La conversion de cette élite intellectuelle en mouvement syndical revendicatif traduit l'impasse où cette élite a été confinée. Le Syndicat des enseignants du supérieur s'est déclaré satisfait de la réussite du mouvement de protestation suivi, aux dires du coordinateur national, Malek Rahmani, à 80% à travers le territoire national. La tutelle, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, par la voix du chargé de la communication a, quant à elle, relativisé le taux des grévistes en le résumant, à titre indicatif, à deux établissements universitaires au niveau de la wilaya d'Alger qui en compte une soixantaine. Au-delà des chiffres, la réalité est là. Les enseignants-chercheurs se retrouvent, malgré eux, en train d'évoluer sur un terrain qui n'est pas le leur. Ne sont-ils pas censés être débarrassés des vicissitudes du quotidien pour se consacrer à leur noble tâche de formation des élites du pays? Depuis 1996, ces enseignants crient sur tous les toits l'érosion de leur pouvoir d'achat. La majorité d'entre eux vivent dans la misère. Offrant à la société et surtout aux étudiants qu'ils encadrent une image rébutante et un exemple à ne pas suivre. Un statut social rabaissé par la volonté de ceux qui nous gouvernent et qui cultivent une certaine haine à l'égard de l'intelligentsia de ce pays qu'on force à l'exil. Pour joindre les deux bouts, ces enseignants sont obligés de faire toute une gymnastique en dispensant leur savoir-faire dans plusieurs établissements d'enseignement. Ils se soucient plus des moyens de se procurer leur pain quotidien que de penser à améliorer leurs connaissances ou faire de la recherche scientifique. Les cas des enseignants qui cumulent des fonctions pour fuir leur sort misérable sont légion. Certains d'entre eux ont été durement sanctionnés par la Fonction publique en leur coupant les vivres. Alors que de telles pratiques sont tolérées pour une autre catégorie de fonctionnaires au bras long. Une enquête dans ce sens de la part des hautes autorités du pays ne serait pas de trop pour faire la lumière sur les dépassements et les passe-droits. L'effort intellectuel n'est pas récompensé dans ce pays. Ce qui a fait apparaître une nouvelle race de postulants au titre d'enseignants universitaires et de docteurs sans la moindre compétence. Cette dévalorisation de la science les a menés à aller acheter des thèses de magister et de doctorat dans les universités à l'étranger. C'est aussi une réalité connue de toute la famille universitaire. Le statut d'universitaire a perdu son sens. Voir aujourd'hui l'élite du pays hurler sa misère, et demander un traitement digne en matière salariale, est désolant. C'est un peu dramatique de voir les conditions dans lesquelles travaillent les chercheurs algériens lorsqu'on les compare avec le train de vie (parfois somptueux) qui est celui des footballeurs qui n'apportent aucune plus-value au pays, cela sans trop insister sur les 100 millions de mensualité qu'exige l'entraîneur national. Aussi, il y a un monde, entre un footballeur et un enseignant, lorsque l'on voit l'état de vétusté dans lequel se meuvent l'enseignant et le chercheur algériens. Sait-on combien coûte une documentation mise à jour pour un chercheur? Connaît-on les prix des livres scientifiques dont le moindre revient à plus de 5000DA? D'où la conversion de cette élite intellectuelle en mouvement syndical revendicatif avec tous les risques encourus. N'ont-ils pas été matraqués lors de la première marche de protestation qu'ils ont initiée en 1996? Au lieu de se gratter la tête pour résoudre une équation ou découvrir une théorie, nos enseignants se sont alors retrouvés en train de recevoir des coups de matraque par les gars du Corps national de sécurité (CNS). Les enseignants du supérieur ne supportent plus l'humiliation et la hogra dont ils sont victimes. L'apparition de plusieurs tendances syndicales au sein même du Cnes et la naissance d'un nouvel organe syndical de l'enseignement supérieur affilié à l'Ugta, confirment bien cette tendance. Comme quoi nos chercheurs passeront plus de temps dans l'arène de la lutte syndicale qu'à la tribune d'un amphithéâtre. Et la science alors? Et la formation des nouvelles générations? La responsabilité des autorités du pays est entièrement engagée dans cette dérive qui porte un lourd préjudice au pays. La recherche scientifique est un maillon fort de la souveraineté nationale. L'avenir est tributaire de la capacité de nos gouvernants à assurer l'essor technologique de l'Algérie. La rente pétrolière est un leurre. Un mirage qui se dissipe aussi vite qu'un nuage d'été. Jeter la famille universitaire sur le terrain inextricable de la lutte syndicale est un frein pour le développement du pays. Il faut alors que chacun, à son niveau de responsabilité, assume cette situation de blocage.