Au cinquième jour du procès, rien de décisif n'est encore apparu, l'accusation et la défense cherchant toujours à sérier les responsabilités. Après l'Opgi, c'est l'Eplf, autre organisme public de construction de logements. Le dossier de ce dernier promoteur a été ouvert, hier, par le juge du siège, M.Benabdallah au tribunal de Boumerdès. L'Eplf est accusée dans trois projets, à savoir les 122 logements de Corso, les 252 logements des Issers et les 10 logements de Sidi Daoud. Lors de la séance d'hier, c'est le projet des 122 logements, qui a été décortiqué. Le président-directeur général de l'Eplf, M.Selkim Mohamed, a donné à la justice «toutes les précisions jugées importantes, afin d'éclaircir le chemin à la justice pour mieux situer les responsabilités». Après avoir marqué une halte en la mémoire des victimes (qu'Allah ait leurs âmes), M.Selkim a répondu aux questions du président du tribunal. Quel est votre niveau d'étude? demande ce dernier. M.Selkim présente un riche CV. «Je suis un universitaire en économie et en psychologie. J'ai fait des formations dans la gestion des projets, je me suis spécialisé en gestion et management de l'immobilier. J'ai occupé le poste de directeur à l'Opgi, directeur général délégué à l'Eplf, cela avant d'être promu au poste de président-directeur général de l'Eplf, en 1991». Le magistrat demande à l'accusé de définir sa fonction exacte, en sa qualité de chef de la hiérarchie. «Les responsabilités sont déterminées, selon le règlement intérieur de l'entreprise. Il y a tout un organigramme. Les responsabilités sont limitées selon ledit règlement», souligne M.Selkim. A propos de la réalisation de ce projet, l'accusé a rappelé que le début de la phase d'étude des projets a débuté en 1986, soit avant sa nomination à la tête de l'Eplf. «A mon arrivé à la tête de l'Eplf, les projets étaient à 100% parachevés au niveau de l'infrastructure. Il ne restait que les finitions», précise-t-il. Et le mis en cause de préciser: «Juste après mon installation, j'ai demandé à nos cadres d'établir des constats généraux sur la situation des travaux prévalant à cette époque.» Interrogé sur le choix du site, l'ex-directeur de l'Eplf a affirmé que c'était la commission de la wilaya de Boumerdès qui a opté pour ce terrain de Corso. Se référant au PV du juge d'instruction, M.Redouane Benabdallah demande à M.Selkim d'expliquer la succession de sept entrepreneurs sur ce projet, ainsi que la résiliation de quelques contrats avec quelques entrepreneurs et le CTC. Sur un air, semble-t-il, confiant, l'accusé avance ses arguments à la justice et indique à propos de la résiliation des contrats avec «un bon nombre d'entreprises». «D'abord, déclare-t-il, je me suis référé à la circulaire du chef du gouvernement, en 1994, ordonnant aux entreprises étatiques de renforcer leurs chantiers pour parachever les programmes». Et de souligner: «Il y a lieu d'ajouter la défaillance de quelques entreprises, ce qui nécessita leur remplacement.» Défaillance des entreprises A noter que la défaillance des entreprises est due, notamment, à la décision prise par la Cnep d'arrêter le financement des projets de construction. S'agissant de la résiliation du contrat avec le CTC, M.Selkim, a expliqué que cela s'est fait «suite à l'arrêt des travaux, le CTC ayant accompli, selon lui, sa mission. Le suivi et le contrôle ont été réactivés à la reprise des travaux». Cette réponse se veut comme une infirmation directe des propos du procureur qui a annoncé que les travaux avaient repris sans le contrôle du CTC. Accusé en outre, d'avoir remis les clés aux locataires avant la réception définitive des travaux, M.Selkim a mis en exergue le fait que la majorité des locataires a occupé les logements d'une manière illégale. Pour preuve, il indique que deux mises en demeure ont été envoyées aux occupants en 2000 et 2002. «Nous vous mettons (les occupants, Ndlr) en demeure de libérer le logement que vous occupez illégalement et nous vous mettons en garde contre les risques encourus du fait de l'occupation illicite du logement, sans autorisation de l'Eplf», selon la lettre lue par le mis en cause devant le tribunal. Avez-vous déposé plainte auprès de la justice? demande le président. Là, c'est le côté humain et l'action sociale qui prédominent comme l'explique l'accusé, selon lequel «ce sont des pauvres et fils de pauvres qui ont agi ainsi. Il y avait une pression sociale immense et une grande crise du logement. Je ne pouvais les poursuivre en justice, les expulser...», soutient-il tout en précisant que «cette occupation illicite», a été faite après la réception provisoire du chantier. Poursuivant son interrogatoire, le président du tribunal a appelé les entrepreneurs à comparaître, avant de lever la séance du matin. Contre-attaque des avocats A 14h20, les auditions reprennent. Yahiaoui Karima, experte architecte, désignée par le juge d'instruction, présente son exper-tise à propos du site en question. Parmi les principaux points mentionnés dans son expertise, Mme Yahiaoui a remarqué l'absence du PV de réception définitive du projet. Le site de Corso a été classé dans la zone 4 selon le RPA-88 (règlement parasismique), tous les immeubles se sont effondrés, soit complètement, soit partiellement. L'experte a expliqué l'effondrement des six immeubles sur neuf par deux raisons: la violence du séisme et les défaillances humaines. Plusieurs anomalies ont été ainsi relevées: mauvaise exécution et mauvaise réalisation du projet, manque d'expérience dans la conception parasismique, la nature et la spécificité du terrain et enfin la succession des bureaux d'études et des entrepreneurs sur le même projet. D'emblée, ces arguments sont rejetés par la défense. Me Abdellatif Benberrah, avocat à la cour, agréé près la Cour suprême et au Conseil d'Etat, a expliqué à L'Expression que cet expert n'est pas habilité à faire ce travail. «Mme Yahiaoui est une experte architecte, mais pas en génie civil. Cette expertise ressort des prérogatives de l'ingénieur en génie civil.» D'après lui, l'experte n'a pas toutes les données et compétences professionnelles pour établir une expertise du genre. «Comme si on demande à un ophtalmologue d'examiner un patient qui souffre d'un problème respiratoire. Certes, les deux sont médecins, mais à chacun sa spécialité. Elle n'est pas spécialiste du béton.» De ce fait, Me Benberrah estime que l'experte n'a rien apporté au tribunal, car, indique-t-il, elle a établi des conclusions théoriques. De son côté, Me Abdessamed Henni Houria, avocate à la cour, agréée près la Cour suprême et au Conseil d'Etat, a emboîté le pas à son collègue. «Mme Yahiaoui aurait dû décliner la mission avec toute l'honnêteté professionnelle», a-t-elle déclaré. Et de préciser: «L'experte aurait dû prendre attache avec toutes les parties concernées, y compris l'Eplf. Or, elle s'est basée seulement sur le rapport des deux commissions ministérielles.» Me Benberrah a remarqué, également, que l'experte a mentionné que la région a été classée selon le règlement parasismique (RPA 88) alors que la phase d'étude du projet a débuté en 1986. Les résultats du Laboratoire national des travaux publics (Lntp) a rendu son étude en 1987. A la suite de ces données, les experts devaient, en principe, travailler selon le RPA 81 ou 83, a constaté la défense. Même remarque formulée pour l'expertise du ministère. Me Benberrah s'est interrogé: comment un travail minutieux (expertise) qui nécessite une longue période, n'a duré que trois semaines? Les «attaques» de la défense se sont poursuivies tout l'après-midi.