écriture de l'histoire se pose toujours, pourquoi selon vous? Effectivement, c'est mon voeu le plus absolu. Je ne cesse de le revendiquer, en vain. Je considère cela comme une insulte et une injustice à la mémoire de nos chouhada. J'espère que le président saisira l'occasion de la visite du président français pour demander la récupération des fichiers de l'histoire. Je pense que c'est le moment ou jamais pour le faire. L'histoire doit être enregistrée par les gens qui l' ont vécue. Si on ne le fait pas maintenant, on risque de la perdre. Où en êtes-vous dans votre procès contre le général Maurice Schmit? Je continuerais mon combat jusqu'au dernier souffle de ma vie. Je l'attaque devant la Cour européenne. Si elle ne me donne pas raison, je transmettrai l'affaire au Tribunal pénal international. Les crimes et les tortures sont intempestives. Il n'est pas question que je lâche prise. J'étais torturée lamentablement et j'ai transmis ça, inlassablement, à mes enfants. Un message à la jeunesse... Tenez-bon, l'Algérie est à vous. C'est un trésor qu'il faut garder précieusement car ils n'ont pas d'autre pays de rechange.