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Problématique et enjeu de l'envasement
LES BARRAGES EN ALGERIE
Publié dans L'Expression le 05 - 09 - 2007

Le phénomène de l'envasement des barrages, de par la situation géographique du pays (zone semi-aride), constitue un enjeu d'envergure nationale.
Selon une récente étude basée sur des séries statistiques comportant les données de 57 grands barrages, l'Algérie perd par envasement 45 à 50 millions de m3 chaque année. Nos barrages se transforment de plus en plus en réceptacles de vase que d'eau. Du coup, la défectuosité des réseaux d'alimentation en eau potable (AEP), ne constitue plus la principale cause de déperdition des eaux de consommation. Au-delà de ce taux de fuite des eaux, dû à la mauvaise étanchéité des réseaux, la déperdition à la suite de l'envasement se situe dans une tout autre «mégaéchelle» de considération.
En effet, le phénomène de l'envasement touche les pays du Maghreb, mais plus particulièrement l'Algérie et s'est accéléré à partir des années 2000 (particulièrement à partir de 2003). Les retombées sont directes et graves et sur l'économie nationale et sur le développement de la société tout entière.
L'eau et l'énergie constitueront le défi du XXIe siècle. Sachant qu'en Algérie les barrages de taille et d'importance diverses ne recueillent en fait que 5% des précipitations atmosphériques, le problème apparaît dès lors dans toute son acuité. D'importantes quantités de pluies rejoignent la mer, ou reviennent vers l'atmosphère par évaporation. Autant donc apprécier le temps de remplissage d'un barrage et l'ampleur des dégâts engendrés par le fléau de l'envasement.
Répercussions sur l'agriculture
L'envasement des barrages est la conséquence directe de l'érosion entamée déjà plus en amont sur les bassins versants suite au dépérissement du couvert végétal. En Europe, le taux d'érosion se situe dans une fourchette de 30 à 50 tonnes de sol arrachées annuellement par kilomètre carré (30 à 50 t/an/km²) alors que dans les pays du Maghreb ce taux atteint une moyenne de 2000 t/an/km². Le bassin de drainage du barrage d'Ighil Emda, dans la wilaya de Béjaïa, détient malheureusement le sinistre record du monde avec une valeur apogée atteignant les 5000 t/an/km². De plus en plus, nos bassins versants s'appauvrissent en matière organique, donc de terre arable. A titre d'exemple, les terrains agricoles représentent 50% du bassin versant de la région d'Ighil Emda.
A ce rythme d'ablation des sols, l'agriculture subira de plein fouet les revers de ce phénomène. La sécurité alimentaire, on comprend bien, sera bien évidemment menacée. Des millions de tonnes de terre partent ainsi chaque année rejoindre la mer via les cours d'eau et une importante quantité va se déposer au fond de nos barrages.
Dans un récent article soumis à la revue internationale Hydro-Power, le professeur B.Remini, chercheur à l'université de Blida, s'étale longuement sur la problématique de l'envasement des barrages algériens. Par ailleurs, et selon le même chercheur, le suivi de la dynamique d'envasement pour les trois décennies a confirmé la tendance à l'accélération de ce phénomène.
Les années 80 ont connu des taux d'envasement avoisinant les 20 millions de tonnes annuels alors que les années 90 ont atteint déjà les 35 millions de tonnes annuels, les années 2000 vont crescendo et grimpent à la valeur de 45 millions de tonnes annuels. Tous les spécialistes s'accordent à dire que les années à venir seront très dures pour les zones arides et semi-arides.
Les comportements de tout un chacun doivent changer. On n'a plus le droit de gérer au jour le jour des écosystèmes fragiles qui demandent de la minutie et des stratégies globales ainsi que des infrastructures de grande envergure, telles que les barrages qui constituent des ouvrages d'art au sens propre du terme.
L'amortissement de ces grandes oeuvres s'étale sur une longue période et dans les conditions de réalisation, d'exploitation et de protection des zones limitrophes adéquates.
Paradoxalement, en Algérie la durée de vie d'un barrage est calculée en fonction du taux d'envasement. Quant aux paramètres liés à la fiabilité de l'infrastructure elle-même, ils ne constituent qu'un échelon de considération tout à fait secondaire.
Depuis l'indépendance, sept barrages ont été déclassés (abandonnés), dont deux ont fait l'objet de reconstruction suite à la disponibilité de leur site, en l'occurrence les barrages de Fergoug dans la wilaya de Sidi Bel Abbès et celui de Cheurfa dans la wilaya de Mascara.
Les années 2000 marquent une réelle prise de conscience de l'ampleur et des enjeux liés à la problématique de l'envasement. Les enjeux sont clairs. L'eau est la condition limite de toute vie sur terre.
Nos ressources hydriques sont en danger d'épuisement par suite de colmatage de ces grands réservoirs d'eau que sont les barrages. La lutte contre le fléau de l'envasement ne peut être efficace que si elle s'inscrit dans une démarche qui favorise le long terme.
Le «solutionnement» de ce problème dans le cadre d'une politique de développement durable constitue l'éventail des solutions dites en amont, c'est-à-dire la prévention. Le reboisement des bassins versants représentant le chevelu hydrographique (le réseau d'oueds déversant dans un barrage donné) des barrages d'eau, la protection des zones en amont, etc.
Autant d'actions, qui, à long terme, permettront de réaliser des plus-values par simple fait de prolongation de la durée de vie de ces ouvrages, ô combien coûteux en matière d'investissement.
Le concept de développement durable ne fait que poindre à l'horizon. Il faut dire que depuis de longues décennies, la conjoncture socio-politique n'a pas permis de préserver les grandes étendues des bassins versants: la politique de la terre brûlée entamée par l'occupant a été quelque peu poursuivie plus tard par la communauté villageoise pauvre par un défrichage intense pour les besoins de culture et de chauffage.
Ainsi, le curetage constitue une tout autre méthodologie de lutte imposée par les raisons précitées. Depuis plusieurs années, l'Algérie diversifie ses moyens d'intervention en vue de prolonger la durée de vie de son infrastructure de stockage hydrique. La surélévation constitue l'une des techniques qui permettent de prolonger la vie d'un ouvrage. L'augmentation de la hauteur de la digue permet de compenser le volume d'eau perdu en profondeur occupé par la vase. Au total, neuf barrages ont été surélevés. Toutes les opérations de surélevage en Algérie ont permis de récupérer jusqu'en 2007 une capacité de 100 millions de m3. Toutefois, la surélévation d'un barrage devra être précédée d'une étude très approfondie des contraintes liées à l'infrastructure et au site lui-même.
Désenvaser coûte cher
L'opération la plus classique de curetage des barrages et en même temps la plus coûteuse concerne le dévasement (l'enlèvement des boues de fond par des moyens mécaniques). La situation géographique de l'Algérie fait d'elle le pays pionnier en la matière. Forte de son expérience d'un demi-siècle, l'Algérie s'est dotée récemment de deux dragues suceuses refouleuses, dont l'une baptisée «Rezoug Youcef» (en hommage au premier ouvrier victime d'une chute lors de la mise en place de la drague). Pour rappel, la première drague utilisée en Algérie en 1957 est la drague refouleuse «Lucien Dumay». Depuis les années 2000, plus de 20 millions de m3 de vase ont été extraits de nos barrages.
Le dévasement s'accompagne toujours d'une perte d'eau inévitable. Jusqu'à nos jours, les meilleurs rendements font état de 1 m3 d'eau perdu pour le même volume de boue extraite. Un premier essai au monde avec une perte d'eau presque nulle a eu lieu au barrage Foum El Ghourza dans la wilaya de Biskra.
La technique consiste tout simplement en un aménagement adéquat. Une succession de bassins de décantation sont creusés plus en amont du barrage à dévaser. Les boues extraites sont déposées dans ces bassins, et après décantation, les eaux sont acheminées gravitairement vers leur lieu d'origine.
Entre 2004 et 2006 au total et pour une première phase, 4 millions de m3 de boue ont été dévasées. La deuxième phase qui va durer elle aussi deux ans est toujours en cours au barrage de Foum El Ghourza. Pour rappel, certains exploitants de barrages utilisaient la méthode de l'évacuation périodique des eaux (la chasse). Les spécialistes déconseillent le recours à ce procédé dans les pays arides et semi-arides suite au temps important de remplissage de l'ouvrage.
Une dernière technique pour lutter contre l'envasement est celle du soutirage. Son application est cependant réservée à certains sites qui, de par leur configuration, permettent l'apparition de ce que les spécialistes appellent les courants de densité: une sorte de mixture de boue et des eaux, se propagent au fond des retenues et dont le courant au cours de sa propagation présente le caractère d'individualité, donc ne se mélange que dans des proportions très faibles avec les eaux claires.
Les courants de densité sont ainsi très concentrés en sédiments, d'où la maîtrise de ce phénomène qui permet, le moment opportun, d'ouvrir les vannes de fond et de dégager ainsi le maximum de sédiments avec un minimum d'eau. Le barrage d'Ighil Emda est parmi les premiers au monde à avoir été équipé d'un dispositif installé spécialement pour le soutirage des sédiments.
Le Pr B.Remini insista sur le fait que tous les exploitants de barrages et les ingénieurs devront maîtriser cette technique des courants de densité. Selon notre interlocuteur, grâce à l'application avec succès de cette technique la durée de vie du barrage d'Ighil Emda est ainsi multipliée par trois. Par ailleurs, la valorisation des boues a pris son petit bonhomme de chemin. Des briques, des tuiles et des oeuvres artisanales de bonne qualité ont été ainsi réalisées suite aux différentes analyses physico-chimiques des boues.
Les problèmes écologiques, si cette valorisation passe à l'échelle industrielle, seront à jamais bannis. De petites unités de briqueterie mobiles et déplaçables pourront s'installer à proximité des grands ouvrages. Des postes d'emploi seront ainsi créés et l'écologie préservée.
La lutte contre l'envasement des barrages en Algérie doit revêtir une dimension nationale tant les enjeux sont énormes. Tous les spécialistes s'accordent à dire que les pays du Maghreb, d'ici à 2025, connaîtront des problèmes aigus d'eau. Autant, dès maintenant, penser à une stratégie globale de préservation de nos barrages contre ce grave problème de l'envasement.


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