Le nouveau décret d'exercice des salles des fêtes familiales fait des vagues et a occasionné la fermeture d'un grand nombre d'entre elles dans la capitale. Trente hôtels fermés au niveau de la capitale. Une autre vingtaine en voie de l'être. Les raisons sont multiples: insalubrité, manque d'hygiène et non-conformité aux lois régissant le secteur. Les salles des fêtes subissent le même sort. On fait la «fête» aux salles des fêtes. Les défaillances constatées sur le terrain ces derniers temps, ont fait que la législation régissant l'exploitation de ces salles familiales se fait de plus en plus pointue et stricte. Si la première décision s'est avérée logique et acceptable, la seconde suscite l'ire des propriétaires des salles en question. Une situation anarchique. Un feuilleton qui, semble-t-il, n'est pas près de connaître son épilogue. Des décisions ont été prises, des dépassements apparus...mais aussi des contradictions ressortent dans cette affaire qui oppose les propriétaires des salles au ministère de l'Intérieur et des Collectivités Locales, responsable des dernières directives. Les gérants «dénoncent» haut et fort ce qu'ils qualifient comme une «injustice» sans précédent. «Nous sommes marginalisés», clament-ils d'une seule voix. On enlève de la main gauche ce que la droite a donné. Car, affirment-ils, c'est le même département ayant donné l'autorisation de construire ces salles qui a ordonné la fermeture de ces établissements à utilité publique. Devant cette situation, moult questions se posent. Pourquoi ferme-t-on ces salles quelques mois après la délivrance d'un permis d'activité? Y a-t-il des contradictions dans le décret relatif à cette histoire de fermeture des salles? Les nouvelles mesures draconiennes dudit décret concernent-elles toutes les salles? Ces questions, ressassées comme un leitmotiv par les propriétaires de salles, montrent les ambiguïtés que contient ce dossier épineux. Qui a gâché la saison des mariages cette année? D'ailleurs, les nouveaux mariés sont confrontés à une situation préoccupante. Où organiser la fête? Les effets secondaires d'un décret Le Comité national de patrons de salles des fêtes, après avoir vu échouer toutes ses réclamations entreprises auprès de la direction de la réglementation au ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales, vient d'adresser une lettre ouverte au premier responsable de ce département ministériel pour relever toutes les contradictions ayant trait à un texte de loi, à tout le moins controversé. Contacté par L'Expression, M.Abdelmadjid, président du Conseil national des salles des fêtes (Cnsf), a précisé que le décret 05/207 promulgué le 04/06/2006 -signé par le chef de gouvernement d'alors, Ahmed Ouyahia- est truffé de contradictions. Corollaire immédiat? 80% des salles au niveau de la capitale sont officiellement fermées. Selon Benalia Kremiai, vice-président du Cnsf, «plus de 80% des exploitants des salles des fêtes ont reçu des ordres de fermeture. Alger est la plus touchée. 210 salles sur un ensemble de 280 ont baissé rideau.». Les chiffres avancés nous laissent plutôt perplexes. Que préconisent en contre-partie les représentants du Conseil des salles de fêtes? La promulgation d'un nouveau décret? Absolument pas, répond M.Abdelmadjid. A se fier à ces dires, leur demande consiste à inviter le département concerné à effectuer un travail correct et mettre tout le monde sur le même point d'égalité. Point. «Pourquoi toutes ces différences, ces ségrégations...et autres pratiques injustes?» s'est-il interrogé. Dans son argumentaire, M.Abdelmadjid met l'accent sur les codes d'activité contenus dans les registres du commerce délivrés aux propriétaires des salles des fêtes et qui sont totalement différents de ceux des lieux de loisir ou de divertissement. Une salle des fêtes, comme le stipule le décret, dont copie nous a été remise, est considérée comme un lieu de divertissement au même titre qu'une discothèque ou un cabaret. Absurde et inouï, s'écrient unanimes les propriétaires des salles concernées. «C'est une atteinte à notre Conseil et à tous les propriétaires des salles» a précisé M.Abdelmadjid. Ces «décisions insensées», selon notre interlocuteur, poussent, vaille que vaille, les gens à agir illégalement ou encore à travailler dans l'informel. Cependant, étant donné qu'un décret promulgué ne peut nullement être annulé, les membres du Conseil national des salles de fêtes ont tenté de peser sur le contenu à donner aux textes d'application. Cette tentative a été un coup d'épée dans l'eau et aucune alternative visant à prendre en considération les doléances de cette corporation n'est envisagée par les pouvoirs publics dans l'immédiat. Du coup, et comme l'a souligné le président du Cnsf, c'est l'impasse. L'un des fondements du décret sont, faut-il-le préciser, les conditions d'hygiène qui ne répondent pas, selon les concepteurs de cette décision de fermeture, aux normes exigées. Une autre anomalie relevée dans le décret en question a été, déjà, au centre d'une discussion entre les membres du Conseil et la directrice de la réglementation au ministère de l'Intérieur. Il s'agit de l'âge minimal fixé par ce décret à 30 ans pour les gérants et 25 ans pour les employés, contre 18 ans comme le stipule le Code du travail. «C'est une pure aberration qui relève d'un esprit de contradiction», a souligné M.Abdelmadjid. Et celui-ci d'ajouter, qu'il s'agisse d'un prétexte qui favorise, paradoxalement, l'ouverture des cabarets dont les conditions d'exercice sont les mêmes que pour les salles des fêtes y compris l'âge pour les gérants et les travailleurs. Est-il concevable, s'interroge notre interlocuteur, de privilégier l'ouverture de ces établissements où la consommation de l'alcool, ainsi que tout genre d'attractions, sont autorisés au détriment d'une salle de festivité familiale? «Mettre sur le même pied d'égalité un night-club et une salle des fêtes est une autre manière de créer l'amalgame dans des activités» qui ne sont pas du même ordre, a encore précisé le président du Cnsf. L'autre paradoxe a trait à la durée d'autorisation d'exploitation telle que contenue dans l'article 108 du décret en question. Elle est de 5 ans pour les cabarets et seulement de 2 ans pour les salles des fêtes. Or, la fermeture des salle des fêtes a eu des retombées négatives au plan social, occasionnant plusieurs suppressions d'emplois ainsi que des pertes sèches pour le Trésor public en matière de rentrée fiscale. La situation induite par cette affaire de fermeture de ces lieux d'activité familiale a mis dans tous leurs états les gérants et propriétaires des salles des fêtes. Irrité par ces mesures, l'ensemble des propriétaires des salles, à l'image de Hamza, la quarantaine entamée et exerçant à Semmar (avant que sa salle ne soit fermée) crie à une injustice voulue et sélective. Après une virée dans différentes communes de la capitale, à El Harrach, à Kouba, à Belouizdad...le constat établi est désolant, sinon absurde avec ces salles aux portes fermées. Interrogé, le propriétaire d'une salle toujours en activité sise à «Jolie Vue», Kouba, répond sans problème à nos questions. Comment cette salle a-t-elle pu échapper à la sanction qui touche les autres salles d'Alger alors qu'elle est située au milieu des habitations? Ironique, il eut cette réponse «On essaie de faire le moins de bruit». Questionné sur cette réalité, le président du Cnsf, explique le pourquoi de la chose et que, selon lui, il y aurait beaucoup à dire sur ce volet du contentieux. Favoritisme, passe-droits, tchipa...et clientélisme Des dizaines de salles ne répondant à aucune norme, même en dehors du décret, exercent, bel et bien, sans aucun contrôle selon le président du Cnsf, qui énumère un certain nombre de ces salles qui ne remplissent pas, selon lui, les conditions d'exercice des activités pour lesquelles elles sont enregistrées. Généralement, ces salles appartiennent soit à des organisations ou administrations publiques (syndicats et/ou APC). Ce sont des hangars sans portes ni fenêtres...et sans parking. Aucune norme n'est respectée et le danger qu'elles représentent est immense, indique M.Abdelmadjid. Selon lui, le département de Zerhouni feint de les oublier. C'est le deux poids, deux mesures estime notre interlocuteur. A Beni Messous, a indiqué M.Abdelmadjid, une salle sise à 50 mètres de l'hôpital, est toujours en activité au grand dam des malades hospitalisés. Ce n'est qu'à des heures indues de la nuit que cette salle ferme ses portes précise-t-il. Or, les normes, telles qu'édictées par le décret de telles salles doivent être éloignées d'au moins 200 mètres des lieux d'habitation, hôpitaux, écoles entre autres. Or, «Ces salles continuent d'exercer grâce à la bénédiction des autorités locales.» accuse le président du Cnsf. Autre exemple, celui-ci entrant de plain-pied avec la détérioration du patrimoine national. A Bouzaréah, argumente M.Abdelmadjid, à un monument turc, portant le nom de Katerina, disposant intra-muros d'un restaurant luxueux (fréquenté semble-t-il par de hautes personnalités du pays, selon M.Abdelmadjid) est accolée une salle des fêtes portant le même nom que ce parc spacieux, a été récemment fermée. La Raison? Cette salle ne disposerait pas d'un permis d'activité dans le secteur en cause. Aussi, l'on s'interroge qui a donné le feu vert à ce gérant lui permettant d'exercer illégalement pendant une longue période? Qui l'a autorisé à travestir ce patrimoine culturel et historique? La question semble de forme d'autant que ce sont les mêmes responsables qui sont derrière l'application, sans nuance, de mesures de fermeture de 80% des salles, dont certaines répondent parfaitement aux normes édictées. A Chéraga, ce sont 16 salles qui ont cessé leur activité tandis qu'à Alger-centre, ce chiffre est de l'ordre de 210. «C'est une question de chipa» souligne notre interlocuteur. Il convient de rappeler qu'avant la promulgation du nouveau décret, la réglementation était claire. Ce sont les APC qui prennent en charge toutes les salles répondant aux normes de sécurité, d'hygiène ainsi que d'environnement. Il suffisait d'une simple demande adressée au P/APC pour réserver une salle. Autre décision qui n'arrange personne. 15% des propriétaires des salles des fêtes ayant opté pour ce créneau ouvrant droit à l'aide Ansej sont aujourd'hui victimes de l'application, sans discernement de ce décret. Ce qui condamne ces jeunes investisseurs à retourner au chômage ou à une activité informelle. Autres retombées négatives, plusieurs gérants se trouvent dans l'incapacité de rembourser les prêts bancaires. Pour le personnel, c'est l'enfer de la rue. Par ailleurs, en cette période de mariages, la rareté des salles a fait flamber les prix qui se sont envolés de façon vertigineuse. Si les plus nantis peuvent s'offrir des festivités et cérémonies nuptiales somptueuses dans les quelques Palaces d'Alger, les couples de la classe moyenne, par contre, sont bel et bien piégés. Le coût minimum d'une soirée familiale se situe entre 1000 et 3000 euros. Le sociologue Nasser Djabi met en cause le coût excessif de la fête qui figure parmi les raisons -souvent avancées- qui expliquent le recul de l'âge du mariage en Algérie, en plus de l'allongement de la durée des études...de même que la difficulté pour les nouveaux couples à trouver un logement indépendant. Selon les statistiques nationales, les hommes et les femmes se marient en moyenne à l'âge «très avancé» de 35,5 ans et de 32,2, respectivement selon une étude réalisée en 2006 parmi 300.000 personnes. Il y a 20 ans, l'âge moyen du mariage était de moins de 27 ans. Aujourd'hui, les gérants de salles des fêtes refusent en bloc le fait accompli et estiment que cette mesure n'a pas de rapport avec d'éventuelles tentatives de moralisation de cette activité. C'est l'effet inverse, selon eux, qui risque de se produire. N. B: Sollicitées, par notre reporter, pour donner leur version des faits, les municipalités d'Alger n'ont pas jugé à propos d'expliquer le sens d'une mesure et apporter les précisions et les éclaircissements concernant la fermeture inopinée de plusieurs salles à Alger. Fermeture qui, à la limite, constitue un problème social pour de nombreux travailleurs, dont ces salles sont souvent l'unique gagne-pain, outre le fait que la fermeture des salles de fêtes en cette période festive fait quelque peu désordre. Mais la communication a toujours été le talon d'Achille de nos édiles.