La langue du président français a-t-elle encore fourché, lui qui se dit habitué à «dire les choses» sur le plan diplomatique? Très attendue, la visite du président français au Maroc risque de laisser nombre d'observateurs sur leur faim, d'autant que Nicolas Sarkozy semble avoir beaucoup perdu de sa superbe et rentre peu à peu dans les rangs de la politique disciplinée et politicienne. Lui, qui n'a jamais manqué d'affirmer son habitude de «dire les choses» au plan diplomatique, a piteusement remisé au placard ses velléités de rupture avec la politique béni-oui-oui de ses prédécesseurs à l'Elysée. Il lui aura suffi de ce petit saut à Rabat pour relativiser cette pseudo-ouverture et remettre M.Sarkozy à ses justes proportions: celle d'un homme prêt à construire sa carrière sur le malheur de peuples qui plient sous le joug de l'oppression. Ne pas affirmer, ou réaffirmer, le droit des peuples colonisés -dont le peuple sahraoui- à l'autodétermination de la part d'un président qui dit défendre les libertés et la démocratie dans le monde, met en doute outre ses professions de foi, les principes même qui le meuvent. M.Sarkozy était attendu sur la question sahraouie et la position de Paris sur la question de décolonisation du Sahara occidental occupé par le Maroc. Or, M.Sarkozy semble faire une lecture biaisée de cette situation qui met tout un peuple, le peuple sahraoui, en marge de la communauté humaine depuis plus de trois décennies. Nonobstant le discours que Nicolas Sarkozy doit prononcer devant le Parlement marocain, le président français semble avoir déjà donné le substrat de sa pensée sur cette question dans l'interview qu'il a accordée à l'agence officielle marocaine MAP (Maghreb Arabe Presse) selon laquelle M.Sarkozy aurait réitéré que la «position de la France n'a pas changé» vis-à-vis du contentieux sahraoui. Sarkozy mal informé du contexte sahraoui? Or, la France qui soutient une position marocaine, à tout le moins intenable sur le contentieux sahraoui, porte à bout de bras la politique du Maroc sur cette question devant le Conseil de sécurité de l'ONU. Affirmant à l'agence de presse marocaine que la position de la France «n'a pas changé», le président Sarkozy a estimé que la «résolution 1754 cite le plan d'autonomie présenté par le Maroc et le qualifie de crédible et de constructif. C'est aussi le point de vue de la France», écrit MAP. Soit M.Sarkozy est mal informé, soit il fait une lecture déformée de la résolution 1754 du 30 avril 2007 qui incite les deux parties à négocier sans «préalable» et dans un «bon esprit». Dès lors, le projet «d'autonomie» marocain ne constitue pas et n'a jamais constitué la base de ces négociations, mais il n'est qu'un élément parmi d'autres dans la recherche d'une solution équitable au conflit sahraoui. Nous aurions été aise que M.Sarkozy explique cela à ses «amis» marocains et surtout leur explique que Rabat ne peut octroyer une «autonomie» à un territoire auquel rien ne le rattache, ou que ses populations soient assujetties par des liens d'allégeance avec la monarchie chérifienne. Nicolas Sarkozy indique encore à l'agence marocaine qu' «il faut maintenant qu'un véritable dialogue s'engage sur le fond pour parvenir à un règlement politique, seule solution durable à ce conflit douloureux qui dure depuis maintenant beaucoup trop longtemps». Effectivement, le conflit n'a que trop duré, mais à qui imputer cette situation si ce n'est à la France qui, contre toute légalité, apporte un soutien sans faille à un déni de droit de la part du Royaume chérifien qui empêche le peuple sahraoui de se prononcer librement et sans contrainte par référendum sur son destin? M.Sarkozy affirme aussi: «Mon souhait, qui est aussi celui de la communauté internationale, c'est que les parties trouvent ensemble une solution juste et mutuellement acceptable.» Certes! Toutefois en ayant une lecture à tout le moins anormale de la résolution 1754 du Conseil de sécurité de l'ONU, M.Sarkozy donne corps à la lubie marocaine qu'est le projet «d'autonomie» pour le Sahara occidental, alors que rien ne vient confirmer ou conforter la propriété du Maroc sur ce territoire. Dans ce contexte, à la demande du Conseil de sécurité de l'ONU, la Cour internationale de Justice (CIJ) a eu a étudier ce cas. Dans son avis au Conseil de sécurité, la CIJ avait indiqué, à cette époque, qu'aucun lien de souveraineté du Maroc sur ce territoire n'a été établi, ni relevé d'allégeance de populations ou tribus sahraouies au sultan marocain. Les faits sont donc clairs. Face à cette donne, il est patent qu'il n'appartient qu'au seul peuple sahraoui de dire, par référendum, ce qu'il veut: l'indépendance ou le rattachement au Royaume du Maroc. Aussi, tant que le Maroc s'oppose à l'exercice par le peuple sahraoui de son libre choix, il est patent qu'aucune solution, surtout lorsqu'elle est imposée de l'extérieur, ne pourrait aboutir, ou qui que ce soit ne pourrait se substituer aux Sahraouis ou les priver de leur droit à s'autodéterminer sur leur avenir. Or, Rabat rejette toute idée de référendum, ou à tout le moins, un référendum qui ne soit pas sous contrôle du Makhzen, ce que le défunt Hassan II appelait par euphémisme un «référendum confirmatif». Il est étonnant que M.Sarkozy qui parle si bien de liberté et de démocratie, choisisse Rabat, où ces notions sont quotidiennement bafouées, pour, à son tour, égratigner gravement ces deux notions qui participent aux droits de l'homme dont la France se proclame un farouche défenseur. Respecter les Maghrébins, c'est respecter les Sahraouis Or, le projet «d'autonomie» que propose le Maroc, et que semble soutenir M.Sarkozy, transgresse outre les droits des Sahraouis à l'autodétermination -reconnus notamment par la résolution 1415, de juin 1960, des Nations unies sur le droit des peuples colonisés à l'autodétermination- foule par ailleurs aux pieds tant la Déclaration universelle des droits de l'Homme, si chère à la France, que la Charte des Nations unies à laquelle tous les pays membres sont soumis, y compris la France et le Maroc. En soutenant le projet marocain, «d'autonomie», Nicolas Sarkozy fait tout faux et montre qu'en tant que Français il reste encore attaché à un passé colonial déshonorant -celui de la France qui a été l'un des pays les plus déterminés dans la promotion de la colonisation, notamment en Afrique- et méprise le peuple sahraoui colonisé par son «ami», le roi du Maroc. Sur un autre plan, celui de l'Union méditerranéenne (UM), le président français affirme, dans des interviews aux journaux marocains, que cette Union, «n'est pas son projet» c'est un projet en commun, affirme-t-il, qui «appartient à tous ceux que l'avenir de la Méditerranée intéresse et concerne». Or, il y a déjà un hiatus -cela sans trop nous appesantir sur le fait que l'UM c'est d'abord le projet d'un certain Nicolas Sarkozy- dans le fait d'en appeler aux peuples méditerranéens et d'ignorer dans le même temps, le peuple sahraoui qui souffre sous le joug de la colonisation. M.Sarkozy est décidément mal parti et son projet semble mort-né, car on ne voit pas comment il peut demain réaliser cette osmose méditerranéenne qu'il appelle de ses voeux lorsque le président français fait le distinguo entre les peuples, comme il le fait avec la Turquie à laquelle il dénie le droit d'adhérer à l'Union européenne. A l'évidence, la position «inchangée» de la France sur le contentieux sahraoui aura des retombées négatives sur la construction de l'Union méditerranéenne. En effet, M.Sarkozy, nous ne sommes plus, les peuples maghrébins et les peuples méditerranéens, ces hommes et femmes auxquels vous pouvez dire, faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais. Non! Nous ne sommes plus à l'époque de la carotte et du bâton. Aussi, respecter les peuples du Maghreb et de la Méditerranée, c'est d'abord et encore respecter le peuple du Sahara occidental et son droit à l'autodétermination, droit que lui reconnaissent les instances internationales, mais que la France, qui dispose du veto, bloque continûment au niveau du Conseil de sécurité de l'ONU. Vivre libre est un droit qui est la pierre angulaire de toutes liberté et démocratie bien comprises que vous dites vous faire un devoir et un honneur à défendre en toute circonstance. N'est-ce pas?