Les villageois, oubliant les éventuelles mauvaises rencontres, descendent en masse en ville. Le Ramadhan et son carrousel d'habitudes spécifiques se sont installés à Tizi Ouzou à l'instar de toutes les régions du pays. Ainsi, tôt le matin, Tizi Ouzou fait réellement peur. Ses rues sont vides laissant place à une circulation fluide, pour ne pas dire inexistante. Les magasins ont baissé rideau. Les marchés s'éveillant à peine. Il faut attendre les dix heures pour que les choses se mettent en place. Les marchés se remplissent en un clin d'oeil avec des clients affamés qui errent longtemps entre les étals, avant de se décider. Les temps ne sont plus aux gros achats. Les gens faisant très attention à leur porte-monnaie. D'ailleurs, une fois la fringale des achats de la première semaine passée, les marchands ont revu à la baisse leurs prix. La pomme de terre est désormais affichée à 45-50DA, alors que la courgette, la reine du Ramadhan, est cédée à 40-50DA pour la meilleure qualité. Le haricot vert tient encore le cap avec 50-60DA et la salade s'essaie à jouer aux grandes dames en s'affichant encore à 60DA. Heureusement que les fruits ont, eux, revu leurs prétentions à la baisse. Ainsi, la pastèque d'arrière-saison est cédée à 30-35DA le kg, le melon à 40DA et le raisin entre 50 et 80DA, selon la variété. Cette année, les marchands de zalabia se font rares, et c'est à peine si deux ou trois occasionnels proposent leur gâteau dégoulinant de sucre inverti. Et quand le marchand de zalabia tunisien se trouve dans les parages, c'est lui qui rafle les clients. Vers les treize heures, la circulation commence à devenir dense et les nerfs des gens plus excités que jamais, les incidents ne sont pas rares. La bagarres aussi. La tension monte au fur et à mesure que l'heure de l'adhan approche. L'accalmie viendra avec l'appel du muezzin. C'est l'heure de la rupture du jeûne. Les rues se vident de nouveau. Les gens, nombreux, se précipitent à la mosquée car à la faveur du Ramadhan, la ferveur religieuse connaît un certain regain. Certes, il existe certains villages et hameaux qui font l'exception, des villages que nous tairons par décence. En ces endroits, il est vrai, assez rares en Kabylie, les cafés sont ouverts et les jeunes, notamment, ne respectent pas le Ramadhan comme par réaction contre l'islamisme politique. Ces jeunes confondent allégrement Islam et islamisme. Les personnes âgées, soit se désolent, soit alors font comme si de rien n'était. Approchées, elles affirment «respecter le choix des uns et des autres et disent que c'est cela la véritable tolérance!» Donc, il faut attendre environ une demi-heure après l'adhan pour voir les rues s'animer et les cafés bondés, alors que les mosquées n'arrivent pas à contenir la foule des fidèles pour les prières de tarawih. Les villageois, oubliant les éventuelles mauvaises rencontres, descendent en masse en ville. Les cybercafés, la Maison de la culture Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou travaillent à fond la caisse. Dans les hameaux retirés, c'est le sempiternel jeu de loto qui tient le haut du pavé. Déjà, des tireurs de jetons se sont fait une réputation pour leur bagou et bien des citoyens sont attirés, souvent rien que pour le plaisir de les entendre annoncer les numéros. Ces jeux de hasard, bien évidemment, strictement interdits, ont fait leur apparition en force depuis les événements dits du Printemps noir, les gendarmes sortant relativement peu et la police ayant d'autres chats à fouetter. Ce n'est que tard dans la nuit que les villageois rentrent chez eux, alors que, souvent, les citadins rentrent généralement après la représentation artistique ou encore après les prières de tarawih. La ville ne recommence à s'assoupir que très tard dans la nuit et, dans les villages, seuls les habitués du loto veillent jusqu'au s'hor. La Kabylie, faisant fi de toute peur, a décidé de vivre comme si de rien n'était et surtout de ne rien changer aux habitudes du Ramadhan.