Les jeunes Français, comme les jeunes Algériens, sont appelés, dans leurs collèges et leurs lycées, de part et d'autre de la Méditerranée, à se souvenir du sacrifice de leurs «résistants». «De grands résistants au service d'une grande cause» titrait El Moudjahid à la mémoire du 50e anniversaire de la mort de Hassiba Ben Bouali, Ali Ammar, Mahmoud Bouhamidi et Yacef Omar (P'tit Omar, âgé de 12 ans lors de son martyre), le 7 octobre. «La Résistance en héritage», lançait en «une» lundi dernier le quotidien français La Croix. Trois semaines après l'Algérie, la France réveille donc, elle aussi, les fiers héros de son Histoire. Les journaux français s'arrachent en effet le nom de Guy Môquet, résistant communiste fusillé par les Allemands le 22 octobre 1941, revisité et remis en première ligne par une décision du président Sarkozy de faire lire dans les établissement scolaires français la lettre d'adieu que le résistant français adressa à sa mère. Nicolas Sarkozy avait en effet annoncé au printemps que sa «première décision» de président serait de faire lire chaque année dans tous les lycées la dernière lettre du jeune résistant, fusillé à 17 ans. Cet écrit poignant, lu lundi dans la plupart des classes en France, a soulevé les enthousiasmes, engendré les scepticismes. Or, cette initiative du président français suit de peu l'annonce faite récemment d'une distribution d'un million de DVD de La Bataille d'Alger dans les établissements scolaires algériens. «Un million de copies du film "La Bataille d'Alger" seront distribuées aux élèves et collégiens à travers le territoire national, en guise de contribution à la vulgarisation de la connaissance de l'Histoire», avait déclaré Yacef Saâdi, début octobre. C'est aussi la «résistance», telle que la conçoit l'Algérie, qui se trouve exaltée dans l'intime de ce film de Gillo Pontecorvo, Lion d'Or à Venise en 1966. Hardi combattant dans la lutte anticoloniale, mais aussi acteur et producteur du film, Yacef Saâdi avait également déclaré que cette opération serait «totalement autonome», sans lien quelconque avec les pouvoirs publics, et qu'elle «relèverait du bénévolat». Instrumentalisation de l'Histoire? En France, la polémique s'est au contraire échafaudée sur l'initiative plus «officielle» de cette lecture épistolaire. Des professeurs se sont depuis insurgés contre la proposition, jugée quasi manipulatrice, subtilisant à l'Histoire ses grands hommes à des fins politiques. Chose étrange, des réactions similaires ont suivi l'annonce de Yacef Saâdi. Ainsi, au fil des forums Internet, des Algériens se positionnent. Si certains saluent une «belle initiative», d'autres restent incrédules. Loin de déclencher une polémique, comme cela a été le cas à travers la France, le projet de distribution du film a toutefois enfanté des questionnements légitimes. «Le choc des images, le poids de l'Histoire...la sacralisation du martyr. En fin de compte pour quel résultat?», interroge un internaute anonyme. En France, la lecture de la lettre de Guy Môquet a surtout fait frémir d'indignation des communistes attachés à «leur» figure mythique, mais encore des enseignants dont certains ont même refusé de lire la missive. Ces réactions en chaîne laissent transparaître des appréhensions semblables côté français et côté algérien. Quand des Algériens aspirent à un débat autour de La Bataille d'Alger, encadré par des professeurs d'histoire, des Français souhaitent que la lecture de la lettre de Guy Môquet soit «intégrée dans les programme d'histoire, et non récupérée politiquement». Quand des Algériens appellent à ne pas instrumentaliser l'Histoire, les Français exigent que l'hommage du 22 octobre soit replacé dans son contexte et délivré avec pédagogie. Jeunes et téméraires «Il n'est pas inutile de rappeler, de temps en temps, à de très jeunes gens qui l'ont sans doute oublié ou qui ne l'ont jamais su, que s'ils vivent aujourd'hui en République, c'est grâce à des garçons comme Guy Môquet», déclarait il y a peu Maurice Druon, figure du gaullisme et de la Résistance française, dans les colonnes du Figaro. De son côté, Yacef Saâdi a répété combien il lui paraissait essentiel de garder présent à l'esprit «le sacrifice de ces héroïnes et de ces héros», en écho à l'action des moudjahidine de la Révolution algérienne. Certes, l'Algérie et la France s'adressent à leurs jeunes générations différemment, sur des modes, des supports d'expression et des canaux propres. Ce sont pourtant là deux formes de «résistance» auxquelles elles veulent rendre hommage, qui renvoient à ces personnages emblématiques à travers des figures historiques moulées en héros. Ali la Pointe et ses compagnons, notamment le Petit Omar, mort à l'âge de 12 ans, tout comme Guy Môquet, fusillé à l'âge de 17 ans, ont été honorés par leurs pays respectifs pour leur témérité et leur courage qui sont, en filigrane, des messages aux générations d'aujourd'hui. Mais c'est aussi la précocité du martyre, la jeunesse des résistants, qui les érigent en modèle pour les élèves. Les nations algérienne et française, à défaut de raviver l'ardeur d'un patriotisme à demi-mort, espèrent peut-être, chacune à sa manière mais dans un même esprit, réveiller dans les rangs de leur jeunesse la vertu que l'on nomme courage.