Coup de grâce en Turquie aux partis traditionnels avec le raz de marée islamiste lors des législatives anticipées de dimanche. Un véritable séisme a soulevé le landernau politique turc au lendemain de la victoire écrasante des islamistes «modérés» de l'AKP. Le succès des islamistes «modérés» du nouveau parti de la Justice et du développement (AKP) était certes, attendu, mais sans doute pas avec cette ampleur qui permet aux islamistes turcs d'avoir la majorité absolue au Parlement. Ce bouleversement du paysage politique turc s'accompagne d'une déroute totale et historique des partis traditionnels quasiment tous éliminés de la nouvelle carte politique de Turquie. Ainsi, le Parti de la Gauche démocratique (DSP) du Premier ministre sortant, Bulent Ecevit, qui n'a pu atteindre le chiffre fatidique des 10% se voit écarté de la nouvelle chambre. Il en est de même pour le parti d'extrême droite MHP (seconde formation du Parlement sortant) qui n'a pas réussi, pas plus que le DSP, à se maintenir au Parlement. Outre ces formations sorties avec pertes et fracas, deux autres ténors de la scène politique turque, Mesut Yilmaz et son Parti de la Mère patrie (ANAP), et Mme Tensu Ciller à la tête du Parti de la Juste Voie (DYP) ont été laissés sur le carreau par un électorat turc qui a décidé de faire le grand nettoyage, balayant les partis qui ont régné ces deux dernières décennies, en donnant sa voix aux islamistes de Recep Tayyip Erdogan, et à son parti AK, grands vainqueurs d'une consultation qui a bouleversé de fond en comble un schéma politique devenu obsolète. L'autre grand échec est celui du Parti islamiste Saadet (héritier du parti Fazilet, lui-même successeur de Rafah) de Necmettin Erbakan, crédité de seulement 3% des voix. Dans ce grand naufrage des partis traditionalistes, seul a surnagé le Parti prolaïque Républicain du peuple (CHP), qui arrive en seconde position avec un peu plus de 18% des voix. Tout compte fait ce sont quatre anciens Premiers ministres, MM.Bulent Ecevit, Mesut Yilmaz, Necmettin Erbakan et Mme Tensu Ciller et leurs partis respectifs, qui ont été renvoyés sans ménagement par un électorat turc fatigué, qui ne croyait plus aux promesses sans lendemains de politiques qui ne semblent pas avoir de solution de rechange à une crise économique qui met le pays en situation difficile, appelant à la rescousse des hommes nouveaux. C'est donc le tout nouveau Parti islamiste de la justice et du développement (AKP), étiqueté modéré, -crée en juin 2001 par Recep Tayyip Erdogan qui avait rompu avec le parti Fazilet de M Erbakan -, qui, avec près de 35% des suffrages, emporte le jackpot décrochant au passage 363 sièges, sur les 550 en jeu, et la majorité absolue, au nouveau Parlement. Ancien maire d'Istanbul, banni de la politique et condamné à quatre mois de prison en 1997, pour «incitation à la haine religieuse» Tayyip Erdogan a su tirer les enseignements des échecs passés des formations islamistes. Il a ainsi renouvelé l'image de marque de l'islamisme turc en donnant de lui un aspect plus «bon chic bon genre» propre à ne pas effrayer ses partenaires politiques nationaux et singulièrement les partenaires internationaux de la Turquie. Comme maire de la grande métropole turque, Istanbul, M Erdogan semble avoir laissé un bon souvenir par sa pratique de la gestion de l'ancienne capitale ottomane. Cependant, il est surtout attendu, du nouvel homme fort, qu'il prenne en charge de manière résolue la crise récurrente d'une économie au creux de la vague. De fait, les choses semblent avoir empiré sous le gouvernement de coalition de Bulent Ecevit qui, à l'évidence, n'avait pas su trouver de solutions crédibles pour rétablir une situation économique plus que compromise. Situation illustrée par une récession durable provoquée autant par une double crise financière que par la perte de valeur de 50% de la livre turque avec, à la clé, plus d'un million de nouveaux chômeurs. Recep Tayyip Erdogan s'est dit, dès les premières heures du scrutin, dimanche, «prêt à remplir son devoir et à gouverner la Turquie» expliquant: «Il semble que l'AKP est en tête avec une large avance.» Ayant le triomphe modeste et assuré de se voir confier la responsabilité du gouvernement par le président turc, le vainqueur des législatives du 3 novembre s'emploie à rassurer l'Occident, multiplie les déclarations dans lesquelles le leader de l'AKP affirme qu'il maintiendra la Turquie à l'Ouest. Mais l'homme fait toujours peur et d'aucuns d'attendre de le voir à l'oeuvre et la suite des événements.