M.Soltani a-t-il vendu son âme pour autant? Loin s'en faut. Entre deux gorgées d'un thé qu'il a revendiqué chaud, Boudjerra Soltani a surpris son monde en s'exprimant sur un sujet considéré comme l'un des plus grands tabous en Algérie. «Je suis pour la laïcité démocratique», a-t-il déclaré avec une facilité déconcertante aux journalistes de L'Expression qui l'ont interpellé au sujet de l'arrivée des islamistes au pouvoir en Turquie. Sans sourciller, le président du MSP ajoute en soulignant: «J'insiste sur le caractère démocratique de cette laïcité et je refuse la laïcité dictatoriale.» Soltani revient à la charge et insiste une seconde fois sur «le caractère démocratique» de la laïcité qu'il ne revendique pas mais qu'il dit prêt à accepter. «On peut toujours adapter le concept à notre société, on n'est pas obligé de l'importer ou de l'appliquer tel quel», avise enfin Bouguerra Soltani. Décidément, séduit par l'expérience turque, le président du MSP ne voit aucun problème à composer avec un gouvernement ou un pouvoir laïc. Il rappelle à juste titre que le président de l'Association des ulémas musulmans algériens, Abdelhamid Ibn Badis, le chantre de la Nahda en Algérie, a envoyé un message de félicitations à Mustapha Kemal qui venait d'installer un Etat laïc (1924, ndlr) «C'est ce qu'il fallait à l'époque pour sauver la Turquie, car l'Islam tel qu'il se pratiquait et conçu à cette époque en Turquie, était réellement l'opium du peuple.» Mustafa Kemal, «le Père des Turcs» (Atatürk), fondateur et premier président de la République turque, a engagé son pays sur la voie de l'occidentalisation. A partir de 1924, Mustafa Kemal a fait de la laïcité le principe fondateur de la nouvelle Turquie républicaine née sur les ruines de l'empire ottoman. Le MSP n'aspire pas évidemment à une révolution du même genre. Ses objectifs seraient ailleurs mais, en attendant, il semble louvoyer. «La laïcité démocratique». Voilà donc un nouveau concept. S'il s'agit de l'expliquer, il faut dire tout simplement: de la laïcité contenue dans un emballage démocratique. Mais qu'importe le contenant quand le contenu à lui seul porte au firmament l'ivresse idéologique de la mouvance islamiste en Algérie. Faut-il s'étonner d'une pareille revendication venant justement de la part d'un parti islamiste? M.Soltani, pour avoir longtemps flirté avec le pouvoir et être devenu ministre d'Etat sans portefeuille, a-t-il vendu son âme pour autant? Loin s'en faut. Cette déclaration est sur la même ligne des principes fondateurs de ce parti depuis sa création par le défunt Cheikh Nahnah. N'est-ce pas lui qui inventa «la choracratie» dans une tentative d'adapter la démocratie à la chora? Le néologisme n'a pas pris, mais le cheikh a eu le mérite d'essayer. C'est dans ce contexte qu'il convient de replacer les propos de Bouguerra Soltani. Car, pour le MSP, c'est l'histoire d'une lente progression, d'une marche prudente et d'une démarche patiente vers la conquête du pouvoir qui dure depuis le début des années 90. A cause de cette flexibilité caractéristique, le MSP a été estampillé, dès les premières années du pluralisme politique en Algérie, de parti islamiste modéré. Mais les spécialistes des questions islamistes le voient d'un autre oeil. «Au fait, soutiennent-ils, la tendance modérée représentait la plus grande menace parce qu'elle disposait d'une stratégie, à la différence du courant radical qui en était, lui, dépourvu (...)». Mais, en définitive, si Soltani et son parti donnent le sentiment de pouvoir réussir les mutations et les transformations, ils sont parfois trahis par nombre de questions nationales. L'attitude que ce parti a observée envers les amendements au Code de la famille, traduit l'immuabilité du socle islamiste de ce parti dont les références ne s'accordent pas toujours avec les valeurs démocratiques. Que dire alors de la laïcité!