Curieuse réaction de Rabat qui s'offusque de la prise de position d'un parti sénégalais sur la question sahraouie. Rabat a rappelé temporairement son ambassadeur au Sénégal alors que, traditionnellement, les relations entre ces deux pays sont au summum. En fait, le Maroc a eu une réaction à tout le moins curieuse suite à la déclaration du responsable d'un parti sénégalais, qui n'est même pas au pouvoir. C'est sans doute la manière qu'a trouvée Rabat pour répondre à toute partie se déclarant favorable au droit du peuple sahraoui à l'autodétermination et à son indépendance. Le Parti socialiste sénégalais, représenté par l'ancien ministre Jacques Baudin qui a assisté au congrès du Front Polisario, représentant légitime du peuple sahraoui, a soutenu le droit du peuple sahraoui à l'autodétermination. Depuis Tifariti, territoire libéré du Sahara occidental, où s'est tenu, la semaine dernière, le 12e congrès du Front Polisario, Jacques Baudin a déclaré que les Africains ont «le devoir moral de soutenir les peuples qui luttent pour leur liberté». Le socialiste sénégalais a précisé, sans détours ni faux-fuyants, que la lutte du Front Polisario «sera inscrite au fronton du Panthéon de tous ceux qui combattent pour arracher leur dignité». Même si l'ancien ministre sénégalais n'a fait que conformer la position de son parti à la légalité internationale, Rabat a brusquement piqué une crise d'hystérie et a rappelé, pour trois jours, son ambassadeur à Dakar, Moha Ouali Tagma. Le chef de la diplomatie marocaine a réagi prématurément. Et pourtant, c'est une position propre au Parti socialiste qui se trouve dans l'opposition sénégalaise. Le ministre marocain des Affaires étrangères, Taib Fassi-Fihri, a qualifié la position du PS sénégalais de «geste franchement inamical et incompréhensible du Parti socialiste (PS)». Les propos de Jaques Baudin ont été jugés par Rabat «contraires aux liens séculaires qui existent entre les deux pays». Cela confirme que Rabat perd encore du terrain dans sa bataille illégale pour imposer «la marocanité du Sahara», une version rejetée en bloc par la communauté internationale. L'allergie marocaine à toute forme d'opposition à son plan controversée dit de «large autonomie pour le Sahara» confirme, en fait, la fragilité de sa politique et la faiblesse de ses arguments quant au dossier sahraoui. Le Palais royal a toujours agi de la sorte quand il s'est agi de la question sahraouie, un dossier qui relève, rappelle-t-on, de la décolonisation alors que Rabat ne cesse de comptabiliser les échecs diplomatiques par l'adoption d'une position de moins en moins défendable sur le plan international. L'ancien ministre sénégalais de la Justice et des Affaires étrangères, a rappelé justement que «pendant longtemps, les Marocains ont été défendus par les Sénégalais, notamment dans le cadre de l'Union africaine (UA)», dont Rabat ne fait plus partie depuis l'adhésion de la Rasd en 1984 à l'OUA, ancêtre de l'organisation panafricaine. C'est dire que l'hystérie marocaine ne date pas d'aujourd'hui, mais remonte bien à l'ère de la pierre taillée. A Dakar, la Présidence sénégalaise n'a soufflé mot au sujet du procédé marocain, tandis que d'autres lectures émanant de la capitale Dakar considèrent que le rappel du diplomate marocain est probablement motivé par d'autres griefs, notamment au regard de tensions récentes entre Dakar et Rabat sur deux importants dossiers commerciaux. Le premier accroc est survenu fin octobre avec l'annonce par Dakar de la prise de contrôle par l'Etat d'Air Sénégal International (ASI) aux dépens de l'actionnaire majoritaire actuel Royal Air Maroc (RAM), dont la «gestion a montré ses limites», selon Dakar. Et le 14 décembre, le président sénégalais Abdoulaye Wade avait annoncé que Dakar retirait la gestion du bateau assurant la liaison Dakar-Ziguinchor (sud) à la Société maritime de l'Atlantique (Somat, Maroc) au profit d'une société sénégalaise. A défaut donc d'arguments valables pour appuyer une contestation officielle, les autorités du Royaume chérifien recourent à un prétexte infondé pour manifester leur mécontentement. Encore une bataille perdue pour le Royaume.