Les éditorialistes français s'en donnaient, hier, à coeur joie après l'officialisation de la vente d'armes à la Libye. Les otages comme monnaie d'échange sont en passe d'être cotés en Bourse, à en croire les derniers rebondissements dans l'affaire de la libération des infirmières bulgares. C'est surtout le côté «faux jeton» des officiels français, à propos de la vente d'armes à la Libye, qui agace et met mal à l'aise. Jeudi encore, la main sur le coeur, le chef de la diplomatie française, Bernard Kouchner, démentait une telle vente, affirmant qu'il n'en est rien. Las! Hier, c'est le groupe européen d'aéronautique et de défense, Eads, qui confirme, dans un communiqué publié ce même jour, que le contrat pour la fourniture de missiles antichar Milan à la Libye est «finalisé» après «18 mois» de négociations. C'est aussi un camouflet pour le président Sarkozy, devenu «roi de la récup», selon les médias français qui démentaient l'existence d'un projet de vente d'armes françaises à la Libye. Aussi, d'aucuns s'interrogent: «La France a-t-elle payé une rançon à la Libye pour la libération des infirmières bulgares sous forme de vente d'armes sophistiquées?», alors que d'autres rétorquent: «Quand on abrique des armes, il faut bien les vendre à quelqu'un.» Mais la question pourrait être autre, ou plus subtile, en effet, pour savoir à quoi servira, et aussi contre qui, cet arsenal -estimé à plus de 160 millions de dollars- dont Tripoli va se doter? Faire revenir la Libye dans le circuit international après qu'elle se soit, d'elle-même, marginalisée par des pratiques répréhensibles (affaires Lockerbie, UTA notamment) est de bonne guerre, mais justement, pourquoi lui vendre, pour ce faire, des armes de guerre aussi sophistiquées que le sont les missiles antichar Milan? Pour les utiliser contre qui? Où Tripoli va-t-elle les exposer? Dans un musée de la guerre? Or, Paris n'a cessé, depuis la libération des cinq infirmières et du docteur bulgares, de chanter les prouesses de sa diplomatie, sans «aucune contrepartie» assuraient les officiels français, à leur tête, le président Sarkozy. Certes, dans un monde où la realpolitik et le cynisme dominent, un tel marché n'est guère étonnant, mais les Français avaient-ils besoin d'en rajouter? D'ailleurs, Seif El Islam El Gueddafi, fils du guide libyen, avait vendu la mèche dans un entretien au journal Le Monde, paru en début de semaine, dans lequel le président de la Fondation El Gueddafi -qui a négocié la libération des infirmières bulgares- avait affirmé que Tripoli avait finalisé des contrats d'armements avec Paris, déclaration confirmée, plus tard, par des sources officielles libyennes. Or, nonobstant cette évolution de l'affaire de la vente d'armes, le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, a encore, dans un communiqué publié jeudi, «démenti» que la libération des cinq infirmières et du médecin bulgares, le 24 juillet, «ait été obtenue avec des contreparties telles que des versements financiers de la France ou un contrat d'armement». Et ce n'est même pas là un mensonge par omission, pour dire que les négociations entre Paris et Tripoli étaient engagées de longue date, comme le précisait Eads, hier, dans son communiqué. Il est patent, cependant, que la condition d'élargissement des infirmières, a largement joué dans l'accélération de l'accord de vente entre la France et la Libye. De fait, enfonçant son collègue des Affaires étrangères, le ministre français de la Défense, Hervé Morin, a annoncé hier que la Libye avait signé une «lettre d'intention» pour acheter à la France des missiles Milan, une vente qui avait reçu, selon lui, «l'accord de principe» d'une commission interministérielle française en février 2007. Aussi, ancien ministre de l'Intérieur français à l'époque où la commission interministérielle a donné son «accord de principe», M.Sarkozy ne pouvait ignorer l'existence de «discussions» entre Paris et Tripoli sur ce sujet, afférentes à la vente de missiles antichar Milan. Or, interrogé par la presse française lors de sa visite à Tripoli -il y a une dizaine de jours, au lendemain de la libération des infirmières bulgares- pour signer un projet de fourniture d'un réacteur nucléaire civil, Nicolas Sarkozy a répété qu'il n'avait conclu aucun contrat d'armements. La diplomatie et la politique ont des raisons que la raison ne connaît pas certes, mais...De fait, le président français, qui a même mis à contribution son épouse, Cécilia Sarkozy, en a fait finalement «des masses» réalisant des «coups de maître» par-ci, accréditant son «rôle miracle» dans les grandes affaires du monde, par-là. Mais la fin justifie-t-elle pour autant les moyens? D'ailleurs, cette affaire fait des vagues en France où le numéro un socialiste, François Hollande, a sauté hier -à pieds joints- sur l'occasion, pour demander la constitution d'une commission d'enquête parlementaire pour «faire le clair» sur les négociations entre la France et la Libye, après la confirmation par un haut responsable libyen de la signature de contrats d'armement avec Eads, après l'annonce par ce dernier de l'accord avec Tripoli.