Au moment où les socialistes français exigent des explications au gouvernement sur les contreparties qui auraient été consenties à Tripoli pour la libération des infirmières bulgares, la Libye annonce la signature d'un important contrat d'armement pour 168 millions d'euros. Après un long silence, le gouvernement français a confirmé, hier, l'existence d'un important contrat d'armement avec la Libye pour la fourniture de missiles antichars, une semaine après la libération des infirmières et du médecin bulgares. Il s'agit d'un contrat d'armement avec EADS pour l'achat de missiles Milan pour 168 millions d'euros et pour un système Tetra de communication radio pour 128 millions d'euros. Le contrat a été signé avec MBDA, numéro un mondial des systèmes d'armes guidées, filiale du groupe européen d'aéronautique et de défense EADS, a ajouté ce responsable, précisant qu'il s'agit du premier contrat d'armement signé avec un pays européen depuis la levée d'un embargo européen sur les ventes d'armes à la Libye en 2004. Suscitant une polémique qui prend de l'ampleur en France, cette affaire a fait réagir l'opposition, notamment les socialistes, lesquels reprochent au gouvernement de François Fillon de n'avoir pas fait preuve de “transparence” dans son action pour la libération des infirmières bulgares. Ainsi, le chef du Parti socialiste, François Hollande, a demandé, hier, la mise sur pied d'une commission d'enquête parlementaire. Selon lui, cette commission doit “faire le clair sur ce qui est de l'ordre de l'accord commercial, j'allais dire classique, et ce qui est de l'ordre d'une négociation avec un pays qui a détenu, hélas, des otages pendant huit ans et a essayé d'en jouer sur la scène internationale”. Cela met dans une position délicate le ministre français des Affaires étrangères Bernard Kouchner. Accusé dans un premier temps par ses anciens amis socialistes d'avoir été tenu à l'écart de cette libération par le président et son épouse Cécilia, il est désormais montré du doigt pour ses démentis concernant d'éventuelles tractations avec le régime de Mouammar El Kadhafi. Restant évasif sur des ventes d'armes à Tripoli, Kouchner avait pourtant, lors d'auditions parlementaires, démenti “que cette libération ait été obtenue avec des contreparties telles que des versements financiers de la France ou un contrat d'armement”. Cette polémique sur ce contrat d'armement prolonge celle sur les perspectives de livraison d'un réacteur nucléaire pour le dessalement d'eau de mer, en vertu d'un mémorandum signé par M. Kouchner et son homologue libyen Abdelrahman Chalgham lors d'une visite de M. Sarkozy à Tripoli la semaine dernière, au lendemain de la libération des infirmières. François Hollande a surtout dénoncé le fait que ce contrat soit annoncé de source libyenne, “quand le ministère des Affaires étrangères n'en sait rien et que le ministre de la Défense, lui, parle pour le moment d'une lettre d'intention”. Les socialistes que l'entrée de Kouchner dans un gouvernement de droite avait plongés dans un profond embarras ne se sont pas privés de tirer à boulets rouges sur l'ancien “French doctor”, avocat du droit d'ingérence humanitaire, aujourd'hui en difficulté sur une affaire de vente d'armes et de technologie nucléaire à une dictature. “C'est scandaleux parce que si l'on observe la ligne de M. Kouchner, il avait dit qu'il fallait tourner le dos à la realpolitik pour s'intéresser davantage aux droits de l'homme. Or là, non seulement ce n'est plus la realpolitik, mais c'est le cynisme absolu”, a déclaré le député PS François Loncle. Réfutant ces accusations, le porte-parole de la présidence française, David Martinon, a réaffirmé qu'aucun contrat n'avait été signé pendant la visite du président Nicolas Sarkozy en Libye, qui a suivi la libération du médecin et des infirmières bulgares intervenue le 24 juillet dernier. Il a particulièrement insisté sur le fait que “rien n'interdit les ventes d'armes. Les Britanniques, les Américains, les Russes, les Italiens, tout le monde essaie de leur (aux Libyens) vendre des armes”. D'après lui, “la seule contribution française” dans le dossier des cinq infirmières et du médecin bulgares détenus depuis 1999 “portait sur la mise en fonctionnement de l'hôpital de Benghazi”. Pour le gouvernement Fillon et l'Elysée, il était normal que des entreprises françaises, y compris d'armement, cherchent à conclure des accords avec un pays autrefois accusé par les Occidentaux de soutenir le terrorisme mais “qui respecte” désormais ses obligations internationales. Ils ont rappelé que lors de la visite du président français en Libye, Paris n'avait signé avec la Libye qu'un mémorandum portant sur un projet de fourniture d'une centrale nucléaire destinée à la désalinisation d'eau de mer — suscitant de vives critiques en Allemagne — et un accord de coopération dans le domaine militaire dont les termes n'ont pas été rendus publics. De son côté, le ministre de la Défense, Hervé Morin, a confirmé hier que la Libye avait bien signé une “lettre d'intention” pour acheter des missiles Milan, une arme de conception française exportée dans plus de 40 pays. Très satisfaite, Tripoli a notamment mis l'accent sur le fait que ce contrat d'armement était le premier signé avec un pays européen depuis la levée d'un embargo européen sur les ventes d'armes à Tripoli en 2004. K. ABDELKAMEL/Agences